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Dr Cheikh Ahmed Bamba Diagne: « L’économie sénégalaise danse sur un volcan »

Jeudi 4 Mai 2017

Conversation avec… Dr Cheikh Ahmed Bamba Diagne (Economiste, directeur du Laboratoire de recherches économiques et monétaires (Larem) de la faculté des sciences économiques et de gestion de l’Ucad).


La dernière mission du FMI juge la situation du Sénégal satisfaisante.
 
Il faut comprendre que le FMI s’intéresse à la conjoncture, c’est-à-dire à l’évolution annuelle de certains indicateurs macro-économiques, à savoir la croissance économique, l’inflation, le déficit budgétaire, les critères de convergences de l’UEMOA… Si vous lisez son rapport d’avril 2016, vous verrez exactement les mêmes mots qu’en avril 2017 et ces paramètres sont des conditions nécessaires mais pas suffisantes pour déclarer très bonne la performance de notre économie.
 
Les déterminants les plus significatifs pour mesurer la performance de notre économie
 
Il faut nécessairement dépasser les indicateurs macroéconomiques traditionnels pour voir la performance économique comme un phénomène multidimensionnel qui affecte différents aspects de la vie quotidienne des individus. Ces aspects sont : la répartition des ressources, la diminution de la pauvreté, l’état de la santé et le niveau d’instruction des populations.

Si on regarde sérieusement la structure de la croissance économique au Sénégal, on verra qu’il y a du travail à faire par nos dirigeants si l’objectif reste l’émergence en 2035. A mon humble avis, et comme le disait l’autre, il ne s’agit pas d’augmenter la vitesse du train mais plutôt de changer la direction du rail.
 
La croissance
 
Toute croissance est bonne dans une économie, mais chaque pays a ses spécificités et ses problèmes structurels qui ne sont pas pris en compte dans la maquette de ces institutions financières internationales qui est très standard.

Il faut regarder la structure de la croissance et son impact sur la société et c’est là où on perçoit que notre économie danse sur un volcan. La croissance est toujours portée par les secteurs de rente à savoir les sous-secteurs des télécommunications et les services financiers. Alors que 2/3 de la population sont dans le monde rural, le secteur primaire ne contribue qu’à hauteur de 15% à la richesse créée à l’intérieur du territoire.

Il y a aussi la faiblesse du capital humain qui tire vers le bas la qualité de vie. Le système éducatif est aujourd’hui défaillant en termes d’accès, de qualités et de gouvernance, avec en toile de fonds, un déclin des valeurs de l’instruction et une progression de l’enseignement privé pour les classes sociales privilégiées. S’y ajoute le chômage et le sous-emploi: presque 80% des personnes en activités travaillent dans le secteur informel où les rémunérations sont faibles. Face à un niveau de pauvreté qui augmente de façon vertigineuse, il y a du travail à faire.
 
Solution durable
 
Que les hommes politiques comprennent qu’on ne construit pas un pays sur un ou deux mandats mais plutôt sur une génération de 20 à 25 ans. Chaque Président de la République qui arrive met en œuvre son plan et ce plan ne durera que le temps de son mandat. Aucun Président ne poursuivra le plan de l’autre, on restera dans un éternel recommencement.
 
Je pense que la solution est de définir une Politique Economique au-delà des hommes politiques et de leur mandat, de définir des programmes quinquennaux basés sur des projets bien déterminés et que chaque projet soit aussi un ensemble d’activité inter-relié qui obéit à un certain nombre de contraintes (coûts, temps et performances).
 
Il faut apprendre des réussites des autres pour mieux définir sa vision, la stratégie prise par les pays émergents est claire. Elle repose sur les secteurs suivants : la réforme agraire, l’industrialisation par la promotion des exportations, la remontée de filière, l’intervention active de l’Etat, l’éducation pour tous, limiter les inégalités.
 
Diminuer les exportations
 
La première chose à faire, c’est de diminuer les exportations des produits primaires et les importations des produits finis. Si vous vendez de l’arachide aux Chinois, au moins les Chinois vont le décortiquer. Nous devons mettre une stratégie qui interdit l’exportation de l’arachide non décortiquée. Les pays asiatiques qui nous vendent du riz, pourquoi ils ne nous vendent pas du riz paddy ?
 
Il y a un jus qui vient du Moyen-Orient, je ne veux pas citer le nom de la marque, on achète les fruits au Sénégal et en Guinée, transportés par bateaux, transformés à Dubaï, transportés encore par bateaux et vendus dans nos pays. Pour parler simple, à chaque fois qu’on exporte un produit primaire, on a vendu de la main d’œuvre ; et à chaque fois qu’on importe un produit fini, on a acheté de la main d’œuvre. Alors, on passe tout notre temps à acheter et à vendre le travail que nous cherchons. C’est dur de l’avouer mais les pays pauvres sont mentalement pauvres.
 
Le secteur privé national
 
Vous venez de toucher le nœud du problème au Sénégal. Avec cette pression démographique, des jeunes qui entrent chaque année sur le marché du travail, il faut une réponse pertinente et rapide. La création d’emplois est du ressort du secteur privé, parce que l’Etat a atteint ses limites. Il faut noter qu’il y a des efforts du gouvernement mais pas très bien structurés pour impacter sur le secteur privé.

Il faut accélérer la transformation structurelle qui va donner naissance à des activités nouvelles plus productives pour permettre à ce secteur de jouer son rôle dans la création de valeur et d’emploi. Parce qu’au Sénégal, l’emploi se concentre dans les activités agricoles peu productives.  (Or), l’Etat doit mettre en place des politiques publiques favorisant le développement des entreprises locales et les aider à gagner des marchés dans la sous-région.
 
Le secteur privé international
 
Il faut reconnaitre que le Sénégal n’est pas attractif, et pourtant nous avons des points positifs qui devaient attirer des investisseurs, à savoir la stabilité politique, la stabilité monétaire, l’appartenance à une zone économique (UEMOA) et une position géographique qui nous fournit un accès direct aux continents européen et américain, tout en étant le relais pour des pays enclavés comme le Mali.
 
Deux facteurs de blocage : l’électricité et la fiscalité
 
En guise de comparaison avec la Côte d’ivoire qui applique une pression fiscale de 17% et un prix du kilowatt heure à 66 FCFA, le Sénégal applique une pression fiscale de 20% et un kilowatt heure à 100 FCFA. Alors, je vous demande : quel est le choix d’une entreprise qui cherche à maximiser ses profits et à minimiser ses dépenses entre s’installer en Côte d’Ivoire ou venir au Sénégal? (Momar Dieng)
 
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