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THIALY FAYE (chargé de programme au Forum civil) : "Il faut améliorer la relation entre Ofnac, Centif et Administration fiscale»

Mercredi 27 Juin 2018

L’évasion fiscale présumée dont aurait bénéficié la société SNC Lavalin du Québec et révélée par les WestAfricaLeaks au mois de mai dernier reste en travers de la gorge des acteurs en lutte contre toutes les sortes de fraudes fiscales. Pour Thialy Faye, du Forum civil, il faut que l’Etat réagisse.


Les investigations de WestAfricaLeaks et de ICIJ ont mis en évidence une évasion fiscale présumée de plusieurs milliards de francs Cfa au détriment du Sénégal, par la société québécoise SNC Lavalin. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
 
Les fuites des capitaux vers des destinations plus douces du point de vue fiscal  est un phénomène mondial  dont l’ensemble des gouvernements se plaignent et essaient de se protéger notamment par la signature d’accords d’échanges  d’informations  et de coopération. en matière de lutte contre le blanchiment de l’argent sale, par la mise en place d’une réglementation et d’institutions adaptées à la lutte contre le phénomène.
 
Ce phénomène dénommé flux financiers illicites est défini par le Groupe de travail de haut niveau, mise en place par l’Union Africaine et dirigé par le Président THABO MBECKI comme étant « de l’argent illégalement gagné, transféré ou utilisé » et par la même occasion distingue quatre catégories de flux financiers illicites que sont d’abord le blanchiment d’argent, la corruption, les abus fiscaux et les abus de marché ou de position dominante.
 
Les flux financiers illicites dans le continent africain constituent l’une des causes les plus  nocives du sous-développement de l’Afrique. Elle prive l’Afrique de moyens  de se sortir du sous-développement et de la dépendance de l’Afrique de l’aide internationale.
 
L’évasion fiscale de plusieurs milliards de francs CFA, révélé dans WestAfricaLeaks et par ICIJ, s’insère dans ce contexte et constitue le nième scandale financier impliquant le Sénégal après l’affaire « Swissleaks » et les Panama Papers.
 
Que faudrait-il que le gouvernement fasse pour tenter de récupérer tout ou partie de l’argent supposé évadé ?
 
A priori, il sera très difficile pour le Sénégal de récupérer tout cet argent car souvent les acteurs utilisent des moyens légaux comme les régimes dérogatoires, les niches fiscales de types crédits d’impôt, les déductions ou réductions d’impôt, les exonérations.  Il y’a tout une ingénierie juridique que les sociétés multinationales utilisent. Il s’agit souvent de l’utilisation abusive des conventions fiscales (le phénomène des « treaty shopping »), ou le procédé des sociétés mères et filiales, dont l’une des entités peut être localisée dans des paradis fiscaux.
                                                                        
Mais néanmoins, le Sénégal dispose d’un cadre juridique et institutionnel pouvant valablement lutter contre ces flux financiers illicites. Au niveau institutionnel, puisque les flux financiers illicites comprennent en général trois composantes importantes d’après le rapport du groupe de haut niveau dirigé par Thabo MBECKI : la corruption des agents publics au sens de vol des biens publics, de pots-de-vin et autres formes d’abus; les activités criminelles telles que le trafic de drogues, le blanchiment d’argent, le racket, la contrefaçon, le trafic illicite d’armes, la contrebande transfrontalière, la fraude dans le secteur financier; les transactions commerciales internationales à travers la facturation commerciale frauduleuse ou l’utilisation des prix de transfert pratiquées par des multinationales. La lutte contre ces flux financiers illicites dans leurs trois dimensions implique la CENTIF et OFNAC, l’Administration fiscale ainsi que les juridictions sénégalaises notamment la Cour de Répression de l’enrichissement illicite (CREI).
 
Et au niveau de la Cedeao ?
 
Au niveau communautaire, l’UEMOA, la CEDEAO ainsi que l’Union africaine ont eu à légiférer sur le blanchiment d’argent et la corruption. Cette réglementation peut être parfois contraignante à l’image des règlements qui sont d’application immédiate au niveau des pays membres et parfois moins contraignante à l’image des directives et instructions.
 
Au niveau national, notre pays a adopté une série de normes relatives à toutes les formes de flux financiers illicites depuis 1965. Ces différentes normes ont des valeurs juridiques différentes. Il s’agit précisément des lois et des décrets qui concernent la lutte contre la corruption, le blanchiment de capitaux, les abus de marché ou de position dominante, les activités bancaires et financières, les finances publiques.
 
Au Sénégal, qu’en est-il des textes en vigueur contre les fraudes fiscales qui alimentent les paradis fiscaux ? Sont-ils adaptés aux situations et enjeux?
 
L’analyse de la structure organique de l’Administration fiscale et l’observation de ces modes opératoires révèlent l’absence d’une véritable stratégie de lutte contre les flux financiers illicites à travers certains instruments mis en place par la loi fiscale. La procédure de taxation des éléments du train de vie (Article 169/CGI) n’est quasiment pas mise en œuvre. Or, ce mécanisme, qui permet à l’Administration fiscale de fixer le revenu imposable d’un contribuable à une somme forfaitaire déterminée en appliquant à certains éléments de son train de vie un barème,permet d’établir des soupçons quant à l’origine frauduleuse ou illicite du patrimoine dudit contribuable.
 
De même, la procédure d’examen de situation fiscale personnelleArticle 583/CGI) est une redoutable arme qui devrait permettre à l'Administration des impôts de connaitre tous les éléments de patrimoine et de revenus d’un contribuable.
 
En effet, l’Administration fiscale peut procéder à l'examen contradictoire de l’ensemble de la situation fiscale des personnes physiques au regard de l’impôt sur le revenu, qu'elles aient ou non leur domicile fiscal au Sénégal, lorsqu'elles y ont des obligations au titre de cet impôt. En outre, la possibilité de poursuites et de condamnations pénales pour les contribuables coupables de fraude fiscale  devrait sans doute permettre de lutter efficacement contre les auteurs de fraudes et de corruption.
 
Enfin, il y a lieu de s’interroger sur la nécessité de l’aménagement d’une taxation confiscatoire de tout revenu dont l’origine frauduleuse ou illicite est clairement établie. Ce mécanisme pourrait permettre de lutter efficacement contre ces pratiques.
 
Au plan externe, la mise en œuvre des conventions fiscales internationales dans leur volet échange de renseignements devrait permettre de lutter contre la corruption, les transactions financières illicites et la fraude.
 
Que pouvez-vous dire des mécanismes internationaux ?
 
L’utilisation de mécanismes internationaux comme la Convention multilatérale concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale devrait permettre de lutte contre ces flux financiers illicites. Cette convention prévoit toutes formes d'assistance administrative en matière fiscale: échange d'informations sur demande, spontané, automatique, contrôles fiscaux à l'étranger, contrôles fiscaux simultanés et assistance en matière de recouvrement des créances fiscales tout en prévoyant d’importantes garanties pour la protection des droits des contribuables.
 
Depuis lors, la Convention est devenue un instrument véritablement mondial. Elle est considérée comme l'instrument idéal pour la mise en œuvre rapide de la nouvelle norme pour l'échange automatique en matière fiscale d'informations sur les compte financiers élaboré par les pays de l'OCDE et du G20 ainsi que pour l'échange automatique des déclarations pays par pays dans le cadre du projet OCDE/G20 de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS) . A cet effet, le dispositif fiscal sénégalais de lutte contre les prix de transfert a été renforcé par la récente modification du code général des impôts de 2018.
 
Quels sont les freins et les pesanteurs à surmonter pour une meilleure efficacité dans la lutte contre les flux financiers illicites ?
 
Il serait interessant pour le Sénégal, de renforcer son cadre juridique et institutionnel de lutte contre les flux financiers illicites notamment la collaboration entre les différentes structures. A cet effet, le niveau de transmission d’informations de la CENTIF ou de l’OFNAC vers l’Administration fiscale pour s’assurer que certaines transactions financières ont été appréhendées par l’Administration fiscale doit être amélioré.
 
En outre, au regard du nouveau dispositif de lutte contre les prix de transfert et des révélations de WestAfricaLeaks, il y’a lieu d’évaluer et de renégocier la convention fiscale entre le Sénégal et l’Ile Maurice, de doter l’administration fiscale d’un service dédié au prix de transfert. 
 
Propos recueillis par Momar DIENG
 
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1.Posté par Me François JURAIN le 01/07/2018 09:45
Et si les institutions dont c'est le rôle: OFNAC, IGS, COUR DES COMPTES, ect... pouvaient travailler en paix, c'est à dire en toute indépendance, et mener à bien toutes les investigations qu'ils entendent mener?
Et si les rapports de ces institutions ne subissaient pas une correction de la part de la présidence, au point que l'on est en droit de se demander s'ils ne reçoivent pas des brouillons rendus "acceptables" par l'intéressé?
Et si le Procureur de la République, dont c'est le rôle, ouvrait enfin les dossiers: PORT DE DAKAR, COUD, SARR, CAISSE D'AVANCE DE LA PRIMATURE, maintenant PRODAC, ect...la liste est tellement longue que le parquet dakarois a au moins dix années de travail!
Et si le Président de la république ne jouissait pas d'une immunité complètement délirante, qui luyi permet de puiser sans vergogne dans le trésor qui appartient au peuple, et non au château?
alors? DES MESURES NOUVELLES? POURQUOI PAS, Mais commençons déjà par appliquer les mesures existantes: cela permettra de faire rentrer dans les caisses quelques dizaines de milliards de francs, voir quelques centaines, et comme on a appris que ces fameuses caisses sont déjà pleines, et bien, il est grand temps de se préoccuper du sort des quinze millions de sénégalais, et que les quelques mille cinq cents qui profitent à tout crin de l'argent du peuple, rendent des comptes, dans le strict respect de la loi. Et la, le sénégal aura fait un grand pas vers la démocratie.
Autant dire que la route est encore longue...
Me François JURAIN

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