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Les « oubliés » du dispositif de continuité pédagogique des enseignements/apprentissages: l’équation des élèves des classes intermédiaires du Moyen-Secondaire au Sénégal.

Jeudi 16 Juillet 2020

Élaborée au lendemain de la décision du Chef de l’État de fermer les écoles et universités suite à la pandémie de la Covid-19, la plateforme « Apprendre à la Maison » via le Canal Éducation, est un système d’enseignement à distance qui a pour objectif de « maintenir un contact régulier entre les élèves et les professeurs ». Pourtant, ce dispositif qui se veut opérationnel, n’a jamais fonctionné pour les élèves en classes intermédiaires. Ces laissés-pour-compte n’ont jamais bénéficié de cet accompagnement pédagogique.
 
Certains esprits avertis du monde de l’éducation s’interrogent alors sur l’efficience du dispositif de télé-enseignement au Sénégal, surtout pendant cette période de pandémie de Covid-19. Le problème de prise en charge des enseignements pour les apprenants en classes intermédiaires, se pose avec acuité. En effet, depuis la fermeture des établissements scolaires (16 mars 2020), le Ministère de l’Éducation nationale avait envisagé des stratégies en vue de pallier le « décrochage scolaire » de certains élèves. C’est dans ce cadre que des ressources numériques validées par des inspecteurs devraient être mises à la disposition de ces élèves. Malheureusement, cette plateforme ne garantit pas le principe fondamental d’équité. En effet, les apprenants établis dans les zones où l’accès à l’internet ainsi qu’à l’électricité constitue encore un luxe, sont visiblement écartés. Il s’y ajoute, que bon nombre d’entre eux, ne disposent même pas d’ordinateurs pour pouvoir suivre correctement les cours.
 
Principe d’équité bafoué
 
Nous considérons qu’à partir de ce moment, le principe d’équité est bafoué tout au long du processus dans ce contexte de reprise partielle des enseignements-apprentissages. En quoi ces « privilégiés », c’est-à-dire les élèves en classes d’examen, sont-ils plus méritants que ceux des classes intermédiaires ? Les élèves de 6e, 5e, 4e, 2nde et 1e n’ont-ils pas les mêmes droits que ceux des classes d’examen ? Leur seul tort, à mon avis, est d’être trop nombreux (environ 3 millions) et que par conséquent, les exigences du Protocole sanitaire ne peuvent être satisfaites par les autorités éducatives.
 
Pourtant, la Loi d’orientation de l’Éducation et de la Formation, dans ses Principes Généraux, accorde une attention particulière quant aux missions et rôle de l’État en ces termes : « L’Éducation nationale est placée sous la responsabilité de l’État, qui garantit aux citoyens la réalité du droit à l’éducation par la mise en place d’un système de formation ».
 
Á ce jour au niveau des cycles Moyen et Secondaire, tous les apprenants ont déjà fait leurs évaluations du premier semestre ; tous ont même, en principe, reçu leur bulletin de notes. Si la reprise des enseignements-apprentissages pour les élèves en classes d’examen a été effective depuis le 25 juin dernier après plusieurs reports d’ailleurs, il n’en est pas de même pour ces « oubliés » du système éducatif. La réalité est qu’ils ont été abandonnés à eux-mêmes.
 
La Note d’orientation additive pour la reprise des cours en date du 18 juin, avait clairement pris la décision de « rendre disponibles les ressources pédagogiques ; et rendre effectif le dispositif de continuité pédagogique dans les écoles et établissements ». Mieux, les Inspections d’Académie (IA) ainsi que les Inspections d’Éducation et de la Formation (IEF) devaient se charger d’accompagner ce processus à travers la mise à disposition, pour ces apprenants, des ressources pédagogiques numériques et/ou sous forme de fascicules et cahiers d’activités. Ce dispositif n’a jamais été rendu opérationnel pour ces élèves en classes intermédiaires. Certes, des fascicules pour les cycles Moyen et Secondaire sont mis en ligne, cependant, il faut reconnaître que ces supports restent très sélectifs dans la mesure où, ils ne concernent que quelques disciplines. Par exemple, au Collège, seuls des SVT, des Mathématiques, des Sciences Physiques et du Français sont disponibles. Au Secondaire aussi, les supports numériques validés en format fascicules ne prennent en charge que l’Arabe, l’Histoire et la Géographie, le Français, les Sciences Physiques, les Mathématiques et les SVT. Pourquoi donc ce choix très discriminatoire ? Nous considérons que toutes les disciplines sont d’égale dignité.
 
Quelles modalités de passage en classes supérieures ?
 
Nous nous permettons ici de reprendre quelques passages extraits dans une de nos contributions antérieures. En effet, nous constatons que les interrogations que nous avions soulevées sont restées sans réponse alors que la situation n’a pas évolué.
 
« Allons-nous nous contenter de valider l’année scolaire à partir d’un seul semestre pour ceux qui ont déjà obtenu une moyenne supérieure ou égale à 10/20 ? Quant aux autres élèves qui ont manqué la moyenne, c’est-à-dire ceux qui ont obtenu une moyenne semestrielle inférieure à 10/20, quel sera alors leur sort ? Seront-ils autorisés à reprendre l’année en les considérant comme redoublants ou seront-ils autorisés à passer en classe supérieure » ? En tout état de cause, la Note d’orientation additive dit ceci :
 
« Les modalités de passage des élèves des classes intermédiaires en classe supérieure seront définies par le sous-comité pédagogique ; les propositions de passage seront faites avant le 31 juillet 2020 ». "Wait and see" !
 
Nous pensons qu’une telle décision serait préjudiciable, voire même dangereuse pour l’avenir des élèves surtout pour ceux qui sont dans les classes préparatoires (4e collège et 1e au Secondaire). Le MEN envisage de démarrer la prochaine année scolaire par des séances de consolidation des acquis avant d’entamer les nouveaux programmes. Au moment de fermer les écoles en mars, la moitié des programmes n’avait même pas été bouclée. Le déficit est, on ne peut plus énorme, car le temps de repos pour ces élèves est trop important (environ 8 mois sans cours c’est-à-dire de mi-mars à mi-novembre 2020).
 
Pourquoi ce silence des acteurs de l’Ecole ?
 
Le Rapport de présentation du projet de décret 2020-1487 prorogeant l’année scolaire 2019-2020, n’a nullement fait allusion au sort de ces « oubliés » du dispositif de continuité pédagogique. Comment comprendre alors le silence assourdissant et coupable de certains parents-d’élèves, de syndicats, de partenaires de l’École et même des organisations de la société civile qui, en principe, auraient dû s’ériger en sentinelle pour demander des comptes aux autorités éducatives ?
 
Il ressort de ce nouveau décret de répartition de l’année scolaire que le quantum horaire, initialement fixé à 1 296 heures (selon le décret 2019-1363), ne sera pas atteint pour l’année scolaire 2019-2020. L’atteinte du quantum horaire est pour nous un intrant de qualité dans le système éducatif. Or, dans ce contexte, il est fortement menacé du fait de plusieurs facteurs (le démarrage tardif des enseignements/apprentissages dans plusieurs localités à cause de la forte présence des abris provisoires surtout au Sud et à l’Est du pays, l’anticipation et la prolongation systématique des vacances et congés scolaires, les inondations qui rendent impraticables certains établissements scolaires, le nombre élevé de fêtes religieuses, les vacances de fin d’année, l’impact des évaluations dans le cadre de la mise en œuvre des Progressions harmonisées et des Évaluations standardisées (PHARES), le déroulement des Plans d’action par les syndicats du G7 et du G20, l’organisation des compositions du premier semestre et la fermeture des écoles à cause de la Covid-19 viennent s’ajouter à ces difficultés).
 
Les enseignements doivent reprendre, et pour tous
 
Pour pallier ces énormes manquements dans l’opérationnalisation de la continuité pédagogique, nous estimons que les enseignements devraient reprendre pour tous les élèves du Sénégal sans discrimination aucune, à partir du mois de septembre ceci, jusqu’en fin novembre et organiser des évaluations sommatives pour les élèves en classes intermédiaires afin de leur permettre, d’une part de combler une partie du gap (quantum horaire) et d’autre part, de leur assurer la légitimité pour leur passage en classe supérieure. Quant aux candidats au BFEM et Baccalauréat, il faudrait organiser leurs examens au mois de décembre. Ceci permettrait de mieux circonscrire la pandémie, et démarrer la nouvelle année scolaire à partir de janvier 2020.
 
Le dispositif de télé-enseignement devrait en ces moments, être plutôt réservé exclusivement aux élèves en classes intermédiaires. Aujourd’hui, du moment où les cours ont repris pour les élèves en classes d’examen, il n’est plus pertinent de poursuivre les enseignements-apprentissages à distance pour ces derniers.
 
L’après-Covid-19 devra nous emmener à repenser en profondeur notre système éducatif. Il est tout aussi urgent de revoir nos curricula surtout au Moyen-Secondaire, où nous avons encore des contenus caducs qui méritent d’être réformés. C’est justement tout l’intérêt du Projet d’Appui au Renouveau des Curricula (PARC) dont l’objectif essentiel est de « réécrire les curricula de la maternelle à la classe de terminale, en les harmonisant, de manière à aboutir à un curriculum unifié dans lequel il y a des passerelles entre les ordres ».
 
Cependant, cette réflexion bat encore de l’aile et peine à être finalisée. L’option de l’Enseignement à distance est incontournable. Elle offre de nos jours beaucoup d’opportunités, surtout lorsqu’on est en période de crise. Mais, faudrait-il pour autant, travailler davantage à minimiser les énormes disparités qui font que notre système éducatif fonctionne à plusieurs vitesses ?
           
Yaya DIAW,
Professeur d’Enseignement Secondaire d’Histoire et de Géographie
Lycée Amath DANSOKHO, ex-Lycée Ouakam.
 
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1.Posté par Faye le 16/07/2020 21:19
Belle plume doyen Diaw

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