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EDITORIAL
Protéger le Forum civil contre la domestication !
La succession de Mouhamadou Mbodj comme Coordonnateur général du Forum civil du Sénégal était très attendu depuis son rappel à Dieu au mois de mars dernier. Mais comme toujours dans nos organisations politiques et syndicales, la transmission de l’héritage ne semble pas devoir se dérouler de la meilleure des manières. Il faut juste souhaiter que la raison l’emporte sur la passion et sur des ambitions dangereuses pour la survie de cette «institution».
 
En réalité, ce qui est inacceptable et incompréhensible, c’est que Me Moussa Félix Sow (photo) qui était l’adjoint de Mbodj, en arrive (s’il est vraiment candidat) à vouloir prendre la direction du Forum civil. Dans l’absolu, lui et tous les autres membres de l’association ont la dignité qui leur confère le droit de postuler à diriger l’organe. Mais dans le principe, il est évident que Me Sow a perdu cette légitimité fondamentale. Avocat de l’Etat du Sénégal dans plusieurs dossiers judiciaires lourds et complexes, il affaiblirait et discréditerait grandement le FC s’il venait à en prendre la direction.
 
L'éthique et l’action citoyenne désintéressée, marques distinctives du Forum civil sénégalais, lui suggèrent forcément une posture autre que celle qui conduit inéluctablement à la scission d’un instrument d’utilité publique incontestée. Une équipe jeune, indépendante, compétente et crédible apparaît comme l’alternative qui protègera le Forum des appétits d’un pouvoir qui, dans le fond, se passerait bien d’un contre-pouvoir prestigieux à ses basques.
 
La quasi-totalité des leviers qui étaient en mesure d’équilibrer un tantinet les rapports entre les institutions du champ démocratique ont été neutralisés, domestiqués, détruits d’une manière ou d’une autre. L’Ofnac est mort après un seul rapport ; l’IGE appartient de fait au Président de la République ; la Cour des comptes est dépassée ; l’Inspection générale des finances (IGF) obéit au ministre de tutelle ; etc.
 
Il ne faudrait pas que le Forum civil, à son tour, soit passé à la moulinette parce qu’un «agent» de l’Etat se serait débrouillé pour le faire tomber entre ses mains au profit d’une puissance ombrageuse qui en ferait une coquille vide. Perspective hallucinante qui rajouterait au cimetière des machins dormants un «Forum civil Forces du changement» (FcFc).
 

Macky Sall, un facteur de violences
Les procédés, menés au pas de charge sous nos yeux, visant à se substituer au peuple souverain en éliminant des adversaires politiques par le truchement de la «loi» ont fait le lit de graves troubles de toutes sortes dans beaucoup de pays africains. Ils ont été des points de départ à l’institutionnalisation de structures et pratiques de violences durables qui ont grandement affaibli des Etats, déstructuré leurs tissus sociaux, compromis leurs perspectives d’émergence et de développement.
 
L’instrumentalisation d’une colonne du pouvoir judiciaire par le président Macky Sall pour mettre hors circuit des candidats déclarés à une élection présidentielle à venir est trop grotesque pour relever du libre fonctionnement d’une institution capitale à la stabilité du Sénégal. Le caractère flagrant du détournement politique planifié et orchestré de services qui devaient être publics et impersonnels interpelle ici et maintenant en regard du potentiel de violence susceptible d’exploser d’une manière ou d’une autre, au grand dam de tous. S’il est avéré que la violence institutionnelle d’Etat en cours est illégitime, jusqu’où ceux qui en pâtissent au nom des ambitions d’une classe politicienne régnante accepteront-ils de ne pas franchir le Rubicon qui écarte de la paix sociale ?  
 
En cela, le futur chef de l’Etat sortant est en lui-même un puissant facteur de violences dont les aventures entamées depuis plus de six ans ont dérégulé le fonctionnement normal de la démocratie et de ses supports institutionnels. Son autoritarisme primesautier légalisé aux forceps apparaît comme une bombe à retardement en errance et contre laquelle il faudra se prémunir.
 
D’où la nécessité absolue et urgente que les voix présumées autorisées dans ce pays (confréries musulmanes, Eglise catholique, chefs traditionnels, citoyens encore intéressés par l’avenir du Sénégal et autres voix porteuses d’influence) se bougent pendant qu’il est encore temps ! Demain, peut-être, sera-t-il trop tard. A force de tirer encore et encore sur la corde qui étouffe les droits inaliénables de franges politiques tyrannisées par des lois scélérates, l’irréparable se produira.
 
La compétition démocratique autour de la conquête du pouvoir est inséparable de l’application intransigeante des principes de loyauté, de justice et d’équité. Si le cas contraire devait être vrai, le président de la république, ses sympathisants et les troubadours situationnistes qui l’accompagnent dans ses aventures doivent se convaincre alors qu’ils auront transformé le Sénégal en une vilaine démocrature dynastique du 21e siècle. Et il n’est pas certain qu’ils échappent au cataclysme, malgré tout !
 
 

L'Hoggy, incapable de payer ses dettes, pénalise beaucoup d'entreprises-fournisseurs.
L'Hoggy, incapable de payer ses dettes, pénalise beaucoup d'entreprises-fournisseurs.
On ignore ce que valent les nouvelles générations de responsables politiques, hauts fonctionnaires, entrepreneurs, etc. qui aspirent à exercer le pouvoir face à l’incurie des politiciens professionnels qui se relaient aux affaires depuis plusieurs décennies. Leurs pratiques futures éventuelles nous parleront certainement.
 
Ce que l’on sait par contre, c’est qu’il y a sous nos yeux une race de dirigeants incapables d’apporter de la vraie plus-value à ce pays et à ses habitants. L’ampleur des investissements non productifs qui se chiffrent à plusieurs centaines de milliards de francs Cfa, le choix délibéré de favoriser de façon démesurée les entreprises étrangères dans la plupart des projets et programmes dits structurants, expliquent en grande partie l’atonie actuelle qui caractérise l’écosystème national des petites et moyennes entreprises/industries.
 
Des centaines de Pme et Pmi sont aujourd’hui plongées dans un cycle infernal de fragilisation qui n’augure rien de bon pour leur avenir à moyen terme. Elles ne sont plus payées faute de liquidités. Pour celles qui travaillent depuis plusieurs années avec les hôpitaux, c’est le temps de la détresse : les hôpitaux eux-mêmes sont exsangues, traînant leurs dettes sans grand espoir de sortir de l’ornière dans laquelle l’Etat les a installés. Les crises de trésorerie qui sont alléguées comme étant la source du mal ne semblent pas loin d’être le résultat d’une faillite financière que l’on s’attache à dissimuler à coup de communication.
 
Aujourd’hui, démarrent pour les organisations politiques et mouvements citoyens désireux de prendre part à l’élection présidentielle du 24 février 2019 les opérations visant à obtenir le parrainage quantitatif requis par la loi. On en oublierait presque les conditions, le contexte et les modalités dans lesquels ce système filtrage a été institué par un président de la République qui a décidé de reporter ses espoirs de réélection dans la soumission d’une machine bureaucratico-judiciaire qu’il s’est acharné à mettre en place depuis son arrivée au pouvoir, il est vrai dans des circonstances exceptionnelles. Le veinard…
 
 

Me Ciré Clédor Ly, un des avocats du maire de Dakar
Me Ciré Clédor Ly, un des avocats du maire de Dakar
On n’en peut plus d’assister à ce scandale permanent qu’est devenue l’affaire Khalifa Sall, accentué par les doutes et les indécisions d’un procureur général qui ne sait plus sur quel pied danser, et par la raideur d’un président de Cour d’appel visiblement mal à l’aise de devoir systématiquement dire «niet» à toutes (ou presque) les requêtes des avocats de la défense.
 
La rupture judiciaire induite par l’arrêt de la Cour de justice de la Cedeao et écartée d’autorité semble avoir pollué un procès d’une nature rare en Démocratie. Le retrait (temporaire ou définitif) des conseils du député-maire de Dakar de cette entreprise de liquidation d’une adversité politique était attendu de tout le monde, même des plus fervents "fedayin" de la mouvance présidentielle.
 
La question est donc ailleurs et peut être posée derechef: pourquoi nos hommes politiques et certains de nos magistrats vouent-ils une haine si fondamentale aux institutions dont ils sont les premiers animateurs, un irrespect si assumé au peuple souverain qui est l’émanation des actes qu’ils posent chaque jour dans l’exercice de leurs fonctions ? Estiment-ils que les «gens» qui les regardent faire soient dupes de certaines de leurs combines ensevelies sous des draps légaux ?
 
En refusant de s’adresser à un "mur", la défense du député emprisonné depuis 16 mois rend ridicules les "commanditaires politiques" du procès et met les juges et magistrats face à leurs responsabilités professionnelles et éthiques. Comme quoi, le courage du (haut) fonctionnaire devant le Prince restera toujours un baromètre puissant du fonctionnement normal – ou piégé - de l’État de droit.
 
 

Quand l’égocratie supplante la démocratie
Le flagrant délit permanent ! Cette expression qui date de la fin des années 80 est attribuée au magistrat Abdoulaye Gaye, ancien procureur général, alors aux prises avec les turbulences démocratiques que l’opposant Abdoulaye Wade imposait à un Abdou Diouf impopulaire et reclus dans ses appartements du palais de la république. Ce «délit» théorisé de toutes pièces a servi à condamner le chef du Sopi tout en lui imposant des «compromis» politiques qui n’empêcheront pas pour autant la chute du régime socialiste.
 
Trente ans plus tard, le flagrant délit permanent s’est mué en dogme politique œuvre du régime incarné par le chef de l’Etat élu en 2012. Un virage qui installe le pays et ses institutions dans un ridicule dont il sera difficile de trouver un pendant dans l’histoire. En fait, Macky Sall, en lieu et place de la démocratie, impose peu à peu l’Egocratie, ce vilain système de gouvernement qui fait de sa personne le centre de la vie politique sénégalaise.
 
Cette descente aux enfers de la pratique politique démocratique est caractérisée par deux faits majeurs cuisinés dans les antichambres du pouvoir en place : le dossier Karim Wade et l’affaire Khalifa Sall. Dans les deux cas, alors que le gouvernement pouvait en tirer des dividendes certains, Macky Sall se retrouve pris dans la posture du bourreau sans loi que celle de ses ambitions, contraint d’adopter une fuite en avant porteuse d’incertitudes, pas seulement pour lui-même et ses clans du centre et de la périphérie, mais pour la nation entière.
 
Son égoïsme opérationnel est synonyme de dangers car sa conception du pouvoir et de la gouvernance le place au dessus des intérêts du Sénégal. C’est factuel. Au lieu de concentrer ses efforts à réclamer à Karim Wade les 138 milliards de francs Cfa auxquels celui-ci avait été condamné par la Cour de répression de l’enrichissement illicite, il s’en désintéresse pour se suffire de la non présence négociée ou suggérée de l’ancien ministre d’Etat à la présidentielle de février 2019.

Est-ce acceptable, ce sacrifice de l’intérêt général, de la part du premier magistrat de ce pays ? Sous cet angle personnalisé des rapports politiques, les institutions deviennent naturellement des instruments d’accaparement d’un processus électoral programmé à être vicié comme il l’a été aux législatives calamiteuses de juillet 2017.
 
Avec le dossier Khalifa Sall, on est en plein dans le ridicule et le déni de justice. Au-delà des arrangements du maire de Dakar avec la gestion de la caisse d’avance, il y a lieu de dénoncer cette machinerie d’Etat qui s’est acharnée sur l’édile en chef de la capitale déclaré coupable d’un délit d’ambition inconnu  en droit sénégalais. Ici comme ailleurs, la raison commandait de s’en tenir à des décisions de justice rendues au seul nom du peuple souverain, on n’en a jamais été proche tant l’arrogance des autorités dépasse l’entendement. L’accueil qu’elles ont réservé au jugement rendu par la Cour de justice de la Cedeao en faveur de Sall est une porte ouverte pour sortir d’une impasse due imputable à une volonté de puissance mal pensée et donc mal cousue.
 
Pourtant, à un moment ou à un autre, il va falloir se retrouver dans une autre dynamique, loin de la démesure. C’est au président de la république de revenir à plus de raison, par exemple en mettant définitivement sous le coude des instincts dictatoriaux en rupture avec ces standards démocratiques qui lui ont ouvert les portes du pouvoir, sans parrainage, ni manipulations des lois, encore moins chasse aux sorcières. C’est à ce prix bien peu élevé pour des personnes sensées et patriotiques que l’apaisement reviendra dans l’espace politique. La roue de l’histoire tourne trop vite aujourd’hui, intraitable, imprévisible, souvent impitoyable, tant les peuples peuvent être encore jaloux de leur souveraineté… (Cet article remanié est paru dans le quotidien "Tribune" du Lundi 9 juillet)

 
 
 
 
 

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