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EDITORIAL
Mamadou Badio Camara, président du Conseil constitutionnel (photo Emedia)
Mamadou Badio Camara, président du Conseil constitutionnel (photo Emedia)

Avec les récriminations fleuves lancées contre le Conseil constitutionnel et ses méthodes de gestion des parrainages, il y a une nécessité politique, démocratique et morale que son président et les membres de la commission de contrôle répondent publiquement aux interpellations - nombreuses - qui leur sont adressées par des candidats à l’élection présidentielle du 25 février 2024. Ces accusations sont extrêmement graves et ne contribuent point à polir - loin s’en faut - la face d’une institution qui ne brille déjà pas spécialement pour sa bonne…réputation auprès de nombreux sénégalais. 

 

Aminata Touré, ancienne première ministre, balance en public une bombe qui aurait dû prendre la dimension d’un scandale d’Etat. Elle soupçonne ou soutient que c’est le fichier électoral de 2017 qui a servi de base au contrôle de ses parrains. Vrai ou faux ? 

 

Au Pastef, le chargé de communication et les experts informatiques du candidat Bassirou Diomaye Faye - recalé pour un deuxième passage - sont arrivés à la conclusion suivante :

« 98% des éléments faisant l'objet de rejets (12,375) sont des éléments étrangers au fichier qui a été déposé auprès du conseil constitutionnel.

Notre coalition est en totale capacité de démontrer preuve à l'appui que les éléments précisés dans le fichier de rejet ne sont pas conformes aux données transmises au conseil constitutionnel à travers une clé USB scellée. »
 

Qu’en pensent le président Mamadou Badio Camara et ses collaborateurs ?

 

Premier à avoir franchi le filtre du parrainage au premier jour des travaux, le candidat Boubacar Camara Kamâh a très tôt tiré la sonnette d’alarme en ces termes :

« Sur 58 975 parraina déposés, 6069 sont introuvables dans le fichier électoral. (…) Nous réclamons du Conseil constitutionnel que tous les candidats disposent du fichier électoral. » Il y a urgence.


Cependant, rien ne dit que les critiques formulées contre le système de contrôle des parrainages sont totalement avérées. Mais si c'est le silence qui est opposé aux protestataires, qui faudrait-il croire ? 

 

Le Conseil constitutionnel est le juge du contentieux politique dans notre pays. A l’orée de la tenue d’un événement quinquennal majeur dont l’issue va engager l’avenir de 18 millions de Sénégalais, il est parfaitement inconcevable qu’il continue de faire le dos rond face aux interpellations qui l’assaillent de toutes parts. Son président doit répondre aux inquiétudes et interrogations des acteurs politiques sur sa gestion du parrainage. Continuer de se taire alors qu’il y a devoir d’éclairer la lanterne des Sénégalais relèverait de l’arrogance et de l’irresponsabilité. C’est sa crédibilité dans cette phase lourde et délicate du processus électoral qui est en jeu.  

 

Du reste, il n’est pas superflu de rappeler que le Conseil constitutionnel est une institution publique de la République du Sénégal et non un groupe privé qui serait affilié à des clans politiques installés au coeur de l’Etat. C’est donc seulement en assumant avec justice, équité et transparence les responsabilités que la loi lui a assignées qu’il peut se considérer digne de la mission.

Toutes choses étant égales par ailleurs, ce n’est pas en s’enfermant entre quatre murs ou perchés dans une tour d’ivoire inaccessible au commun des Sénégalais que ses membres gagneront l’estime de leurs compatriotes. Leur légitimité est substantiellement tributaire de leurs capacités à appliquer la loi (qu’il faut) au nom du peuple souverain. De lui seul. Ce qui requiert néanmoins un brin de courage et de dépassement de soi dans un contexte périlleux pour notre pays.


 

 

Macky Sall à Genève, l’énième pied-de-nez à la démocratie et aux droits humains

A Genève ce 12 décembre de l’an 2023, Macky Sall a encore frappé. Pas sur la table, comme il en a l’habitude pour faire diversion. Mais en farfouillant, avec une vraie solennité, dans un tas de grands et nobles principes qui, à l’épreuve réelle de l’exercice du pouvoir en mode autoritaire, ne sont clairement pas de ses valeurs intrinsèques, du moins en politique. Au factuel de ses douze ans de pouvoir, le chef de l’Etat sénégalais devrait être considéré comme un indiscutable et tragique dynamiteur des principes de droits humains et de démocratie. Pour cette raison, sa place véritable devrait être au ban de la ‘’communauté internationale’’. 

 

Au moment où il dissertait, en particulier, sur les droits de l’Homme aux Nations unies à Genève dans le style convenu qui est en vigueur dans le monde restreint et feutré des ‘’décideurs’’ politiques, le président sénégalais ignorait sans doute - ou pas du tout - qu’à 4000 km de lui - chez lui en fait - une candidate déclarée à la présidence de la République et son convoi étaient l’objet de harcèlements de la part des forces de police de son régime. D’autres personnalités politiques porteuses de la même ambition pour notre pays font régulièrement l’objet de telles tracasseries depuis plusieurs mois, sur la base de…rien. Ce phénomène tyrannique porté par un corps administratif politisé et exécuté par des mains répressives, semble s’être institutionnalisé, ne cachant même plus son caractère partisan et ses visées hégémoniques. Et au lendemain de la sortie présidentielle sur les bords du Lac Léman, une vingtaine de militants politiques d’opposition humait l’air de la liberté après avoir passé, pour certains, huit à neuf mois de prison, tandis que les sièges de certains partis politiques légalement constitués font souvent l’objet de barricades administratives ! 

 

Démocratie sur mesure

 

La descente aux enfers de la démocratie au Sénégal comporte plusieurs chapitres pas forcément prévus dans la nomenclature mondialisée des droits et devoirs censés régir une démocratie digne de ce nom: sur-domination globale du parti au pouvoir et satellites, protection et promotion assurées aux délinquants présumés dans toutes affaires, travestissement contrôlé des règles de la compétition politique, ciblage et flicage des opposants non accommodants, gouvernance économique et financière fâchée avec le minimum de transparence publique, non publication de plusieurs rapports de contrôle d’organes de l’Etat, etc. Des exemples existent jusqu’à la caricature!

 

En réalité, et cela est connu et reconnu depuis belle lurette, Macky Sall a sa conception crypto-personnelle des droits humains et de la démocratie. Et c’est cela l’étincelle génératrice des graves crises politiques et judiciaires qui ont valu au pays la tragédie de plusieurs dizaines de personnes tuées depuis presque trois ans. Etre président de la République doté de pouvoirs exorbitants ne lui suffit pas. Demeurer le coeur battant de l’Etat tout-puissant qui gomme et dégomme á sa guise, non plus. Avoir la main qui peut devenir gâchette - souvent facile - contre qui il veut, comme il veut et quand il veut dans la quasi totalité des institutions, ça n’est pas toujours suffisant. Il lui faut aussi asservir toute résistance potentielle ou présumée au principe du Pouvoir global et absolu auquel il aspire. C’est un régent. Evidemment, une telle volonté de puissance ne pouvait être clamée dans ses propos de Genève. Or, c’est la clef des souffrances sénégalaises depuis 2012. Le reste n’est que posture et faire-semblant d’un politicien au double langage porté par Dr Jekyll et Mr Hyde et dont on verra, un jour ou un autre, le tort incommensurable infligé au Sénégal.

 

Brimades et vies brisées 

 

Du reste, Genève et son discours mielleux ne sont que l’antithèse de Kaffrine. C’est dans cette contrée sénégalaise que Macky Sall avait pour la première fois politiquement et moralement dérapé en théorisant son fameux projet de « réduire l’opposition á sa plus simple expression ». Un propos refoulé qui lança l’offensive de la politique d’intolérance et de répression qui s’abat sur ses adversaires politiques depuis. Grisé par le pouvoir et ses effluves, il se rendit compte très vite de son impopularité et des limites de sa méthode de gouvernement lors des événements tragiques de février-mars 2021. Mais il se réfugia dans le déni, préférant plutôt renforcer les outils de répression contre ses adversaires politiques qu’il finit, de guerre lasse, par traiter comme des hordes terroristes. La marque indélébile des régimes autoritaires refit alors surface: lorsqu’ils perdent la bataille de l’opinion, ils se rabattent dans la politique de terre brûlée, souvent de nature judiciaire, pour tenter de carboniser leurs opposants.

 

A quelques semaines de sa fin de règne, le président Sall s’attache péniblement, obstinément, à corriger le grand désastre de sa gouvernance des droits humains et de la démocratie au Sénégal. Ses virées se multiplient dans les cénacles internationaux pour polir son image et contrer les faits et actes qui documentent la brutalité de son pouvoir. Son empathie calculée, ses compétences douteuses et l’estime bien sentie de sa personne lui auront rendu un mauvais service. Il est possible que ses courtisans et ceux qui ont colatéralement profité des grâces et subsides de son régime le regrettent lorsqu’il passera le pouvoir à un successeur en avril 2024. Mais il est probable qu’il restera un souvenir douloureux pour toutes ces vies brisées par les brimades de son magistère violent sur ce Sénégal et ces Sénégalais qu’il ne semblait pas aimer. 

Macky Sall et son rapport aux droits humains et à la démocratie ? Comme un saut dans une piscine vide !

 

La re-publication de cet article de septembre 2023 découle du nouveau contexte imposé par l'annulation de l'élection présidentielle du 25 février 2024 et l'allongement du mandat présidentiel de neuf mois. Une double faute politique d'un président viscéralement réfractaire à la démocratie et à l'expression des libertés individuelles et collectives consacrées par la Constitution.


Macky Sall, une haine de la démocratie
 
Macky Sall déteste la démocratie et il n’a pas de scrupules pour le mettre en évidence. Quoi qu’il en coûte aux autres, à toutes les victimes de sa volonté de puissance ! Le cynisme avec lequel il déroule un phénomène unique de destruction des bases démocratiques et républicaines de l’Etat du Sénégal ressemble à l’aboutissement d’un projet crypto-personnel visant à le faire entrer dans ce qui serait le Panthéon de l’Histoire politique de notre pays. Cœur battant de la gouvernance publique du Sénégal pendant douze ans, il est à craindre malheureusement qu’il finisse comme un quelconque petit architecte de petites histoires tragiques qui auront coûté la vie à plusieurs dizaines de jeunes sénégalais.
 
Les dérives de ce président autoritaire - sans envergure autre que celle à laquelle donnent accès la maîtrise et la manipulation des institutions de répression et d’asservissement - sont honteuses et scandaleuses dans un pays qui se voyait dans le périmètre d’une démocratie émergente. Elles sont également et surtout tragiques au vu du lourd bilan humain engendré par une intolérance maladive qui fait sauter les barrières de l’humain au profit d’un enclos où les opposants et citoyens exprimant naturellement leur liberté d’expression deviennent des animaux en dressage. En cage. C’est l’une des conclusions à tirer du traitement infligé aux centaines de personnes – hommes, femmes, jeunes, etc. – dont l’écrasante majorité est embastillée pour avoir exercé leur droit dit de résistance et/ou émis des opinions qu’une certaine autorité a cru nécessaire de criminaliser en usant du droit de la force.
 
Loi bafouée
 
A ce niveau de dérives qui ont outrageusement défiguré la démocratie sénégalaise et balayé le principe fondamental de libre exercice des libertés individuelles et collectives, il faut interroger le rapport que Macky Sall entretient avec la…loi. C’est terrifiant car c’est ici qu’il faut chercher les origines du cataclysme qu’est devenu le Sénégal en l’espace d’une décennie. Rappelons-nous que le 12 mai 2002, déjà ministre, notre ex-futur président est allé voter aux élections régionales, municipales et rurales sans pièce d’identité, violant ainsi les dispositions du Code électoral sénégalais. L’illusion du pouvoir semble lui avoir fait croire très tôt qu’il pouvait tout se permettre ! A partir de 2012, passé président de la république avec les pouvoirs du décret et de l’argent, le rêve devient réalité pour lui, pour notre propre malheur.
 
Guerre non conventionnelle
 
En vérité, cet homme est un adversaire de la démocratie, il en a la haine et le mépris. D’où l’agressivité et la violence tenace qu’il exerce chaque jour depuis son arrivée au pouvoir sur les institutions qui devaient être représentatives de la diversité des opinions politiques qui traversent le champ public et sur les hommes et femmes de ce pays qui vont à l’encontre de ses désirs. De la nouvelle assemblée nationale voulue par les Sénégalais, il en a trahi le message sorti des urnes au soir des législatives du 31 juillet 2022. En lieu et place, ses partisans l’ont transformée en machin destiné à en cacher l’inanité. L’autoritarisme, en esprit et en acte, ne fait jamais bon ménage avec la liberté, c’est le conflit permanent.
 
La guerre totale et non conventionnelle qu’il mène contre son principal opposant Ousmane Sonko renseigne sur les « risques » qu’il est disposé à prendre pour « sécuriser » les territoires inviolables de son autorité. Il ne lui suffit pas d’être président de la république, il lui faut être l’ordonnateur principal du jeu électoral, le démiurge qui en balise le chemin, le génie qui en sélectionne les acteurs principaux avec un focus marqué contre ceux qui ne lui font pas allégeance. On a bien vu comment et pourquoi il a fini par se « réconcilier » avec Khalifa Sall et Karim Wade, deux adversaires potentiels qu’il aurait dû affronter à l’élection présidentielle de février 2019 mais contre qui il a instrumentalisé la justice pour les en écarter. La torpeur et la faiblesse politique des deux « K » lui ont certes facilité la tâche de liquidation.
Avec Ousmane Sonko, c’est une toute autre histoire qui se déroule sous nos yeux et sous ceux du monde entier.
 
Rapport de force perdu
 
C’est avec le leader de Pastef – parti administrativement dissout – et ses camarades que Macky Sall démontre sa capacité à aller au bout de tout tant qu’il dispose de l’autorité et de la disponibilité d’organes de répression qui, apparemment, ne lui refusent rien. Mais paradoxalement, c'est á l'épreuve de la bataille livrée aux responsables et militants de Pastef et de leurs alliés de la coalition Yewwi askan wi que l’on voit pour la première fois au Sénégal un président de la république déserter le terrain de la politique pour transformer son régime en pouvoir de répression.
 
Depuis les événements meurtriers de mars 2021, Macky Sall a perdu le rapport de force politique qui l’opposait à Ousmane Sonko. Il n’a plus la main de la légitimité qui permet à un président de la république d’être en phase avec son peuple, avec les populations, avec le réel. Il ne survit au choc avec Ousmane Sonko que grâce au secours vital des institutions de répression que sont la police, la gendarmerie et la justice. De guerre lasse, il s’est replié dans ses derniers retranchements, auprès de fidèles qui hésitent à lui signifier qu’il est allé trop loin. Mais ici au moins, il se sent à l’aise avec un glossaire communicationnel résumé au strict minimum martial et auquel il est habitué : traque, rafle, arrestation, audition, mise en scène, victimisation, terrorisme, attaque, insurrection, ‘’retour de parquet’’, mandat de dépôt, emprisonnement, grève de la faim, réanimation, liberté provisoire, contrôle judiciaire, etc.
 
La décadence brutale de notre démocratie ne se discute pas, sauf chez celles et ceux qui ont intérêt à en nier l’évidence ou qui ont reçu l’ordre de la considérer comme encore « debout ». La faute à Macky Sall et à sa gouvernance hégémonique que rien ne justifie.
 
 

Sénégal, une démocratie déchiquetée
 
On l’a ! On l’a eu ! C’est le double cri de triomphe qui a pu être entonné quelque part dans les salons feutrés de plusieurs officines de la République après l’emprisonnement d’Ousmane Sonko par le doyen des juges d’instruction sur réquisitoire du procureur, suivi par l’annonce de la dissolution du parti Pastef (Patriotes du Sénégal pour le travail l’éthique et la fraternité). Pourtant, aucune de ces deux mesures substantiellement politiques ne peut constituer une surprise tant elles étaient devenues des sur-priorités dans les laboratoires du régime, là où prospèrent, dit-on, les ‘’vrais’’ complots contre la démocratie et l’Etat de droit. Quelle est la nature d’un régime qui dissout le premier parti politique d’opposition en termes de représentativité parlementaire et dont le leader, arrivé 3e à la présidentielle de février 2019, est vu comme un candidat très sérieux – pour ne pas dire le favori – à l’élection présidentielle de février 2024 ?
 
En obtenant (provisoirement) la peau et l’appareil politique du plus irréductible de ses opposants, le président Macky Sall ne devrait pas être fier d’une telle performance, au 21e siècle, dans un pays comme le Sénégal. Ce n’est pas la finalité malheureuse à laquelle on est arrivé qui est révoltante en soi. Ce qui est méprisable, c’est le cocktail de méthodes absolument ignobles mises en branle depuis deux ans pour éliminer un adversaire politique atypique contre qui il n’a jamais été possible de stabiliser un angle d’attaque porteur de résultats probants. Seule une insurrection à X dimensions a permis de le neutraliser. La démocratie sénégalaise est ainsi déchiquetée. Non parce qu’Ousmane Sonko et Pastef sont mis hors course, mais parce que les principes fondamentaux d’un Etat de droit juste et impersonnel sont trahis par l’activisme politicien de fonctionnaires partisans.
 
Personne n’est dupe et tous les observateurs le savent : Macky Sall a perdu le rapport de force politique contre Ousmane Sonko depuis belle lurette. Sa légitimité en souffre, lui-même sans doute, et il semble qu’il doive en être ainsi jusqu’à son départ du pouvoir le 2 avril 2024.
 
Dans cette faiblesse à la fois structurelle et organique, mâtinée d’une impopularité rarement égalée au sommet de l’Etat, Macky Sall s’est adossé de guerre lasse sur les piliers sécuritaires et répressifs de son régime pour s’assurer un semblant de survie. C’est cette option dramatique de la fuite en avant qui a engendré ces dizaines de morts recensés dans notre pays depuis les événements sanglants de février-mars 2021.
 
DEMOCRATIE SOUS TUTELLE
 
L’histoire n’est sans doute pas finie, mais la guerre violente que le pouvoir sénégalais a imposée à Ousmane Sonko et à ses compagnons de « projet » depuis les lendemains de la présidentielle de 2019 a confirmé une autre réalité tangible. Macky Sall a patrimonialisé la démocratie et imposé aux institutions de la République un devoir d’allégeance à sa volonté de puissance. Cette brutalité primaire dans l’action s’explique : l’alchimie de toute sa stratégie de domination repose sur le refus pathologique de se soumettre, en toute humilité, à la simplicité des lois qui organisent les élections au Sénégal. C’est cette peur bleue du suffrage universel loyal qui est le soubassement de sa campagne tragique contre l’opposant Pastef.
 
Tous comptes faits, le pouvoir se retrouve clairement en position de force, presqu’en roue libre, le chemin momentanément dégagé pour le « Bébé Macky » qui va servir de dauphin au Président. Pastef, quand à lui, va devoir se réinventer après moins d’une dizaine d’années d’existence. Ses centaines de milliers de militants et sympathisants ne disparaîtront pas de leur belle disparition après cette dure journée du 31 juillet 2023. Au contraire, il est à craindre pour le pouvoir qu’ils continuent de ferrailler contre lui d’une manière ou d’une autre, mais aussi qu’ils construisent leur redéploiement dans le champ politique sous des formes nouvelles dont les conséquences électorales finiraient par inquiéter le pouvoir en place.  
 
Onze ans après son arrivée au pouvoir et sept mois avant la fin de son second et dernier mandat, le chef de l’Etat a domestiqué un large spectre de l’espace politique sénégalais, remuant jalousement dans sa poche une liste interminable de vieux briscards politiciens ayant choisi de finir leur « carrière politique » en roue libre, sans stress, si possible sous les paillettes. C’était comme qui dirait la chance de sa vie, mais c’est la démocratie sénégalaise qui récolte les pots pourris et cassés d’une erreur de casting qui restera historique.

Sage capitulation !
 
Le bon sens a fini par l’emporter. Dans un excellent message à la nation délivré ce 3 juillet 2023, Macky Sall a reculé dans son « projet » d’imposer à la démocratie sénégalaise l’aventure d’une 3e candidature consécutive à l’élection présidentielle de février 2024. Aujourd’hui, il peut dire à la face du monde qu’il a tenu sa promesse et flatté son « code d’honneur » aux termes d’un suspens insoutenable. Cependant, il arrive que nécessité fasse loi, surtout en politique.
 
L’intransigeante détermination du peuple sénégalais à assurer la survie du modèle politique représentatif qui nous prémunit depuis des décennies contre toute sorte d’autocratie ne peut être exclue des facteurs de renoncement qui ont guidé Macky Sall. Les pressions constantes des mouvements de la société civile (mises à part celles qui se sont compromises publiquement ou en cachette avec le projet du pouvoir), des organisations politiques et, pour une fois, d’un consortium informel de journalistes sénégalais libres et conscients des enjeux de la question, ont substantiellement affaibli l’intention illégale et anticonstitutionnelle du déjà futur président sortant de briguer un nouveau mandat. Les avertissements, même diplomatiques, lancés par certaines chancelleries occidentales ou, plus ouvertement, les mises en gardes répétées du Département d’Etat des Etats-Unis ont participé à décourager une autre violation de la Constitution du Sénégal.
 
Quand nécessité fait loi !
 
Il y a douze ans, le Sénégal avait vécu la même affaire avec Abdoulaye Wade comme président désireux de compléter un tiercé victorieux. L’opposant Macky Sall était l’un des leaders de cette contestation qui fit alors une quinzaine de personnes tuées à Dakar et à l’intérieur du pays. Fallait-il que Sall soit en 2023 le successeur de Wade par qui le scandale d’une deuxième vague de morts arriverait ?
 
Si Macky Sall a renoncé, ce n’est évidemment point de gaieté de cœur. Il a peut-être été en conflit avec son for intérieur après avoir solennellement pris des engagements multiples (dont un écrit) de faire deux mandats et de partir. Il reste un humain après tout. Il a tenté de rendre évidente sa 3e candidature en suscitant un gigantesque remue-ménage interne à la galaxie politique qui l’a porté au pouvoir. Mais il a tellement bien mesuré l’épaisseur et la lourdeur des écueils qui se seraient dressés sur son chemin qu’il ne s’est pas senti en capacité de pouvoir en payer le prix.
 
Son impopularité manifeste auprès des Sénégalais, une succession de gros revers électoraux (janvier 2022 et juillet 2022) aux locales et législatives, les proportions gigantesques d’une corruption qui mine profondément son pouvoir, l’accumulation de scandales économiques et financiers jamais élucidés et à mettre en parallèle avec l’impunité totale des auteurs de délinquance gestionnaire, ont parachevé le processus de renoncement à une 3e candidature. La logique de la capitulation présidentielle relève donc d’une logique implacable.
 
Mais la goutte d’eau qui a probablement annihilé les ambitions secrètes d’une 3e candidature, c’est la répression sanglante des manifestations de juin 2023 et leur cohorte de morts dont la plupart ont été documentés par les organisations de droits humains et attribués aux forces de défense et de sécurité (FDS). Amplifiés par les plus médias du monde, ces événements inédits braquent désormais les projecteurs de la planète sur le Sénégal dont des autorités politiques, judiciaires et des cadres des forces de défense et de sécurité, sont traînées pour la première fois devant le bureau du procureur de la Cour pénale internationale (CPI).
 
Ligne rouge
 
L’enchevêtrement pernicieux de telles actualités réduisent d’autant, au plan politique, la marge de manœuvre du président de la République. Sous cet angle, le projet de 3e mandat rejeté amicalement par la France et plus franchement par les Etats-Unis devenait une ligne rouge que Macky Sall n’a pas osé franchir. Il fallait arrêter les casseroles.
 
Aujourd’hui, il doit être clair pour toute la classe politique sénégalaise – du pouvoir, de l’opposition et de ce qu’il peut y avoir entre les deux - qu’il n’est plus possible de trahir les idéaux démocratiques qui organisent le déroulement de la vie politique ou de subvertir les textes et principes portés par la Constitution sans en payer le prix. La maturité du peuple sénégalais a atteint un tel niveau que la voie de la transgression est devenue un abonnement au suicide politique. Mais il restera toujours une étape à franchir. Aujourd’hui, la plus urgente semble être de trouver les moyens de faire émanciper une Autorité judiciaire au service du peuple souverain.

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