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EDITORIAL

Plan d’ajustement structurel, vérité des prix, flexibilisation possible de la loi du travail pour favoriser l’afflux des capitalistes investisseurs capables de financer moult projets déroulés durant la campagne électorale passée. Il semble que le chef de l’Etat, qui avance masqué comme d’habitude, soit dans la logique de satisfaire les exigences libérales plusieurs fois repoussées des institutions de Bretton Woods pour cause d’élection. Son horizon politique ainsi dégagé, tout devient possible…


Ce que Macky Sall nous prépare…
Les milieux économiques et financiers, mais aussi politiques et sociétaux, se posent beaucoup de questions depuis que le président Macky Sall a affirmé sa volonté de reprendre étroitement en mains le fonctionnement de l’Etat et de ses démembrements afin, dit-il, d’insuffler plus d’efficacité et d’efficience aux projets et programmes prioritaires de la phase 2 du Plan Sénégal Emergent (PSE). Des questions pour le moment sans réponses sous l’ombre d’un pragmatisme idéologique appelé « Fast-Track ».
 
Cette inquiétude est notamment liée à la réduction drastique et sans appel du train de vie de l’Etat dont Sall a fustigé les errements et les abus en dépit des instructions fermes qu’il avait données dès son arrivée au pouvoir en 2012. Dans la foulée, le président sénégalais a profité de la fête internationale du Travail, le 1er mai dernier, pour signifier aux syndicats de travailleurs que toute idée de hausse des salaires est remise aux calendes grecques, en tout cas jusqu’à nouvel ordre. Des propos que les syndicats ont pris comme une provocation alors même que l’Etat avait déjà signé avec les enseignants un protocole d’accord à incidence financière évolutive.
 
Cette astuce qui consiste à signer tout document - le couteau sous la gorge - lui a permis, avec l’aide précieuse de grands marabouts, de sauver les deux dernières années scolaires menacées par des années blanches. Le front social, souvent perturbé par des revendications catégorielles qui n’ont pas pu ébranler l’Etat jusqu’ici, risque aujourd’hui la surchauffe si les centrales syndicales dont aucune n’est affiliée au camp présidentiel décident d’en découdre avec le pouvoir.
 
Redistribution et centralisation
 
Dans l’agenda des cinq ans de son dernier mandat à la tête du pays, Macky Sall consacrera une place capitale certes à préparer le dauphin qu’il voudrait comme successeur pour diriger le Sénégal. Mais dans l’immédiat, l’économie semble être sa principale préoccupation. Même si les institutions financières internationales n’arrêtent pas de saluer officiellement la bonne tenue et les performances appréciables de l’économie sénégalaise, le chef de l’Etat s’est quand même séparé d’Amadou Bâ, l’ex tout-puissant ministre de l’Economie, des Finances et du Plan, neutralisé dans d’étranges affaires hors du territoire national.
 
A sa place dans un ministère redimensionné avec moins de centralisation pour plus d’efficacité: un ultra-fidèle de la première heure, Abdoulaye Daouda Diallo, et un élément plus ou moins incontrôlable, Amadou Hott, revenu de la Banque africaine de développement (BAD) où il était en charge de l’Energie, de la Croissance verte et du Développement durable. Le courroux de Sall contre Bâ serait lié à la gestion « médiatique » et « affairiste » de plusieurs gros dossiers dont le Prodac (Programme des Domaines Agricoles Communautaires) et la Société africaine de raffinage (SAR). Malgré un rapprochement tactique ( ?) bruyant avec Marième Faye Sall avec qui il a mené une campagne électorale active à Dakar au cours de la campagne électorale passée, Amadou Bâ n’a pu conserver un fauteuil qu’il occupait depuis septembre 2013.
 
Après avoir redistribué les rôles au sein du gouvernement et de l’administration, Macky Sall s’est arrogé des pouvoirs pleins qui en font un hyper-président comme le Sénégal n’en avait plus connu depuis plusieurs décennies. Désormais, c’est à lui que les ministres rendent compte du suivi des projets et programmes relevant de leurs responsabilités. Il n’y aura plus de fuite en avant !
 
Dans cette posture du chef qui se place en première ligne, il sera aidé par un «shadow cabinet» discrètement installé au palais et composé de plusieurs de ses hommes de confiance. On peut citer l’ancien premier ministre Mahamed Boun Abdallah Dionne devenu secrétaire général de la présidence de la République, son conseiller juridique « préféré » et ancien ministre de la Justice, le Professeur Ismaïla Madior Fall, Augustin Tine, son nouveau directeur de cabinet, ex-ministre de la Défense dans le dernier gouvernement...
 
Plan d’ajustement structurel ? Flexibilisation de la loi du travail ?
 
C’est au cœur du palais présidentiel qu’il a d’ailleurs lancé et bouclé son plan de suppression du poste de premier ministre. Un plan qu’il s’était bien gardé de révéler au cours de la campagne pour l’élection présidentielle du 24 février dernier. Mais selon des sources proches du pouvoir, le chef du gouvernement sortant a été un véritable goulot d’étranglement pour plusieurs dossiers d’importance victimes des lenteurs administratives et du manque de poigne de Dionne face à certains ministres. Certains des parlementaires qui rechignaient à voter cette loi de suppression du poste de PM ont été très vite étouffés après avoir été reçus au palais de la République. La loi est passée comme lettre à la poste.
 
C’est dans ce contexte inédit et un brin « révolutionnaire » que Macky Sall s’est rendu en France entre le 15 et le 18 mai, non pas avec l’avion présidentiel (la Pointe de Sarène) mais à bord d’un…vol régulier de la nouvelle compagnie nationale Air Sénégal. Officiellement, il répondait à l’invitation du président Emmanuel Macron à l’occasion de la signature de « l’Appel de Christchurch » contre la haine sur les réseaux sociaux, en référence à l’assassinat le 15 mars dernier d’une cinquantaine de fidèles musulmans dans deux mosquées de Nouvelle Zélande.
 
Mais officieusement, des sources dignes de foi indiquent que le voyage de Sall – organisé donc sous couverture du sommet de l’Elysée – n’est pas étranger aux actes posés au plan national et à la dynamique nouvelle qu’il veut impulser au pays. Sous cet angle, ses entretiens avec les autorités françaises compétentes n’auraient pas pu échapper à la mise en œuvre éventuelle d’une série de mesures visant à donner une plus grande marge de manœuvres à l’économie sénégalaise.
 
L’Etat sénégalais est en effet confronté à une dette qui est, dit-on, contenue dans les limites des critères de convergence fixés par l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), mais la pression budgétaire reste très forte en regard des difficultés à collecter une bonne partie des impôts. A ce niveau, de nombreux économistes ont tiré la sonnette d’alarme sur les difficultés de recouvrement de créances publiques auxquelles sont confrontées la plupart des petites et moyennes entreprises (PME) et industries (PMI).
 
Alors, que nous prépare Macky Sall ? Un plan d’ajustement structurel ou quelque programme vendu sous un autre vocable mais qui relèverait de la même logique ? Un retour à la vérité des prix de certains produits de consommation comme l’électricité ? Une flexibilisation de la loi du travail dans un contexte marqué par la main tendue au capital étranger lors du conseil des ministres du 8 mai 2019 ? Le mystère reste donc entier autour des intentions économiques du président Sall.

Il l’est davantage dans l’approche qui va être imprimée aux perspectives politiques inéluctables qui accompagnent un dernier mandat. Recourra-t-il à un despotisme légalisé pour mettre en œuvre sa vision de la continuité de ses 12 ans de pouvoir ? Fera-t-il confiance aux principes d’éthique et de responsabilité dans la dévolution prochaine d’un pouvoir qui devrait lui échapper ? Difficile de trouver réponses face à un politique qui avance si masqué…
 

Propriétaires de partis politiques
 
En 2012, alors que les coalitions fourbissent leurs armes en vue du second tour de l’élection présidentielle, le candidat Macky Sall s’entretient avec des visiteurs du soir. Ceux-ci l’interpellent sur la disposition des Assises nationales interdisant le cumul des fonctions de chef de parti et de président de la République. Le futur chef de l’Etat leur répond avec une franchise assumée: Vous savez, au plus fort de la guerre fratricide entre Abdoulaye Wade et Idrissa Seck, si Wade n’avait pas le parti (Pds) avec lui, il aurait été certainement renversé…
 
Les politiciens sénégalais ont établi des rapports particuliers avec les partis qu’ils dirigent après les avoir fondés. La réalité est que, comme presque partout ailleurs dans le monde, le parti politique est devenu l’instrument fondamental de conquête du pouvoir suprême. En dépit des très beaux discours sur les règles de démocratie interne, rares sont les chefs qui en laissent l’héritage à leurs collaborateurs, quitte à en organiser le sabordage.
 
L’exemple emblématique de cette fusion organique entre le fondateur et l’instrument, c’est le duo entre Me Wade et le Pds, avec ces histoires qui se racontent depuis 1974 et qui ne semblent pas devoir prendre fin. A l’extrême limite de cet autoritarisme sans frontières, le Pds a été sevré de candidat à l’élection présidentielle du 24 février 2019 parce que telle a été la volonté du chef. Mais l’ancien chef d’Etat est loin d’être un cas isolé.
 
Macky Sall a dit plus haut ce que tous les chefs de parti pensent tout bas. Il est quasiment impossible pour un président de la République de se départir du statut de chef de parti. Récemment, il a annoncé la structuration de l’Alliance pour la République (Apr), le parti qu’il a fondé en 2008 après avoir quitté le Pds. On peut en douter ! Structurer l’Apr, c’est organiser un congrès et faire élire tous les responsables par un vote démocratique.
 
La conséquence, c’est que le président de la République qui est chef de parti se prive alors démocratiquement de désigner les candidats aux élections législatives, par exemple, le choix des têtes de listes devenant quasi automatique grâce à la représentativité dégagée lors du congrès. Quel chef d’Etat prendrait le risque d’avoir à gérer des députés qu’il n’a pas lui-même désignés comme cela se passe dans le « système » sénégalais ?
 
On peut bien critiquer la carence des institutions publiques censées porter notre démocratie : leur carence n’est plus à démontrer. Cependant, on peut se demander si cela n’est pas un juste retour des choses en regard du refus obstiné des politiciens de favoriser une vie démocratique saine et réelle qui fasse respirer les instances internes des partis politiques.

Il est possible que le Dr Abdourahmane Diouf eut pu rester dans le parti Rewmi si des mécanismes internes rendaient possible une dévolution démocratique du pouvoir. Mais la réalité est tout autre : les perdants restent toujours en place car ils sont les propriétaires légaux des partis qu’ils mettent sur pied.

Qu'ils s'appellent Abdoulaye Wade, Idrissa Seck, Ousmane Tanor Dieng, Moustapha Niasse, Macky Sall, qu'ils soient usurpateurs en cours de route ou fondateurs originels, ils ont décidé d'être les figures tutélaires de ces organisations privées à but politique jusqu'à l'extrême limite de l'impossible. Les mécontents pourront toujours aller voir ailleurs! 

Une star, le peuple !
Comme à son habitude depuis plusieurs décennies, le peuple sénégalais a démontré encore une fois la très grande maturité politique et citoyenne dont il est capable en une grande occasion comme l’élection présidentielle, surtout celle-là de 2019.
 
En dépit des incompétences accumulées par les autorités dans la conception et la mise en œuvre d’un processus électoral conduit de manière unilatérale, malgré la gravité des cafouillages constatés le jour du scrutin ayant entraîné l’exclusion de milliers d’électeurs laissés en rade, les électeurs ont comme qui dirait remis les pendules à l’heure. Le peuple est souverain tant qu’on est en démocratie.
 
Le vote massif d’hier 24 février est une indication de plus sur l’impérieuse nécessité pour la classe politique de se hisser au niveau de la citoyenneté décomplexée qui s’est exprimée à travers les urnes. Discipliné, déterminé, sûr de sa puissance, le peuple sénégalais a clarifié ce qu’il attend de ses gouvernants : la prise en charge de ses préoccupations fondamentales, d’une part, et l’élévation du niveau qualitatif de la démocratie, par ailleurs. Il n’est plus acceptable à ses yeux de continuer à installer le pays dans des zones de turbulences politiciennes dont les soubassements résident dans le dessein maladif d’en tirer des dividendes partisans au détriment de l’intérêt national.
 
Ce peuple souhaite ardemment que cessent les manipulations du fichier électoral, les déplacements frauduleux d’électeurs à leur insu, les soustractions ou rajouts d’électeurs en dehors des périodes de révisions légales. Ces exigences sont la condition sine qua non d’un aggiornamento démocratique seul en mesure de balayer les ambiguïtés fondamentales qui balafrent le visage de notre démocratie.
 
 

Violences électorales : le miracle sous nos yeux!
Une seule semaine de campagne électorale avec un niveau de violence rarement égalé au cours des scrutins passés, c’est malheureusement une suite logique et implacable des événements qui se sont enchaînés depuis trois semaines. C’est monstrueux de le dire ainsi, mais c’est un quasi miracle que l’on en soit pour le moment « qu’à deux morts » uniquement ! A quels drames avons-nous échappé avec l’attaque nocturne du siège de Pastef  à Yoff? Dans la langue de Barbarie à Saint-Louis ? A Mbour avec le choc frontal Pastef-Benno Bokk Yaakaar ?
 
Le bilan macabre de Tamba ne serait-il pas un premier aboutissement du manque d’implication incompréhensible de l’Etat dans la prise en charge et l’anticipation de tels événements ? Ne devrions-nous pas avoir peur eu égard aux deux semaines d’hostilités à vivre avant la date fatidique du 24 février qui, elle-même, est lourde de dangers potentiels ? On n’est pas sorti de l’auberge. En attendant, la question qui fâche est inévitable : où est l’Etat ?
 
Depuis l’éclatement des premières escarmouches, la volonté des autorités de mettre un terme à la traînée de poudre n’a jamais été concrètement mise en œuvre. Et cela est peut-être la rançon de la confusion des pouvoirs entre le parti (association privée) et l’Etat (bien public).
 
Dans cette élection présidentielle déjà ensanglantée, il est donc de première urgence que l’Etat impartial reprenne le pouvoir du monopole légitime de la violence en mettant au pas les groupuscules informels organisés au service de politiciens. Il aurait d’ailleurs été admirable que les quatre autres prétendants au fauteuil présidentiel fassent l’objet d’une sollicitude sécuritaire de la part des organes officiels spécialisés dans la protection rapprochée, à l’image des grandes démocraties auxquelles nos gouvernants aiment si souvent se référer, quand la comparaison les arrange.
 
Laisser pourrir la situation actuelle et s’en limiter à des menaces de type partisan ne fera que renforcer la détermination des uns et des autres à se protéger de toutes violences sur le terrain et favoriser des affrontements encore plus graves aux conséquences incalculables pour le pays tout entier.
 

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