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L’UEMOA, avec un pas déjà dans la récession, se rend compte de la "non-résilience" de son pacte de convergence.

Vendredi 1 Mai 2020

 Pour les réalistes, l'UEMOA a déjà un pas dans la récession. A ce jour, à la considération de l'ensemble des paramètres (prolongement de  la pandémie, crise socio-économique, forte baisse de la production industrielle et de l'activité commerciale, des recettes fiscales et douanières respectives des pays...), il est évident que la sous-région ne peut faire exception d'une récession qui a déjà frappé les plus grandes puissances, considérées comme des Etats-Continents. Si l'UEMOA décide de suspendre son pacte de convergence parce qu'impossible à maintenir par ces temps, c'est parce qu'elle est loin d'être cet instrument à effet de levier qu'elle devait être.
 
Quelle surprise, à ce stade de la crise, d'entendre les responsables de l'Union économique et monétaire ouest-africaine suspendre la récession à la "conditionnalité" du prolongement de la pandémie du Covid-19. Alors que le mix de paramètres précités confirme l'entrée en récession, L'UEMOA est dans le déni et la contradiction en refusant officiellement de confirmer une récession installée déjà dans ses entrailles. Non sans pourtant faire substantiellement son aveu sur la détérioration économique de la sous région au point de ne pouvoir maintenir le "pacte de convergence". Ce dernier devait être un instrument de stabilité capable de permettre aux différents pays de la communauté de pouvoir faire face à une telle situation.
 
L'UEMOA est à un pas de la récession
 
L'UEMOA, comme la plupart des régions du monde et même des grandes puissances, vit les prémices d'une récession. On considère naturellement qu'un pays est en récession après deux trimestres consécutifs de baisse du PIB. Or l'UEMOA et chacun des pays qui la compose, ont connu, lors de ce premier trimestre bouclé dans un contexte particulier, une altération de la dynamique de croissance au profit d'une décroissance inquiétante. Il faut se rendre à l'évidence que ce n'est pas demain que la tendance sera inversée et que le deuxième trimestre ne changera probablement pas encore la donne. Leur marge de manoeuvre est assez étroite pour ne pas dire illusoire pour une résistance et une relance économique convenable. 
 
A l'échelle étatique comme communautaire, le choc fait perdre l'équilibre dévoilant la fragilité logistique, financière et économique de l'Espace paradoxalement à ses immenses ressources. Aujourd'hui aucun des pays de l'UEMOA ne peut se tenir droit  dans ses bottes en ce qui concerne la maitrise parfaite de la pandémie et de la situation socio-économique inhérente. Ce qui sous-entend la chute du PIB respectif des pays, les désengageant involontairement du pacte de convergence économique, le levier de stabilité sous régionale. La fermeture des frontières intérieures, la cessation temporaire des interconnexions commerciales entre pays membres et aussi le reste du monde sont venus s’engoncer dans ce terrain meuble et facilitent la chute du PIB sous régional de 2 à 4 points. Les croissances respectives des différents pays de l'union 2020 devront se situer entre 1,5 et 2,7%. 
 
Le pacte de convergence de l'UEMOA : Un instrument pas résilient et inefficace.
 
Si l'UEMOA a suspendu le pacte de convergence, c'est parce que l'instrument en lui-même n'est pas bien efficace. Il devait être un instrument géo politico-économique et financier donnant des moyens et pouvoirs de résilience et stabilisateurs aussi bien aux différents pays qu'à la communauté. Si l'idée du pacte en lui-même a été salutaire dans une Afrique divisée avec des économies poussives, la structuration et les paradigmes du pacte de convergence n'épousent pas assez les réalités géopolitiques, socio-économiques et financières de la sous région pour être cet instrument "anticipateur" et ce levier stabilisateur.
 
Le pacte de convergence doit être le premier instrument dont l'organe sous régional se dote pour coordonner les politiques budgétaires nationales et éviter l’apparition de déficits publics excessifs. Il comporte alors deux types de dispositions : des dispositions préventives et des dispositions correctrices. Dans les deux formes, le pacte a montré ses limites et surtout son inadéquation et son inefficacité face à des situations exogènes complexes, au lieu d'être un moyen d'allègement, de résilience et de dépassement. Le Pacte devient même, aux yeux des régisseurs de la communauté, comme un "boulet" dont il faut se séparer momentanément, le temps de la crise. Une sorte de prise de conscience qu'il ne peut être, en son état actuel, un instrument à impact positif dans la stratégie de riposte économique face à la crise. Le pacte, tel qu'il est aujourd'hui conçu, n'a pas d'aptitudes lui permettant de s’adapter à des circonstances changeantes, de surcroît face à une crise sanitaire qu'il ne pouvait prendre en considération (disposition coercitive) lors de sa conception.
 
Comme chaque crise est une opportunité, cette pandémie offre ainsi à la communauté l'opportunité de se rendre compte de la défaillance et des insuffisances de ses systèmes et instruments d'intégration multidimensionnelle mettant ainsi en lumières les chantiers futurs de l'UEMOA. Elle indique une rupture qui engendre de nouveaux besoins. La vie de nos sociétés devra changer et il faut entrer dans une nouvelle ère de pensée et d'être.  
 
Au moins trois chantiers majeurs pour le jour d'après Covid-19
 
Dans un contexte d'économies liées et ou la notion d'économie accorde (ou devra accorder) une place prépondérante à l'humain (la nouvelle économie du lendemain de la crise de 2009), la communauté a sans doute pris conscience des relations corrélatives entre la santé publique et l'économie, entre les économies nationales et celle communautaire.  
 
L'absence d'un cadre sanitaire concerté dynamique et innovant a laissé entrevoir des défaillances qui ont un impact direct et dévastateur sur l'économie sous régionale. Il est important lors du dégel du pacte de convergence, d'enclencher une nouvelle phase de réflexion pour repenser le modèle économique communautaire, lequel placera non seulement l'humain au centre, mais devra doter à la communauté d'un instrument capable d'endiguer l'affaiblissement des capacités nationales, locales  et maintenir les économies des Etats à des niveaux de performance et de résilience à toute épreuve. Il s'agira de s’atteler aux déficits structurels et de migrer vers un nouveau pacte de convergence qui travaille à intégrer des fondamentaux et paradigmes innovants, propices à l'anticipation, stabilisateurs, résiliants, performants et efficaces.
 
Le troisième défi est relatif au renforcement du système financier ouest-africain qui traine encore des lacunes structurelles et organisationnelles. Il faut réfléchir à aller vers un système qui peut absorber avec la plus grande résilience les chocs tendant à devenir récurrents comme les impacts liés à la baisse des cours des actions, la montée en flèche des écarts de risque sur les prêts et la chute des prix du pétrole, la fuite vers la qualité, le défaut de liquidité  sur des marchés traditionnellement, les tensions liées à la lourdeur de l'endettement ...
 
L'UEMOA, aujourd’hui, ne peut échapper à la récession. N'étant pas suffisamment outillé pour déployer ses capacités d'absorption et de résilience des chocs économiques liés à la pandémie, l'organe communautaire de l'Afrique de l'Ouest subit de plein fouet la crise. Avec des budgets faibles, conçus sur endettement et très sollicités durant la crise, les pays membres de l'UEMOA subissent déjà un impact direct négatif qui les confine à la recherche de solutions de ripostes d'urgence. Tout, dans le regret d'un vide et/ou d'une inefficacité structurelle. Et dans l'impréparation, l'efficacité n'est jamais au bout. L'affaissement structurel et institutionnel sont des réalités qu'il faut appréhender sans faux-semblants. La communauté a été édifiée sur la nécessité d'apporter des correctifs profonds sinon procéder à la refonte collective même du pacte de convergence, lequel devra coordonner les politiques économiques des pays membres et surtout leur conférer un pouvoir d'anticipation des chocs exogènes et endogènes, de quelque nature que ce soit.


Cheikh Mbacké Sène
Expert en Intelligence économique
Président de la Commission préparatoire du Centre International d'Analyse économique (CIAE)
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