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A la recherche du Mahomet de l’histoire : observations sur les réponses de la professeure Jacqueline Chabbi (par imam Ahmad Kanté, partie 2/3)

Mercredi 2 Juin 2021

Jacqueline Chabbi est agrégée d’arabe, professeure émérite des universités, spécialiste des origines de l’islam. Elle est en particulier l’auteure de : Le Seigneur des tribus. L’islam de Mahomet (rééd. CNRS Editions, 2013), Les Trois piliers de l’islam. Lecture anthropologique du Coran (Seuil, 2016), On a perdu Adam. La création dans le Coran (Seuil, 2019).
 
Le magazine « Le monde des religions » a fait paraitre un entretien réalisé par Virginie Larousse, le dimanche 7 juin 2020[[1]]url:#_ftn1 , avec Jacqueline Chabbi, agrégée d’arabe, professeure émérite des universités, spécialiste des origines de l’islam. Dans les lignes qui suivent, nous avons jugé nécessaire d’émettre des observations brèves certes mais qui remettent en cause des réponses subversives et erronées, à notre avis, que la professeure Jacqueline Chabbi donne à certaines questions. A cette fin, nous reproduisons in extenso, les questions posées par la journaliste et les réponses apportées par la professeure. Puis, nous mentionnons nos observations qui sont autant de réfutations sur ce qui nous semble poser problème dans les réponses de la professeure Chabbi.
 
 
Question : « Sa tribu le prend-elle au sérieux ? »
« Pas du tout. On lui rit au nez. C’est à ce moment-là que commencent à se développer des thématiques issues du monde biblique. Il faut savoir que le judaïsme était implanté au Yémen depuis un peu plus de deux siècles. Le christianisme avait suivi à un siècle d’écart. Mahomet a dû avoir accès à des récits provenant de cette source. La première thématique empruntée à la Bible est celle de l’eschatologie [la fin des temps] : si vous n’écoutez pas les avertissements, vous allez être jugés et la tribu va disparaître. »
 
OBSERVATION
 
Selon cette réponse, la professeure soutient que c’est parce « qu’on lui rit au nez » que Muhammad (saws) va puiser dans la Bible des thématiques et en premier celle de la fin des temps ! L’accusation de plagiat et de remise en cause de son illettrisme (« Mahomet a dû avoir accès à des récits provenant de cette source ») revient, mais notre observation ne portera pas sur ce sujet. Elle consiste plutôt à demander à la professeure de nous expliquer ce qui a motivé cette deuxième inspiration de Muhammad (saws). Ce n’est pas convainquant d’aligner « n inspirations » chez Muhammad (saws) sans rien démontrer ou se contenter d’utiliser au conditionnel des expressions qui cachent mal les préjugés de notre professeure. La tribu de Muhammad (saws) ne croyait pas à la résurrection et au jugement dernier, alors pourquoi ce dernier va-t-il penser que c’est à travers cette thématique qu’elle va accepter son message ?
 
D’ailleurs, à travers ce que le Coran rapporte sur les croyances des Mecquois à l’époque, il apparait que ces derniers ne croyaient pas au prophétisme. Donc, on ne voit pas en quoi s’inspirer d’un Livre qui contient des récits de prophètes (paix sur eux), de surcroît non arabes, pouvaient donner plus de crédit à la prédication de Muhammad (saws).
 
La professeure admet elle-même que le soi-disant recours à la Bible va échouer quand elle écrit : « Le Coran dit que « celui dont la balance ne sera pas suffisamment lourde », c’est-à-dire lourde de bonnes actions, ira dans un « lieu de feu ». Il faut entendre par là une relégation dans le désert brûlant où l’on serait à jamais séparé des siens, image terrifiante pour un sédentaire d’Arabie. Au contraire, si votre balance est lourde (d’actions solidaires), vous resterez réunis aux vôtres (Coran 101).
 
Dans ce passage ancien, il n’est pas encore question de paradis. Mais cette menace ne fait ni chaud ni froid à son entourage. »
 
OBSERVATION
 
La professeure dit qu’il « faut » entendre par « lieu de feu », c’est sa traduction (sans préciser le ou les versets auxquels renvoie cette expression), «une relégation dans le désert brûlant où l’on serait à jamais séparé des siens, image terrifiante pour un sédentaire d’Arabie.» D’autorité, elle nous impose son interprétation du « lieu de feu » coranique. La même remarque vaut quand elle nous dit qu’il faut comprendre par balance lourde, des « actions solidaires » grâce auxquelles « vous resterez réunis aux vôtres » ! On a beau chercher dans la sourate 101 qu’elle donne en référence, pour voir que rien qui indique des « actions solidaires » ou de familles réunies ne s’y trouve !
 
Tout cela s’inscrit bien sûr dans le présupposé de départ, à savoir que Muhammad (saws) n’avait qu’un seul but : susciter un sursaut de solidarité dans sa tribu. Elle clôt la réponse à cette question en nous disant que dans ce passage ancien (lequel, et ancien par rapport à quoi?) il n’est pas encore question de paradis. Pourtant si, étant donné que tout ce qui est dit dans cette sourate reste relative aux évènements du jugement dernier : le salut et la félicité pour qui aura une balance où les bonnes œuvres pèseront plus lourdes que les mauvaises, l’enfer pour le damné dont le poids des bonnes œuvres sera plus faible que celui des mauvaises. De toute façon, on peut encore se demander en quoi la référence à ces expressions eschatologiques est-elle pertinente étant donné que les Mecquois ne croient pas à la résurrection et au jugement dernier ? La professeure Chabbi ajoute : « Pour contrer le refus d’écoute, d’autres thématiques vont apparaître dans son discours, notamment celle du Dieu créateur, emprunté là encore au judaïsme et au christianisme. Au début, ce dieu porte encore le nom local de rabb, le « Seigneur (maître de territoire) » (87, 1). C’était le titre donné au protecteur du point d’eau mecquois (Coran 106, 3). Le nom divin Allah, qui signifie « le Dieu» avec valeur de nom propre, ne s’impose que lorsque a été gagné ce que j’appelle « la bataille des dieux ». Durant une grande partie de la période dite « mecquoise », c’est-à-dire la plus ancienne du Coran, le rabb déclaré créateur doit en effet affronter les trois divinités féminines locales (53, 20-21) pour montrer que c’est lui seul qui garantit la prospérité de la tribu. C’est ainsi qu’une première forme de monothéisme pragmatique s’invite dans le discours. »
 
OBSERVATION
 
C’est quand même étrange de voir que la professeure Chabbi, sans jamais nous expliquer pourquoi Muhammad (saws), désespéré de ne pas être écouté, va puiser dans la Bible des avertissements et face à un refus persistant, se met à changer de thématiques Bibliques ! A supposer que Muhammad (saws) eût  pris connaissance de la Bible, d’autres Mecquois devaient être dans la même situation sans pour autant adhérer à son (de la Bible) message notamment eschatologique ! Pourquoi alors Muhammad (saws) va-t-il tenter sa « chance » du côté de la Bible pour faire accepter son message ? Surtout qu’il « échoue » malgré cette tentative. En effet, notre professeure nous dit que n’étant écouté par personne, Muhammad (saws) finit par être banni et doit se résoudre à quitter la Mecque !« Maintenant, c’est la notion de Dieu créateur que Muhammad va brandir. Il porte le nom local de rabb « Seigneur (maitre de territoire), nous dit la professeure. D’abord, il ne devrait pas être difficile pour notre professeure de savoir que dans les premiers versets révélés à Muhammad (saws), il est mentionné le terme « rabb » comme au tout début de la sourate « iqra » associé à la notion de création « bismi rabbikal lazî khalaq ». Donc ce n’est pas juste de lier la mention du terme «rabb », dans le message de Mahomet à une « astuce de ce dernier « pour contrer le refus d’écoute. » Aussi, la professeure Chabbi devrait-elle savoir que nombre de versets rapportent des échanges entre Muhammad (saws) et les Mecquois où il est question du Dieu créateur que ces derniers connaissaient sans l’associer au judaïsme et au christianisme : à la question « qui a créé les cieux et la terre ?», les Mecquois répondaient : Allah ! (Coran, 29 : 61). On reste perplexe devant l’affirmation de la professeure Chabbi selon laquelle le terme « rabb » était « le titre donné au protecteur du point d’eau mecquois (Coran 106, 3) ! Ce qui est gênant ici, c’est la référence à la sourate 106 où on ne trouve rien qui étaye ce qu’elle soutient. Dans cette sourate, les Mecquois sont invités à vouer un culte exclusif au « rabb » (Maitre) de cette « bayt » (la Kaaba, maison de Dieu) : aucune mention d’un point d’eau dans cette sourate. D’où lui vient alors l’idée que le « rabb » était le titre donné au protecteur du point d’eau mecquois. Quel point d’eau mecquois ? Cette sourate vient rappeler aux Quraychites un « oubli » grave et un manque de reconnaissance flagrant à l’égard de Celui pour Qui cette maison a été édifiée et Qui leur assure Sécurité alimentaire et humaine ou tribale.
 
Quand on lit les premiers versets révélés à Muhammad (saws) à la Mecque, on voit que cette expression de la professeure : « C’est ainsi qu’une première forme de monothéisme pragmatique s’invite dans le discours. » n’a aucun sens et n’est étayé par rien du tout. La professeure ajoute « Muhammad signifie « celui qui est louangé» – non par les hommes, mais par Dieu. Cette dénomination se trouve inscrite à plusieurs reprises sur la coupole du Rocher, à Jérusalem, achevée en 692 à l’époque omeyyade, comme pour faire un affichage destiné à être vu urbi et orbi. S’agit-il de son nom réel ? Sans doute pas. Il est possible qu’il s’agisse d’un nom destiné à renforcer son prestige. Certaines sources lui donnent un autre nom plus ordinaire : Qutham (qui signifie « celui qui distribue sa part de butin »). »
 
OBSERVATION
 
Une étrangeté de plus dans les réponses de la professeure Chabbi : Muhammad ne serait pas le nom réel (« sans doute pas » !) et comme à l’accoutumée, sans aucune démonstration pour une négation aussi lourde de conséquence et aussi inédite. Sans oublier qu’utiliser l’expression «sans doute pas » qui est catégorique dans la négation, pour ensuite nous parler de possibilité «Il est possible qu’il s’agisse d’un nom destiné à renforcer son prestige. », relève d’un genre de raisonnement tout sauf rigoureux. Muhammad et Ahmad (saws) sont les deux seuls noms qui désignent ce prophète dans le Coran. Notre professeure le sait mais préfère cette fois-ci disserter sur ce qui a été écrit sur la coupole du Rocher, à Jérusalem, bien après la fin de la révélation coranique, où se trouve mentionné le nom Muhammad (rappelé à Dieu en 632) ! Donc, il faut dire clairement que c’est le Coran qui a mentionné son prestige bien avant ce qui est écrit sur la coupole du Rocher. Pour la professeure Chabbi, ce sont des noms plus ordinaires qui sont les vrais, comme celui de Qutham! On voit où mènent des idées préconçues. Pourtant, on trouve dans les sources que la professeure a certainement consultées les« noms » de « Mustafa », « Moukhtar », « ‘aquib », etc. et de Muhammad et Ahmad mentionnés dans le Coran. Mais pour la professeure Chabbi, seuls les noms «plus ordinaires» qui ne « renforcent pas son prestige sont vrais » !
 
La professeure Chabbi de dire : « Mahomet n’a pas voulu fonder une nouvelle religion. Son objectif était de réunir les tribus dans une alliance qui profite à tous. Ce qui était recherché, c’est avant tout la prospérité terrestre. Dans un milieu aride et hostile règne la terreur du lendemain. Le Dieu protecteur doit donner un avenir au groupe humain qu’il protège. Je suis persuadée que les hommes de tribu n’ont jamais cru aux promesses de paradis ni aux menaces de l’enfer qui étaient étrangères à leur imaginaire collectif. Leur obsession était de continuer à vivre ici et maintenant. C’était d’autant plus le cas à La Mecque, qui n’était pas une oasis. Il n’y avait aucune production agricole locale. Il fallait aller chercher l’approvisionnement à plusieurs jours de marche au pas des chameaux. La sourate 106, 4 souligne que c’est le « Rabb de la Demeure » (la Kaaba) qui fait échapper la cité à la famine et à la peur (des attaques). »
 
OBSERVATION
 
La Zakat qui est un des cinq piliers de l’islam illustrant l’obligation de solidarité n’est prescrite qu’à la deuxième année de l’hégire à Médine, c’est-à-dire, 15 ans après le début de la révélation coranique. Les premiers versets à être révélés à la Mecque ne font pas du tout référence à des questions de justice clanique. La sourate 106 que la professeure aime bien mentionner parle du devoir de reconnaissance de la Tribu des Quraychites à l’égard du vrai Dieu et Maitre de la Kabba qui assure leur sécurité physique et alimentaire.
 
Où le prophète Muhammad (saws) a-t-il dit qu’il voulait fonder une nouvelle religion ? Le Coran rappelle qu’il n’est pas autre ni plus qu’un prophète dans la lignée de ces prédécesseurs (3, 144 ; 33, 40). Aussi, où a-t-il dit que son objectif était de réunir les tribus dans une alliance qui profite à tous ? Quel était le contenu de cette alliance ? Où dit-il que le but recherché avant tout, c’est la prospérité terrestre ? Et pourquoi l’endroit de sa tribu dont l’imaginaire collectif rejetait le prophétisme, la résurrection des corps et la vie dans l’au-delà comme c’est mentionné dans le Coran ? Comment expliquer que ceux qui ont adhéré au message de Muhammad (saws) aient accepté le martyr, le bannissement, l’exil, le conflit et la rupture avec leurs proches, toutes choses qui n’ont rien à voir avec la justice clanique et la recherche de la prospérité ? Comment expliquer qu’après son rappel à Dieu, ses compagnons ont continué à propager l’islam qui remettait en cause leur imaginaire collectif, et disons tout leur mode de vie et leurs croyances ancestrales, alors que notre professeure nous dit que « leur obsession était de continuer à vivre ici et maintenant » !
 
Le prophète Muhammad (saws) n’emprunte pas, comme le soutient la professeure Chabbi, des concepts de monothéisme au judaïsme et au christianisme mais il récite des versets du Coran qui rappellent aux Quraychites ceci : si vous êtes en sécurité malgré votre vulnérabilité géographique et humaine en plein désert, et si vous n’êtes pas menacés par la famine, c’est l’effet d’une immense faveur du Maitre de cette Demeure, la Kaaba alors vous devez Lui manifester votre gratitude par un culte exclusif. Ce qui veut dire que cette sourate appelait les Quraychites à abandonner le culte de faux dieux appelés « arbaab », pluriel de « rabb » qui ne sont pas les maitres de la Kaaba et ne leur assurent ni sécurité ni protection contre la famine. A la question : Pourquoi Mahomet, en butte à l’hostilité des Mecquois, choisit-il de se réfugier à Médine en 622 ? La professeure Chabbi répond : « Parce qu’il aurait eu une grand-mère paternelle issue d’un clan médinois, et non parce qu’il était attendu en tant que prophète, comme le fantasme la tradition musulmane postérieure. Contrairement à La Mecque, Médine était une grande oasis prospère qui nourrissait cinq tribus. L’exil médinois de Mahomet lui donne des moyens d’action dont il ne disposait pas à La Mecque. Il n’est plus contraint à la loyauté envers sa tribu d’origine, puisqu’elle l’a banni. Il va donc pouvoir se lancer dans un jeu politique alternant actions de force et négociation dès que cela devient possible. Son but est en effet de devenir un interlocuteur politique crédible. Deux ans avant sa mort, il prend le contrôle de La Mecque à l’issue d’une négociation avec son clan, dont sortira plus tard la dynastie omeyyade ».
 
OBSERVATION
 
Si sa tribu l’avait banni, cela voudrait dire qu’il représentait une menace mais difficile à admettre pour la professeure qui préfère soutenir que personne ne l’écoutait à la Mecque et personne ne l’attendait à Médine !
 
Encore une réponse étrange : « parce qu’il aurait eu une grand-mère paternelle issue d’un clan médinois… » Avec la professeure Chabbi, le recours au conditionnel finit par devenir la panacée là où soit elle n’a pas de réponse et ne veut pas le dire soit pour « corroborer » son idée préconçue d’un Mahomet « imposteur » dont l’unique et ultime objectif serait de provoquer la solidarité tribale ! Pourquoi évacuer les sources musulmanes qui rapportent toutes les étapes qui ont abouti à des serments d’allégeance avec des Médinois venus en pèlerinage à la Mecque, à l’envoi d’un compagnon pour prêcher l’islam à Médine, et finalement à l’arrivée de Muhammad (saws) dans cette cité ? Il faudrait démontrer en quoi ces sources seraient fausses et un simple fantasme entretenu par la tradition musulmane. Pour des exigences de cohérence, la professeure Chabbi doit nous expliquer en quoi la prise de contrôle de la Mecque était liée au supposé objectif de solidarité tribale puisque Muhammad (saws) n’y reste pas après y être revenu triomphalement. Il se contente d’accomplir le pèlerinage et puis revient à Médine pour y rester jusqu’à la fin de sa vie.
 
La professeure Chabbi ne nous dit pas aussi quels sont les termes de la négociation entre Muhammad (saws) et son clan. C’est au regard d’un rapport de forces qui leur était défavorable que les Mecquois vont se soumettre et laisser le prophète et la dizaine de milliers de ses compagnons entrer à la Mecque. Pour clore sa réponse, elle dit que c’est du clan de Muhammad que sortira la dynastie omeyade. En vérité, le prophète Muhammad (saws) appartient au clan des Banû Hâchim (Hachémites) et pas à celui des Banû Umayya (Umeyades), tous issus de la tribu des Quraychites.
 
Question : Si la négociation est souvent privilégiée, les choses ont néanmoins très mal fini avec une tribu juive de Médine, que Mahomet a éliminée.
 
C’est vrai, mais les raisons sont politiques et non religieuses. Les juifs de Médine, organisés en trois tribus, étaient des membres à part entière de la communauté médinoise, qui comptait également deux tribus arabes, dont celle à laquelle Mahomet aurait été apparenté. Mais sur le plan religieux, les notabilités juives refusent catégoriquement de discuter avec Mahomet, qui ne trouve aucun compromis pour les rallier à sa cause. Ses rabbins ne peuvent prendre au sérieux les récits bibliques coranisés. Mahomet ne peut toutefois pas adopter un axe d’attaque idéologique, les règles de l’alliance intertribale ne le permettant pas. Il va d’abord trouver des prétextes politiques pour faire expulser deux tribus. Et au moment où les Mecquois font le siège de Médine, la troisième tribu aurait pactisé avec les assaillants, ce qui entraîne une riposte tribale automatique. Les hommes sont exécutés, les femmes et les enfants réduits en esclavage.
 
OBSERVATION
 
Ce qu’on sait des sources musulmanes, c’est que Muhammad a établi une convention ou charte de Médine où il était stipulé que les musulmans et les juifs sont dans la même Oumma (Communauté) et que la liberté religieuse est garantie à chacune d’elle. On ne peut pas dire que « les notabilités juives refusent catégoriquement de discuter avec Mahomet». En effet, aussi bien le Coran que les sources de la Sira rapportent des discussions entre les notables juifs et Muhammad ainsi que des chrétiens venus du Yémen et reçus dans la Mosquée de Médine. La professeure nous fait encore le coup des affirmations lapidaires et non démontrées : « il va d’abord trouver des prétextes politiques pour faire expulser deux tribus » ! Passons sur l’expression « prétextes politiques» car elle ne pourra jamais démontrer cette assertion. Et voilà encore un recours tellement abusif du conditionnel quand il s’agit de semer le doute sur ce que les sources musulmanes rapportent : « la troisième tribu aurait pactisé avec les assaillants, ce qui entraine une riposte tribale automatique… » Quand on veut imposer une lecture tribale des actes que pose le prophète Muhammad (saws), c’est à ce genre d’affirmations faciles et orientées qu’on aboutit inévitablement. La professeure parle sans la mentionner de la bataille des coalisés dont parle la sourate éponyme ? Selon les sources de la Sira (biographie du prophète Muhammad – saws -), c’est quand des faits de trahison ont été établis en rapport avec la clause de solidarité sécuritaire incluse dans la charte de Médine que Muhammad (saws) demande à une notabilité juive d’appliquer la sanction prévue dans leur Livre, la Thora.
 
Sur une question relative à la violence, la professeure Chabbi qui rend globalement justice à l’islam sur ce sujet en rejetant la posture essentialiste et par un détour comparatiste avec la Bible, ajoute ce qui suit : « Ce n’est pas le Coran qui impose des règles à la société de son temps. C’est la société qui impose des règles au Coran, lequel prend bien soin de ne jamais les transgresser. Sinon, il aurait été impossible à Mahomet de réussir en politique. » S’il s’agissait juste pour le Coran de ne pas transgresser les règles de la société, pourquoi Mahomet va-t-il rencontrer toutes ces difficultés ? Pourquoi cherche-t-il à changer les règles non solidaires qui régissent le fonctionnement de sa tribu ? N’oublions pas que la professeure Chabbi soutient dès le début de cet entretien que Mahomet a un seul but, à savoir, réaliser la justice clanique au sein de sa tribu ! Il faudra bien que la professeure Chabbi nous dise si les termes Coran et Mahomet sont interchangeables, car on ne s’y retrouve pas. C’est vrai que Mahomet a laissé en place certaines règles de la société de son temps mais il est faux d’en déduire que c’est cette société arabe-là qui a imposé des règles au Coran. Beaucoup d’exemples infirment cette affirmation : interdiction de la vendetta et de l’usure (riba) prescription de la Zakaat, libération d’esclaves, limitation de la polygamie, part d’héritage pour les femmes, interdiction de l’infanticide (enterrement de petites filles), prescription du voile, etc.
 
« Le djihad désigne l’effort que l’on fait pour aboutir à un objectif. Dans la partie mecquoise du Coran, il est dit que si des parents « font le djihad », donc « tous leurs efforts », contre leur enfant pour l’écarter de la voie d’Allah, il ne faut pas leur obéir (31, 15) : c’est le sens de base. « (…) A Médine, lorsque Mahomet voulait lancer une action, il devait faire appel aux volontaires car on était dans une société où nul ne pouvait contraindre quelqu’un à s’engager. Cela valait au cas par cas, pour chaque action en particulier. Le djihad dans la voie d’Allah est donc simplement le fait d’accepter de s’engager temporairement dans une action. »
 
Cette assertion de la professeure Chabbi contient une définition fausse du mot djihad. En effet, quand on regarde les occurrences de ce mot selon la racine «j-h-d», on trouve des sens qui vont au-delà « dufait de s’engager temporairement dans une action ». Dans le Coran, le caractère temporaire du djihad est l’exception et revêt souvent la modalité de la lutte armée (qitâl). L’engagement continuel pour la cause de Dieu (fîsabîlillah) est la règle. Aussi, il est important de noter que ce n’est pas simplement comme le dit la professeure Chabbi, « dans une action », qui serait alors à caractère indéterminé, mais plutôt pour la cause de Dieu. (à suivre)
 
Fait à Dakar, le 07/05/2021
Imam Ahmad Kanté
 
[[1]]url:#_ftnref1 https://www.lemonde.fr/le-monde-des-religions/article/2020/06/07/a-la-recherche-du-mahomet-de-l-histoire_6042044_6038514.html#:~:text=Les%20sources%20concernant%20Mahomet%20ont,du%20proph%C3%A8te%20de%20l'islam.&text=Le%20point%20avec%20Jacqueline%20Chabbi%2C%20sp%C3%A9cialiste%20de%20l'islam%20classique
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