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Contrôle fiscal d’une entreprise de presse : une opportunité en doute !

Vendredi 16 Juillet 2021

Elimane Pouye
Elimane Pouye
Dans cette seconde et dernière sortie sur l’affaire du redressement fiscal de M. Bougane Gueye DANI, il s’est agi, pour nous, d’analyser, à la lumière des éléments de contexte, le communiqué de presse de la Direction générale des Impôts et des Domaines (DGID) à travers lequel elle a tenu à « rétablir la vérité des faits » suite aux accusations portées sur elle et l’amalgame entre l’établissement d’un redressement fiscal et la délivrance d’un quitus fiscal.
 
L’administration fiscale a rappelé les conditions de la programmation annuelle du contrôle fiscal qui serait basée sur un « ciblage sur la base de critères de risques objectifs ».
 
Dans sa mise au point, le fisc martèle que « l’appartenance ou non à une catégorie professionnelle, politique ou communautaire ne prédispose pas à un contrôle fiscal ; elle ne donne pas, non plus, droit à forme de traitement de faveur ».
 
Mais à la lumière des éléments de contexte, il est possible de se demander si l’appartenance du groupe D-MEDIA au secteur de la presse ne devait pas constituer un argument de nature à motiver un sursis à tout contrôle fiscal ?Autrement dit, la question que l’on est en droit de se poser est de savoir : est celle de l’opportunité d’un contrôle fiscale chez une entreprise de presse dans le contexte actuel?
 
Cette question mérite d’être posée compte tenu des mesures de faveur dont le secteur de la presse a bénéficié dans le cadre du soutien aux entreprises imposée par la pandémie de la COVID-19.
 
En effet, des avantages particuliers ainsi que des facilités de trésorerie aux contribuables ont été accordé par l’Etat à travers l’ordonnance n°002-2020 du 23 avril 2020 relative aux mesures fiscales en soutien aux entreprises dans le cadre de la pandémie du Covid-19.
 
En particulier, cette ordonnance institue notamment, d’une part, une remise partielle de la dette fiscale due au 31 décembre 2019 et, d’autre part, une allocation sous forme de subvention égale aux retenues d’impôts et taxes exigibles sur les traitements et salaires payés pendant la durée de la crise. Elle prévoit aussi une prorogation des délais de déclaration et de paiement des différents impôts et taxes dus par les entreprises affectées par les conséquences de la pandémie
Pour rendre opératoire ces mesures, l’arrêté n°010331 du 05 juin 2020 précise la notion d’activité directement impactée et les modalités d’allocation de la subvention prévue par l’article 185 bis du Code général des Impôts.
 
En sus des critères fixés par l’article 3 dudit arrêté, sont considérés comme directement impactées par la crise liée à la pandémie du COVID-19, les entreprises évoluant dans les secteurs : du tourisme et activités connexes, de la restauration, de l'hôtellerie, du transport, de l'éducation, de l'enseignement supérieur et de la formation professionnelle, du bâtiment et des travaux publics, de l'agriculture, de la pêche, de l'élevage, de la culture et de la presse.
 
Dès lors, considérer les entreprises de presse en général comme impactées par la pandémie du COVID-19 et décider de leurs accorder des mesures fiscales inédites de soutien pour ensuite en contrôler quelques-unes et établir une nouvelle dette fiscale ne relève pas d’un management cohérent du système fiscal.
 
Même si aucun élément factuel ne peut être pointé pour légitimer la thèse de représailles politiques à l’encontre du groupe D-MEDIA, il est possible de douter de l’opportunité d’un contrôle fiscal à l’encontre d’une entreprise de presse sur la seule base d’un « ciblage basé sur des critères de risques objectifs ».
 
Par ailleurs, la loi n°2020-33 du 22 décembre 2020 portant loi de finances (initiale) pour l’année 2021 a institué un « Régime fiscal dérogatoire des entreprises des secteurs du tourisme et de la presse » en ses articles 24, 25, 26, 27, 28 et 29. Même si la constitutionnalité de telles mesures peut être questionnée au regard des principes d’égalité devant l’impôt et d’égalité devant les charges publiques, cette loi est entrée dans le droit positif, est applicable et appliquée. 
 
Dans l’exposé des motifs de la loi, il est argué qu’« au plan fiscal, en plus des mesures déjà adoptées, il est envisagé de soutenir davantage les entreprises les plus impactées par cette crise notamment, celles évoluant dans les secteurs du tourisme et de la presse ».
 
Aussi, est-il proposé, par dérogation aux dispositions du Code général des Impôts, de ne pas rechercher en paiement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), les prestations réalisées par les entreprises susvisées au profit de leurs clients.
 
Par ailleurs, il est prévu de dispenser lesdites entreprises du reversement des impôts et taxes retenus sur les salaires de leurs employés et de les exonérer du paiement de certains impôts directs dont elles sont les redevables réels. Il s’agit, plus précisément, de l’impôt sur les sociétés, de l’impôt minimum forfaitaire, de la contribution économique locale, de la contribution foncière des propriétés bâties, de la contribution foncière des propriétés non bâties et de la contribution forfaitaire à la charge de l’employeur.
 
Ces mesures sont applicables sur la période du 1eroctobre 2020 au 31 décembre 2021 et devraient permettre, selon les termes de l’exposé des motifs de la loi, « de renforcer les capacités de résilience des entreprises bénéficiaires ». Toutes les entreprises de presse, régies par la loi n° 2017-27 du 13 juillet 2017 portant Code de la Presse, sont dans le champ d’application.
 
Édicter cette batterie de mesures de soutien qui font que la presse est quasiment dispensée de tous impôts et ensuite cibler de façon singulière une entreprise de presse pour lui réclamer des impôts à la suite d’un contrôle fiscal laisse à douter de la stricte neutralité de l’administration fiscale. (…)
 
Elimane Pouye, Inspecteur principal des impôts
Secrétaire général honoraire du Syndicat autonome des agents des impôts et des domaines (SAID)
 
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