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EDITORIAL
Macky Sall, la zone grise de la démocratie sénégalaise
2021 n’est pas encore partie mais on a déjà la photo de l’année. Ceux qui n’en savent pas l’histoire ne pourront pas comprendre les raisons de sa consécration. Un briefing s’impose donc à leur intention.
 
A la veille du dépôt des listes de candidatures aux élections municipales du 23 janvier 2022, un nommé Djibril Ngom, coordonnateur et mandataire de la coalition d’opposition Yewwi askan wi (Yaw) dans la circonscription électorale de Matam (dans le nord du Sénégal), disparaît dans la nature en emportant avec lui les listes de candidats.
 
La conséquence politique de cette «disparition» est immédiate : ladite coalition ne peut prendre part aux scrutins de janvier sans le dépôt de ses listes. Sans discernement, le préfet déclare la coalition Yaw forclose. Les services compétents de l’Etat, en particulier la police et la gendarmerie, ne donnent l’impression de prendre en charge cette affaire grotesque. Mais les responsables politiques de Yaw, perspicaces, déposent un recours devant la Cour d’appel de Saint-Louis qui, face à l’évidence du sabotage politicien dont l’ex-mandataire s’est rendu coupable et complice, accepte raisonnablement d’intégrer les listes de Yaw dans le jeu électoral.
 
Trois semaines plus tard, le sieur Djibril Ngom réapparait en public, mais pas n’importe où. Une photo devenue très virale sur les réseaux sociaux le montre en compagnie du Président de la République au Palais de la République.
 
Ce tête-à-tête grossier Macky Sall-Djibril Ngom est d’une violence despotique. Elle met en symbiose une double complicité entre un petit politicien corrompu par une chefferie locale du nord du pays et un Président de la République dont la frivolité et le cynisme n’ont jamais eu de frontières. Elle résume à elle seule l’infini potentiel de violences qui git en l’actuel chef de l’Etat, explosif au gré des circonstances.
 
Cet homme, Macky Sall, vivait déjà dans une faillite morale et institutionnelle à nul autre pareil dans le cercle restreint des dirigeants ayant présidé aux destinées de notre pays depuis  1960. La violence que dégage cette entrevue autant que les éléments symboliques et opérationnels d’une trahison de devoirs et responsabilités d’Etat qu’elle porte renvoient au vrai visage du chef de l’Etat. Une immense zone grise pour la démocratie sénégalaise
 
Comment un Président de la République un brin sensible aux valeurs démocratiques et à une seine compétition politique peut-il recevoir en audience au Palais de la République une personne qui assume avoir délibérément volé des documents électoraux afin d’exclure des prochains scrutins de janvier son parti et sa coalition politique ?
 
Sur les flancs d’une réponse à trouver dans la question, la démarche est elle-même un appel à la transhumance politique à l’intention de responsables d’opposition. Audience dans le saint des saints de la présidence, photos virales, enveloppes, pistons, trafic d’influence… La liste des «avantages» pour ceux qui franchiront le Rubicon est si longue… Avis aux amateurs intéressés !
 
Néanmoins, cette séquence du saccage des principes moraux élémentaires de la politique et de la démocratie par la plus haute autorité du Sénégal a quelque chose d’utile au moment où circule un projet de charte contre la violence politique. Pour ses promoteurs dont on ne doute pas de la bonne foi, voilà peut-être un indicateur grandeur nature d’un vrai chantier dont l’accomplissement serait utile pour le Sénégal  et sa démocratie.
 
 
 
 
 
 

CSM - Que cherche Macky Sall derrière le redéploiement massif des magistrats dans les Cours d’appel à deux mois des élections locales ?
Les Cours d’appel, maillon essentiel des élections et des contentieux électoraux, ont fait l’objet d’un grand chamboulement voulu par le Président de la République à quelques semaines des scrutins municipaux et départementaux. Que cherche-t-il ?
 
Il est difficile de ne voir derrière les redéploiements massifs opérés hier par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) qu’une banale volonté administrative de mieux faire fonctionner l’appareil judiciaire. Birahime Seck, Coordonnateur général du Forum civil, a plusieurs fois sonné l’alerte pour dénoncer « le refus (du Président de la République) de tenir (à date échue) la réunion du Conseil supérieur de la magistrature », un acte qui, à ses yeux, « relève de la mauvaise gouvernance judiciaire. » Ni la présidence ni la chancellerie n’ont jamais apporté des explications officielles sur ce black-out judiciaire. Mais après la session tenue enfin ce 22 novembre, on en comprend peut-être une des raisons.
 
La partie essentielle et dominante des nominations intervenues concerne les six Cours d’appel qui existent au Sénégal (Dakar, Thiès, Kaolack, Ziguinchor, Saint-Louis et Tambacounda) et dont les compétences s’étendent aux autres juridictions du pays.
 
« La Cour d’appel statue sur les litiges relatifs aux élections des conseils municipaux et régionaux… (Elle) veille au déroulement des opérations de vote, à la régularité du scrutin, au recensement des votes et procède à la proclamation des résultats provisoires », lit-on sur le site du gouvernement sénégalais.
 
En rapprochant ce grand chamboulement de la magistrature de la tenue des élections municipales et départementales du 23 janvier 2022, le Président de la République semble viser des objectifs précis dont le moindre parait évident : peser politiquement sur l’issue de ces joutes locales qui soulèvent une grande passion de part et d’autre de l’espace politique et citoyen.
 
Le rôle transversal essentiel des Cours d’appel dans l’issue des élections politiques n’est plus à démontrer eu égard aux nombreux contentieux qui peuvent en découler.
 
A cet égard, il y a un système de pantouflage politique qui est mis en œuvre par le Président de la République, notamment à Saint-Louis. La grande ville du Nord sera le théâtre d’une dure bataille politique dans laquelle est impliqué le maire sortant Mansour Faye, à la fois ministre des Transports terrestres et du Désenclavement et beau-frère du chef de l’Etat. Les nominations du CSM concernant Saint-Louis ne sont donc pas neutres.
 
Le « pantouflage » concerne le magistrat Cheikh Niang. Jusqu’ici en détachement à la présidence de la République, il devient président de chambre à la Cour d’appel de Saint-Louis. Un nouveau poste qu’il va cumuler avec les fonctions de secrétaire général de cette même juridiction. Comment ne pas voir derrière cette « mission-commando » une volonté manifeste et assumée du Président Sall de « suivre » de près le scrutin local en sa faveur ?
 
Les autres nominations dans cette juridiction concernent Gorgui Diouf (président de Chambre), El Hadj Alla Kane (Conseiller), Yaya Amadou Dia et Thiéyacine Fall (Substituts généraux).
 
A la Cour d’appel de Dakar, sont intervenues treize nominations. L’une d’elles concerne un vieux routier de retour au premier plan après une longue disparition derrière les radars de Thémis, en l’occurrence Ousmane Diagne, nouveau procureur général.
 
Dans les autres cours d’appels, de nouveaux premiers présidents ont été désignés par le Conseil supérieur de la magistrature : Habibatou Babou (Thiès), Souleymane Sy (Kaolack), Mamadou Dème (Ziguinchor) et Waly Faye (Tambacounda).
 
La question du timing concernant la tenue ici et maintenant du Conseil supérieur de la magistrature reste entière, de même que les profils choisis pour diriger les cours d’appel.
 
Comment les magistrats subitement nommés pour présider les juridictions en charge des élections locales du 22 janvier prochain vont-ils se comporter face aux contentieux potentiels ? Qu’en sera-t-il des contentieux actuels concernant les listes de partis et de coalitions d’opposition rejetées par des préfets et dont l’issue pourrait être tranchée par les nouveaux patrons des cours d’appel ?
 
Question de redevabilité, il n’est pas toujours aisé, au plan psychologique, de devoir fermer les yeux sur les déboires (électoraux) de son bienfaiteur, surtout en politique. Mais c’est le jeu de la démocratie et de l’intérêt général qui doit primer en toutes circonstances, quels que soient les états d’âme du prince.
 
 

Colin Powell, chef de la diplomatie US, lors de sa fameuse "démonstration" à l'ONU sur les "armees de destruction massives" de l'Irak.
Colin Powell, chef de la diplomatie US, lors de sa fameuse "démonstration" à l'ONU sur les "armees de destruction massives" de l'Irak.
Rendre hommage à Colin Powell en fermant les yeux sur ses responsabilités criminelles en Irak (et ailleurs) est l'expression d'une appartenance à une coterie d'intérêts politiciens où la vie de plusieurs milliers d'Irakiens ne pèse pas un centigramme.
 
Du haut de la tribune de l’Organisation des Nations Unies (ONU), ce monsieur a froidement menti et assumé son mensonge devant la planète entière. Contre toutes les évidences qui lui étaient opposées, il a défendu bec et ongles la thèse (fausse) de la possession par l’Irak de Saddam Hussein d’une quantité dangereuse d’armes de destruction massives considérées comme une menace pour la sécurité du monde.
 
Il a fermé les yeux sur l’antithèse (vraie) d’un canular fondamental de l’Administration Bush en bloquant toutes les missions de bonne volonté dont celle portée à l’époque par la France de Jacques Chirac. Le discours à l’Onu Dominique de Villepin, alors chef de la diplomatie française, restera à cet égard un moment essentiel de l’histoire des Nations Unies. Ses propos pulvérisèrent les certitudes fabriquées d’un Colin Powell obnubilé par l’exécution inconditionnelle et pressante des desseins géostratégiques que ses commanditaires néoconservateurs qui avaient pris en otage la Maison Blanche et les Etats-Unis avaient pour le monde, notamment dans la zone névralgique du Moyen-Orient.
 
Quels prix et poids pouvait avoir son repenti après que son manque de courage, sa faiblesse et ses ambitions de pouvoir ont ouvert la voie à une criminalité de masse dont lui et ses acolytes se sont rendu coupables ? En Afrique, de petits chefs de gangs présumés criminels de guerre, plus malfrats cupides de ressources minières que visionnaires politiques, attendent leur jugement dans les couloirs de la prison de Scheveningen à la Haye. Devant la Cour pénale internationale (CPI), la plupart sont certains de s’en sortir avec la perpétuité ou plusieurs dizaines d’années de bagne. En quoi seraient-ils plus coupables et criminels que Colin Powell, par exemple ? Il est vrai qu’en Afrique et qu’en Asie, la mort provoquée de milliers de personnes n’est jamais plus qu’une information brève, consommable à chaud et vite oubliée, en attendant les prochains cadavres.
 
Ceux qui disent avoir travaillé avec Powell et qui lui rendent si bruyamment hommage, chez nous et ailleurs, ne peuvent avoir été que des objets d'influence au service de puissances étrangères auxquelles ils ont prêté allégeance d’une manière ou d’une autre, à un moment où à un autre de leur carrière/vie. Pour certains d’entre ceux-ci, en particulier au Sénégal, l’histoire récente a montré qu’ils ne valaient pas forcément un dollar.  
 
 

Les réflexes autoritaires de retour
Depuis quelques semaines, c’est le retour à la case-départ dans la gestion des « autorisations » liées aux manifestations publiques. Un tour de vis systématique est ainsi appliqué aux demandes citoyennes concernant l’exercice de libertés publiques constitutionnelles. C’était le cas ce week-end avec l’interdiction d’une marche contre la cherté des denrées alimentaires de première nécessité. Ce fut déjà le cas la semaine dernière en banlieue dakaroise. Ici et là, des citoyens ont été arrêtés, brutalisés, privés de libertés pendant des heures, relâchés… Et rebelote sans doute sous peu.
 
En revenant à la règle illégale des interdictions systématiques sous prétexte d’anticiper le « trouble à l’ordre public », le président de la république, par l’entremise de sa préfecture politisée, réenfile le sombre costume de la répression qui caractérise sa conception autoritariste du pouvoir. Or, il y a quelques mois, ses propres certitudes avaient été dangereusement secouées par une violente insurrection politique. L’une des branches de cette rébellion fut justement de mettre un terme au bâillonnement des libertés minimales dont les citoyens d’une démocratie, même de moyenne qualité, sont en droit de jouir. C’était la réponse à un processus de normalisation stalinienne de principes démocratiques immuables et inviolables sacralisés par la Constitution. Désireux subitement de sauver son pouvoir, Macky Sall abdiqua sans demander son reste.
 
Six mois après, comme s’il attendait que la bourrasque de mars 2021 perdît de sa puissance, le voilà qui retombe dans ses vieux réflexes impérieux, oubliant que c’est son autoritarisme primesautier qui fut l’une des causes de ces événements sanglants. Les forces de l’ordre sont de retour sur scène, sous les accoutrements préférés de politiciens cyniques : ceux de la répression. Au nom du principe de déclenchement des causes et des effets, il n’est pas certain que cette voie soit la mieux indiquée pour assurer la paix sociale.
 
 
 

Coalition d'opposition "Yewwi Askan Wi" : un pari audacieux, des garanties fragiles
C’est un grand défi politique que l’opposition initiatrice de la coalition «Yewwi Askan Wi» («Libérer le pays») s’est lancée à elle-même pour mener un projet alternatif au pouvoir en place et qui reste à imaginer. Cette volonté de rassemblement, préalable à tout renversement éventuel des rapports de forces en vigueur et chronométré sur l’horizon des trois prochaines années, est pétrie de bon sens. Elle résulte de plusieurs ambitions dont celle de rendre possible « le contrôle effectif du processus électoral (pour) garantir au peuple sénégalais une expression libre, transparente et démocratique de son suffrage », comme indiqué au point 5 de la Charte signée par une vingtaine de partis et de mouvements politiques. Du reste, cette jeune coalition (seulement) électorale concrétise plusieurs mois de tractations secrètes, difficiles, laborieuses dont l’aboutissement espéré par les signataires devrait être un changement de régime à l’élection présidentielle de février-mars 2024. Mais là, on entre dans une autre histoire…
 
Pour l’heure, la crédibilité de «Yewwi Askan Wi» se joue dans sa capacité immédiate à trouver une réponse globale cohérente au casse-tête des élections municipales et départementales de janvier 2022 avec un système électoral dont la cruauté n’a d’égale que la clarté. La guerre des places y fera rage, les suspicions d’accaparement du processus de décision n’y manqueront pas, les procès en sorcellerie autour du thème des « grands et petits partis » s’y poseront. Pire, les chantages publics assis sur le refrain «retenez-moi ou je pars et je balance» pourraient l’affaiblir ; les frêles d’épaules, les convaincus fragiles et les petits capricieux se feront un plaisir malin à transformer en bulles médiatiques des points mineurs ou accessoires liés au fonctionnement des instances appelées à être mises en place ; et certains trouveront les moyens d’aller voir ailleurs sous mille et un prétextes après quelques exercices de grand écartement... Ces scénarii sont objectivement prévisibles car la diversité des origines, des profils et des histoires qui composent l’entité le préfigure, et ce ne serait pas une nouveauté. Cela aussi, c’est une autre histoire…
 
Au-delà d’une défaite ou victoire éventuelles à ces joutes locales, c’est la maîtrise de son destin triennal qui se joue pour «Yewwi Askan Wi». C’est le degré de maturité, de responsabilité et d’engagement dont ses membres sauront faire preuve ou pas qui déterminerait l’avenir de la coalition. Comment se projeter aux législatives cruciales de juillet 2022 si l’expérience fait pschitt quelques mois seulement après son inauguration ?
 
Entrent alors en compte divers facteurs liés au management de cet instrument politique au service d’ambitions plurielles et légitimes. Le respect de la dignité des uns et des autres, grands et petits partis, groupuscules et mouvements, l’équité dans la distribution des rôles et responsabilités, la discipline totale par rapport au respect des principes de la charte et l’implication effective et optimale des forces disponibles pour tirer le meilleur de chacun et de tous constitueront en gros le substrat fondamental par lequel cette coalition pourra entrevoir l’avenir avec un optimisme mesuré. C’est le minimum d’efforts à faire pour s’éviter les coups de boutoirs d’une majorité présidentielle théoriquement plus forte, pratiquement mieux préparée, décidée à prolonger le plus longtemps possible sa mainmise absolue sur le pouvoir local en amont des législatives et de la présidentielle à venir.
 
En fin de compte, l’entreprise «Yewwi Askan Wi» est assurément périlleuse dans un contexte de divergences profondes entre pouvoir et oppositions relatives à la conduite du processus électoral. Pour les élections locales de janvier prochain, la coalition Benno Bokk Yaakaar part favorite, grâce ou à cause de la prédominance d’un système majoritaire impitoyable, mais aussi et surtout grâce à son monolithisme, à ses moyens financiers quasi illimités, à l’influence qu’elle peut exercer sur les administrations déconcentrées corrompues qui, à l’échelle du territoire, sont enclines à jouer le jeu antirépublicain du pouvoir central. C’est une constante du fonctionnement des joutes politiques sénégalaises. C’est toute l’ambigüité et l’escroquerie que peut supporter la démocratie sénégalaise dans ses heures sombres parrainées par des potentats avides de puissance éternelle.
 
Mais l’histoire n’est jamais totalement ingrate : en 2009, c’est à des élections locales que le Président Abdoulaye Wade a entamé la descente aux enfers qui allait faire le lit de sa chute trois ans plus tard. Autre temps, autre contexte, autres acteurs… Autant d’éléments qui fragilisent a priori le pari du « Grand Soir » que portent les « rêveurs » qui ambitionnent de «libérer le pays» et ses habitants… Là, c’est une vraie histoire qui demande à naître.
 

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