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EDITORIAL
Macky Sall et Boun Abdallah Dionne
Macky Sall et Boun Abdallah Dionne
Ce 20 mars, le ministre d’Etat secrétaire général de la présidence de la République, s’est rendu à Touba où il a pris part à la prière du vendredi dans la capitale du mouridisme aux côtés du khalife général. En temps normal, cette présence d’une haute personnalité de l’Etat et premier collaborateur du président de la république serait passée inaperçue tant nos politiciens de tous bords ont pris l’habitude de rallier Touba pour diverses raisons dont les plus prégnantes sont d’ordre politique.
 
Mais avec la lutte (bien) enclenchée du reste par le chef de l’Etat Macky Sall contre les menaces du coronavirus, un certain nombre de directives sanitaires ont été prises sous l’autorité présidentielle pour sauver ce qui doit l’être, ce qui peut l’être. Dans le lot, il y a l’interdiction des rassemblements en tous lieux et sous toutes ses formes eu égard aux capacités de dissémination et de propagation du virus. Un arrêté ministériel a même été rendu public à cet égard, avec ses insuffisances certes.
 
Sous cet angle, la présence du SG général de la présidence de la république au milieu des fidèles de la mosquée de Touba est incompréhensible. Devant une opinion plus ou moins angoissée, elle persécute la cohérence d’ensemble qui devait accompagner une des mesures phare que les scientifiques travaillant contre le virus jugent stratégique et vitale dans l’issue de la «guerre» contre le virus.

Des centaines ou milliers de citoyens lambda ont sans doute bravé cette interdiction à travers le pays, mais quelle est la puissance d’un acte posé par un citoyen lambda en face d’un autre porté par l’un des plus hauts représentants de l’Etat et de la république ? Il est indispensable que le président de le république sache clairement ce qu'il veut. En attendant, nous disons que l'ex-Premier ministre a fait preuve d'une irresponsabilité inacceptable.
 
Les tentatives de justification (par certains journalistes) de la présence du Secrétaire général de la présidence de la république à la prière du vendredi à Touba (avec des sources totalement fermées) ne rendent pas service à la lutte censée devoir être menée contre le coronavirus.
 
Quand l'Etat et ses plus hauts représentants ne sont pas exemplaires avec les préconisations d'ordre sanitaire qu'ils ont eux-mêmes édictées, ils ne doivent pas en attendre grand chose de la part des autres citoyens. Ils brouillent solennellement les messages qu'ils voudraient faire passer. Ils rendent relatif et banal ce qui devait être exceptionnel et grave en affaiblissant toute une stratégie nationale de lutte qui, faute de gros moyens financiers, est fondamentalement assise sur la prévention à grande échelle.  
 
Ces images montrant «l’Etat-Dionne» en prière à Touba, et celles relayant la chasse aux «citoyens-lambda» désireux de faire leur "vendredi" en d'autres endroits de la capitale sont désastreuses pour l'unité nationale contre le coronavirus. C’est du «tappalé» purement sénégalais auquel il faut opposer un coup d’arrêt ici et maintenant. Sinon, tout devient dérisoire et sans objet. 
 
 

Boun Abdallah, un maure dans le maquis
L’ancien premier ministre du Sénégal est une drôle de personnalité dans une drôle de gouvernance. Exfiltré de la primature pour incapacité à obtenir des résultats auprès de ses collègues du gouvernement, il est depuis le début du second (et dernier) mandat de Macky Sall, le secrétaire général de la présidence de la république. Mais hier comme aujourd’hui, il est encore décidé à être le Cassandre d’une mise à mort graduelle des institutions censées refléter la démocratie dans notre pays.
 
Mahamed Boun Abdallah Dionne ne se suffit plus d’être un devin outillé pour prédire un nombre maximal de candidats à une élection présidentielle, ni à souffler le pourcentage de voix sécurisé qui réélit un président. Il prophétise désormais l’avenir de son mentor à la tête du Sénégal pour un temps indéterminé en crachant sur une Constitution pour laquelle il a fait campagne il y a moins de quatre ans.
 
Cassandre ou oiseau de mauvais augure ? Les deux à la fois sans doute, mais il est surtout ce petit maure qui, après s’être ingurgité mille et un litres de thé à la menthe sous la tente du chef, s’en va porter des ballons de sonde un peu partout. D’une opinion publique désabusée à une classe politique émiettée en passant par une société civile faiblarde, toutes collectivement impuissantes à contrecarrer les desseins noirs d’un parti-Etat ayant pris goût à un autoritarisme naissant.
 
Ces messages de Dionne ne sont ni neutres ni innocents, ils viennent en appoint pour asseoir définitivement les pseudo-hésitations d’un président de la république incapable de dire aujourd’hui s’il se retire en 2024 ou s’il envisage, comme certains de ses collègues du «syndicat» des chefs d’Etat africains, un coup de force qui lui permettrait de faire un troisième mandat consécutif.
 
Le maure du palais est un drôle de responsable. En 2016, il se «disait favorable à la limitation des mandats.» Aujourd’hui, il a une autre religion sur le même sujet : «Est-il pertinent de limiter le nombre des mandats ?» Entre ces deux extrêmes, se dégage une si grande conviction !
 

Monsieur le Président, et si votre fils se trouvait à Wuhan…?
C’est avec une franchise sans frontières que le chef de l’Etat a affirmé, ouvertement et sans doute avec une idée cachée dans la tête, que le Sénégal n’a pas les moyens de rapatrier ses «13» ressortissants bloqués à Wuhan pour cause de propagation du coronavirus qui a déjà tué près de 600 personnes en Chine. Cette déclaration, à la fois surprenante et scandaleuse venant de la plus haute autorité du pays est un ATTENTAT politique contre le pays qu’il dirige, contre la diaspora sénégalaise et, surtout, contre ces infortunés compatriotes dont le seul tort est d’avoir été sur un mauvais lieu à un mauvais moment de leurs cursus universitaire.
 
En dépit du respect que l’on doit vouer au premier magistrat de notre pays, nous nous faisons un devoir de lui poser la question qui fâche, ou plutôt les questions : Monsieur le Président, si un de vos fils avait eu la malchance de se trouver à Wuhan au moment de l’épidémie, qu’auriez-vous fait ? Auriez-vous dit : je n’ai pas les moyens de le rapatrier ? Auriez-vous dit : c’est trop compliqué car il faut des moyens et de la logistique dont je ne dispose point ? L’auriez-vous abandonné dans cet enfer chinois devenu fantôme en arguant de votre impuissance ?
    
Le propre d’un grand Président, c’est justement de rendre possible l’impossible, de retourner les situations désespérées en opportunités et espérances, de transformer le mal en bien, le noir en bleu ciel… Il n’est donc pas de subir les événements en clamant son impuissance dans un monde que l’on sait sans doute impitoyable – notamment dans les rapports que les pays entretiennent entre eux, et vous en savez quelque chose. Mais vous, vous êtes le dernier à manquer de ressorts et de possibilités pour agir.
 
Un peu d’imagination et de folie dans la tête vous aurait suggéré de contacter vos «alliés» dans le monde afin d’aider vos pauvres compatriotes à échapper à un phénomène brutalement surgi de nulle part. La France, les Etats-Unis, le Canada, la Grande Bretagne, la Russie, par exemple, ont trouvé les moyens d’aller chercher ceux de leurs ressortissants qui voulaient quitter Wuhan. Le Maroc l’a fait, l’Algérie aussi, et j’en passe.

 Depuis 8 ans que vous êtes au pouvoir, vous avez tellement fait pour la France, pour son économie et ses entreprises installées au Sénégal qu’elle avait le devoir moral et humain de vous aider à rapatrier nos compatriotes. Avez-vous sollicité votre ami Emmanuel Macron à cet effet ? La Chine, omniprésente dans notre pays, serait-elle incapable de vous faire exfiltrer 13 personnes de Wuhan ?  Pourquoi avez-vous démissionné si tôt alors même que la partie ne faisait que commencer ? Que se cache-t-il dans votre posture incompréhensible, comme celle d’un Général qui dit à ses troupes : nous allons perdre la guerre, pas la peine de se battre ?
 
Cet «abandon» de vos compatriotes en rase campagne chinoise, cette insouciance dramatique, ce «refus» de se casser la tête pour imaginer des solutions… Finalement, en regard de votre manière de gouverner, tout cela semble implacablement logique. Hélas !
 
 
 

COUD : un livre contre l’oubli d’une entreprise de prédation
L’ouvrage du journaliste Pape Alé Niang consacré aux enquêtes menées par l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) au Coud (Centre des œuvres universitaires de Dakar), étouffées par la détermination d’un président de la République soutenu les yeux fermés par des magistrats corrompus, apparait comme un formidable rappel contre l’oubli qui est en train de frapper l’un des plus graves scandales financiers survenus au Sénégal.
 
Le livre de notre confrère, globalement de nature factuelle, n’est pas seulement un plaidoyer contre la corruption et le détournement de deniers publics déguisés sous des formes diverses en militantisme politicien. Il interpelle la responsabilité collective des citoyens sénégalais et des organisations de la société civile sur l’impératif de maintenir une pression toujours plus forte sur des décideurs politiques trop souvent mus par la sauvegarde de leurs intérêts politiciens et partisans, au détriment de tout le reste. Ce livre est également et surtout un rappel à l’ordre républicain à cette partie de la magistrature qui a décidé de lier son sort à celui du pouvoir exécutif dominant, comme il l’a fait sans état d’âme avec ce même pouvoir sur d’autres sujets.
 
Les investigations sur le Coud, pourtant rendues possible par la volonté très tôt affichée du président Sall de faire faire un pas au Sénégal dans le secteur névralgique de la lutte contre la corruption – puis leur sabordage au niveau politique et judiciaire sont malheureusement devenues l’emblème du mal sénégalais depuis 2012. Elles résument de manière pratique la vision que Macky Sall se fait de la bonne gouvernance: le rabâchage systématique de paroles et d’actes contradictoires dans un cynisme dévastateur qui décrédibilise son auteur et enfonce le pays dans un trou de risques non mesurés.
 
Qui peut croire aujourd’hui que la montée en flèche de la criminalité et des actes d’agressions qui prospèrent au nez et à la barbe des services de sécurité pussent être étrangers à la promotion des actes de corruption et de brigandage protégés par l’autorité politique au sommet ? En lieu et place d’une prise en charge de la résorption des dangereuses inégalités qui foisonnent, le pouvoir a choisi depuis une dizaine d’années de favoriser l’émergence et la consolidation d’une caste de nouveaux riches reliés aux entreprises et marchés publics libérateurs de prébendes.
 
Une telle orientation est absolument contraire à l’esprit de sacrifice auquel un leader respectable et patriote est tenu de se conformer. In fine, c’est de l’aveuglement pur et simple.

Mandat présidentiel : La duperie permanente qui prend en otage la démocratie
On laissera à François Mitterrand son «coup d’Etat permanent», cet essai célèbre qui dénonçait la mutation du pouvoir démocratique en objet personnel opérée par un Général Charles de Gaulle auréolé pourtant par sa posture de résistant face à l’Allemagne hitlérienne. A ce «coup d’Etat permanent», il faudra désormais associer la duperie permanente qui caractérise l’action et le discours du président de la République du Sénégal. Alors que le pays tout entier réclame cohérence et certitude dans la gouvernance électorale du pays, en particulier sur l’impossibilité qu’il se représente pour un 3e mandat en 2024, le chef de l’Etat se réfugie avec un grand courage dans un galimatias de considérations crypto-personnelles qui ne font pas l’honneur de sa fonction ni celui de sa propre personne.
 
Les spécialistes de la science politique ne manquent jamais de rappeler combien le respect de règles du jeu communément acceptées par les acteurs et placées sous protection de la loi et du règlement demeure une exigence fondamentale pour la crédibilité de toute démocratie pluraliste libérée des écueils du paternalisme. En effet, c’est en fonction des dynamiques positives portées par les uns et les autres dans le champ politique que se concrétise cet idéal démocratique grâce auquel les contentieux électoraux deviennent marginaux et donc gérables. Mais on peine à s’y faire.
 
Les propos sibyllins («ni oui ni non») tenus en fin d’année par le président Sall concernant sa candidature éventuelle à la présidentielle de 2024 ne vont pas dans le sens d’une démythification du pouvoir et de ses enjeux dans notre pays. Que dit le chef de l’Etat pour justifier cette posture incompréhensible ? Entre autres : «L’année dernière, je me suis prononcé sur cette question. Et si j’en parle encore, personne ne se mettra au travail dans mon parti…» Dans tous les pays démocratiques normaux, les calendriers électoraux sont connus à l’avance sauf si des circonstances exceptionnelles et/ou des contraintes objectives obligent à les réaménager. Le Sénégal n’est ni dans un cas ni dans l’autre, fort heureusement. Il est un pays stable dans une sous-région gravement perturbée par un accès de violences et de désordres pour lesquels des Etats incompétents, faibles et privatisés au profit de groupes d’intérêts  portent de grandes responsabilités.
 
Esprit de patrimonialisation du pouvoir
 
Ce qui est en cause, c’est la patrimonialisation permanente du pouvoir au cours de son exercice, sa mise au service de clans politiciens et affairistes dont le pays ne profite d’aucuns des «investissements», s’ils en font. L’administration verticale du parti qui devient un instrument monolithique au service de son chef unique, la préposition de frères, sœurs, cousins, cousines et alliés à des postes-clefs de l’appareil d’Etat et leur protection garantie contre toutes poursuites judiciaires légitimes traduisent en réel la confusion entre le parti et l’Etat. C’est peut-être cela le casse-tête de Macky Sall : pour plusieurs raisons qu’il ne partagera pas avec les Sénégalais, il craindrait des lendemains tumultueux hors du pouvoir auxquels il ne pourrait imprimer sa marque ou sa direction. Les soubresauts de la traversée du désert des Wade et de leurs amis d’hier ne lui ont pas échappé.
 
C’est au regard de ces éléments là que la posture du «ni oui ni non» proclamée par le chef de l’Etat est totalement inexcusable pour celui qui est censé incarner la droiture et le respect de la parole donnée. Cette façon de prendre en otage la démocratie pour neutraliser les incertitudes liées à son agenda personnel pour la période post 2024 est un sous produit de la mégalomanie à laquelle se convertissent les assoiffés de pouvoir. Elle peut être comprise, avec raison, comme une tentative de répéter le coup du mandat précédent. A cette occasion, on a pu voir la capacité du président de la République à modéliser la mauvaise foi autour d’ambiguïtés qui n’avaient de sens que pour lui et que pour les juges qui l’avaient aidé à violer son serment. Mais à force de pousser le bouchon trop loin, on finit par être éclaboussé, d’une manière ou d’une autre…
 
Dans son discours du 31 décembre, le président Sall a dit ceci : «La violence qui secoue le monde doit constamment nous rappeler la chance que nous avons de vivre en paix, et la responsabilité qui nous incombe de la préserver. Nous en sommes à la fois les héritiers et les gardiens ; parce que cette paix est un legs que nous ont laissé les générations passées ; un legs qu’il nous faut entretenir et transmettre aux générations futures.»
 
Ce discours est d’une pertinence implacable, mais dans les pratiques en vigueur depuis une dizaine d’années, c’est un homme formaté aux violences symboliques et institutionnelles qui agit pour ses propres causes, sourd aux appels à la raison, sûr de la force que lui procure le Pouvoir. Une méthode de gouvernance assimilable à un terrorisme démocratique qui, malheureusement,  échappe aux sanctions de la loi. Nous en sommes là et le pire est peut-être à l’horizon…

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