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Au delà du Dialogue politique, il est temps d'engager un Grand Débat National...

Mardi 28 Mai 2019

Le Président de la République, élu récemment avec une victoire toute relative, marquée par une percée de l’opposition qui agrège de plus en plus la contestation populaire, a senti la nécessité d'appeler au dialogue pour resserrer les rangs et panser les plaies et stigmates laissés par une campagne présidentielle durant laquelle des abus de part et d’autre ayant entaché  notre vivre ensemble, ne cessent de s'exprimer de jour en jour. Cet appel à un dialogue national qui dans le principe est une bonne initiative risque toutefois d'être improductif et limitatif s'il est accaparé par une classe politique qui pense devoir parler au nom de toutes les populations, et une société civile pour qui, l'engagement citoyen n'est qu'une forme d'expression politique de personnalités impopulaires, du moins pour un grand nombre parmi ses acteurs.
 
A lire les six points des termes de référence de ce dialogue national et sa composition, on peut noter l'existence d'un glissement sémantique allant d'un dialogue national vers un dialogue de politiques ou de rencontres de conciliabules  entre pouvoir et opposition sous arbitrage d'une société civile dont l'objectif pourrait être entre autres, de s'entendre sur une certaine forme de gestion du pouvoir et présenter le Sénégal aux yeux des partenaires comme un pays stable et démocratique, dans lequel règne une certaine culture du dialogue. Alors qu'au fond, le dialogue national devait dépasser les seules contingences politico politiciennes pour aborder les grandes questions de l'heure qui interpellent la marche de la nation sénégalaise.
 
Jadis, j'avais déjà indiqué dans un précédant article intitulé "Pour un dialogue authentique au nom de notre pays" que : Il est d’usage dans notre pays, qu’à chaque fois qu’un appel est lancé en faveur d’un dialogue, que les partis politiques se sentent plus concernés et ruent dans les brancards avec des motivations à géométrie variable.... Cette attitude portée par une minorité bruyante, est loin des valeurs de la citoyenneté et du vivre ensemble qui nous incombent à tous. La majorité silencieuse et non politicienne a voix au chapitre, et le dialogue lui importe pour ce qu’il en attend en retour.
 
Il est notoire que dans une démocratie normale, les administrations publiques en charge des questions électorales consultent régulièrement les acteurs politiques pour ensemble opérer les réformes et modifications dictées par l’évolution du contexte politique, alors que dans notre pays, on veut faire de cette rencontre une exception qui fait qu'elle soit dénommée au-delà de ce qu'elle est, un dialogue national, tandis que les vrais enjeux d'un dialogue national sont ailleurs.
 
En effet, les rencontres entre acteurs politiques n'ont pas besoin de porter le nom de dialogue national, car elles ne le sont pas en réalité. A contrario, elles doivent se passer de manière permanente au niveau du ministère de l'Intérieur qui a en charge cette question, et les répondants pour de telles rencontres dans les partis politiques ne sont pas forcément les premiers leaders. Il peut s'agir de chargés des questions politiques ou de plénipotentiaires dûment mandatés. Et dans le cadre des rencontres entre politiques, au-delà de l'autorité de tutelle qu’est le ministre de l'Intérieur, il serait plus opératoire de désigner, au lieu d'un seul individu, un collège de garants qui pourra s'assurer de l'impartialité et de la transparence lors de ces rencontres.  
 
Quant aux chefs de partis et coalitions dont la légitimité populaire est attestée par les différentes consultations électorales, le chef de l'Etat ne doit point se priver de leur avis dans la gestion des affaires publiques. Non seulement, il se doit de considérer ces avis, mais surtout d'associer ces leaders politiques légitimes à la prise de décisions sur les questions majeures qui concernent toute la nation. Autrement dit, au lieu de rencontres politiques, ce dont le pays a plus besoin, c'est d'un Grand Débat national.
 
Pour un Grand Débat national...
 
L'exemple de la France avec les gilets jaunes pourrait être un cas d’école. Au vu des problèmes  multiples qui nous assaillent, qui non seulement perforent notre tissu social, mais menacent gravement notre vivre ensemble, il n’est pas superflu de décréter un grand dialogue national qui englobe toutes les couches de la nation sénégalaise.
 
Avec un score officiel de 58% des suffrages valablement exprimés lors de l’élection présidentielle de février dernier, le Président de la République doit entreprendre nécessairement langue avec son peuple; une entreprise qui lui permet de mieux lire les attentes de cette majorité qui l'a porté au pouvoir, mais aussi, de mieux comprendre la déception de cette partie non négligeable des populations votant, à un taux de 42 % et qui n'a été convaincue ni par son discours, ni par son bilan pourtant non négligeable en termes de réalisations. Pour ce faire, ce dialogue devrait avoir comme cible, au delà de figures politiques, toutes les populations qui constituent les principaux acteurs de toutes les politiques de développement social, sociétal, économique, fiscal, environnemental, et autres. Un tel dialogue ne peut manquer une parfaite structuration qui permettra une remontée fidèle des échanges tenus entre les populations à la base. Aussi, des thématiques essentielles devront être débattues et les conclusions pourront servir à orienter les politiques publiques. De plus, c'est un bon instrument de mesure sismographique pour savoir ce qui se passe sous le magma social et ainsi éviter des coulées de larves  éruptives.
 
En rappel, les assises nationales de 2008-2009 au Sénégal ont enclenché le processus. Cependant, l'absence des pouvoirs publics de l'époque à ces consultations a entaché son caractère inclusif, et réduit ses moyens opérationnels.
 
Une des méthodes pour lancer le processus et réussir sa mise en œuvre serait de considérer la journée nationale du dialogue du 28 mai de cette année comme la date de lancement d'un grand débat national au Sénégal qui peut durer autant que nécessaire, celui en France ayant duré 60 jours.
 
Que les administrations déconcentrées et décentralisées, à travers les gouverneurs, préfets, présidents de conseil départemental et maires, le Conseil Economique Social et Environnemental, le Haut Conseil des Collectivités Territoriales, les acteurs politiques du pouvoir comme de l'opposition, les autorités religieuses et coutumières dont les réflexions, pensées et héritages constituent la source d'inspiration morale de nos sociétés, les organisations de la société civile, les opérateurs économiques du Secteur privé, les organisations de femmes et de jeunes, les couches vulnérables, les Sénégalais de la diaspora..., que tous puissent à travers un dialogue fécond et des discussions profondes trouver des réponses aux questions majeures de l'heure, mais aussi des perspectives de sortie de crise, car notre pays est confronté à des problématiques très sérieuses, sur les questions liées à l'insécurité, les violences, les insanités, l'insalubrité publique, l'absence de repères, la paralysie de plusieurs secteurs vitaux due à des grèves répétitives, les conditions difficiles des femmes dans le monde rural, la question des enfants de la rue, la mendicité des enfants et des adultes, la cohésion nationale....
 
Pour ce faire, il ne sert à rien de recréer la roue, le modèle opéré par la France à travers son grand débat national peut nous servir de référence, et ses résultats sont éloquents malgré les insuffisances et les omissions notoires de certaines doléances. Les chiffres nous montrent que, suivant les quatre thématiques dégagées, la fiscalité et les dépenses publiques, l’organisation de l’État et des services publics, la transition écologique, la démocratie et la citoyenneté, il y a eu plus de 1 932 884 contributions en ligne, 10 134  Réunions locales, 16 337  communes ayant ouvert des cahiers citoyens, 27 374 courriers et courriels reçus, sous la supervision d'un collège de garants dont le rôle est d'assurer l'impartialité et la transparence de la démarche. Une telle approche dénote d'un processus inclusif qui peut garantir des résultats fiables et dont l'appropriation par les populations causera moins de problèmes. Nous ne sommes pas obligés de faire du « copier-coller », mais une telle démarche peut bien inspirer notre dialogue national.
 
Un Grand Débat national, le Sénégal en a grandement besoin.
 
Ismaila NDIAYE
Analyste-chercheur
Membre du bureau de la ligue des imams et prédicateurs du Sénégal (LIPS)
ismandiaye777@yahoo.fr               
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