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Sénégal : 14 morts, la mauvaise conscience du président de la République

Lundi 22 Mars 2021

Deux semaines après l’insurrection démocratique et populaire qui a ébranlé le pouvoir du président Macky Sall, entrecoupée sur les flancs par des scènes de pillages révélateurs d’une condition de pauvreté accablante pour l’initiateur du «Yoonu Yokuté» (le chemin de la prospérité), le silence perdure autour des auteurs du carnage public contre 14 jeunes sénégalais (10 selon les décomptes non mis à jour des autorités). Pas moins de 14 citoyens apparemment non porteurs d’armes sont tombés de manière incompréhensible lors des événements de mars. 14 citoyens dont on peut raisonnablement penser qu’ils manifestaient pacifiquement pour la restauration inconditionnelle de libertés démocratiques chèrement conquises en plusieurs décennies de luttes politiques et sociales, mais depuis dix ans mises sous séquestre par l’autoritarisme primesautier du chef de l’Etat.
 
Aujourd’hui, à la faveur du «cessez-le-feu» opportunément arraché aux protagonistes par le khalife général des mourides Serigne Mountakha Mbacké, la tentation est grande pour le pouvoir de s’enfermer dans un confortable ponce-pilatisme afin de ne poser aucun acte visant à clarifier les circonstances dans lesquelles certains de ces jeunes ont été quasiment exécutés. La carte du pourrissement de l’affaire est bel et bien engagée. Les meetings politiques ont repris du tac au tac avec l’objectif de laver l’affront de mars et de redorer un blason bien dégradé. Certains média sont pris d’assaut – pour ne pas réquisitionnés – dans le but évident de réorienter ou de recadrer les certitudes nées des événements de mars 2021. Des mises en scènes oiseuses de machinations infantiles sont programmées et diffusées à grande échelle sur des réseaux sociaux poreux. La lumière nécessaire sur les massacres, elle, attendra. A jamais peut-être !
 
Or, le devoir politique et moral de tout Etat démocratique doté d’institutions crédibles est justement d’apporter à son opinion publique et notamment aux familles des victimes des réponses pertinentes insusceptibles d’être étouffées ou contrecarrées par l’autorité politique et ses relais sécuritaires et judiciaires. Cette mission de clarification d’un épisode désormais crucial dans la vie politique de notre pays se doit d’être une obsession vitale, autant pour le prestige de notre pays que pour l’honneur même du président de la République, premier magistrat du pays, protecteur des gens et des biens, recours des faibles et des puissants. Malheureusement pour le Sénégal, cet homme n’a jamais su se hisser à la place qui devait être la sienne dans l’antre prestigieux de ses fonctions suprêmes. Il a choisi d’être moins qu’ordinaire.
 
Responsable moral de la mort de ces 14 Sénégalais, le chef de l’Etat a l’impérieux devoir de se rattraper, non de la disparition tragique de ses compatriotes, mais de son appétence pour ces petits complots qui finissent logiquement en tragédies, de ses mutismes qui se transforment inéluctablement en coups tordus, de ses expressions (corporelles et vocales) simples et nerveuses qui se terminent inévitablement en agression contre la démocratie. Après seulement, il pourrait rejoindre le nid de silence qui lui sert de laboratoire. En attendant 2024.
 
Quinze jours après la secousse tellurique qui aurait pu emporter son régime, Macky Sall est clairement empêtré dans une posture de faiblesse qu’il n’a peut-être jamais envisagée. Son agenda politique, fortement bouleversé par une capacité de résistance populaire qu’il ne soupçonnait pas, devra s’adapter à un contexte nouveau imposé par un rapport de forces qui a basculé. C’est pourtant dans ces conditions tout à fait nouvelles, pour lui et pour ses opposants, qu’il devra apprendre à vivre avec le souvenir de 14 jeunes sénégalais présumés abattus par des mains inexpertes d’une chaîne de commandement dont il est le grand chef. Pour sa propre conscience mais aussi pour l’histoire, identifier les auteurs camouflés de ces tueries et en faire des exemples de redditions des comptes pour la postérité reste un challenge. En a-t-il seulement le courage et les moyens ?
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