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Autosuffisance alimentaire : quand la construction de digues anti-sel relance les productions vivrières à Fatick et environs

Mardi 12 Mai 2020

Le changement climatique est une réalité palpable dans le centre du Sénégal, zone d’agriculture par excellence. A travers la salinisation des terres, le dérèglement climatique se donne à lire dans toute son ampleur. Ces dernières années, le combat contre le sel a été déclenché à travers plusieurs projets et autres initiatives d’atténuation, avec des résultats notables au bout du compte...


A Djilor (environ 2000 habitants), village de la région de Fatick (centre du Sénégal), Moussa Faye a depuis peu retrouvé le sourire. Cet agriculteur de 45 ans, actif dans le maraîchage, a vu sa production repartir à la hausse après une longue traversée du désert.

 

« On a une belle récolte de tomates et diverses variétés de choux », se félicite-t-il en déambulant tranquillement dans son champ de trois hectares.

 

Pourtant entre 2005 et 2011, Moussa avait laissé son lopin presque à l’abandon. Gagnée par une forte salinisation, la terre n’assurait plus sa « généreuse » production d’antan à Djilor dont les habitants vivent essentiellement de l’agriculture.

 

 «Etant donné que je ne pouvais presque rien produire, je m’étais reconverti en marchand. J’allais acheter des produits comme le mil et le maïs à l’intérieur du pays et je venais revendre en ville », explique Moussa..

 

Dans cette partie du Sénégal, la salinisation est un mal qui affecte tous les segments du secteur agricole. Tout comme Moussa Faye, Aliou Ndiaye est un riziculteur de Djilor qui a longtemps souffert de la baisse continue de sa production. 

 

«Le riz que je cultivais à suffisance depuis ma jeunesse, j’étais obligé pendant quelques années de l’acheter», souligne le vieux Aliou, une «chose jadis impensable» dans le village.

 

Comprendre le phénomène

 

Selon une étude du Comité de Suivi Ecologique (CSE), la productivité des sols dans la région de Fatick reste « fortement affectée par la salinité du fait de la baisse de la pluviométrie et de la forte teneur en sel des eaux stagnantes et de la nappe phréatique pouvant aller jusqu’à 10.000 mg par litre par endroit ».

 

Et d’après les documents du Projet d'Appui à la Petite Irrigation Locale (PAPIL) que nous avons consultés, sur une superficie de 7.935 km2, Fatick dispose de 266.500 hectares de terres salées.

 

A l’échelle nationale, le total des terres gagnées par la salinisation est estimé parmi l’Académie nationale des sciences et techniques du Sénégal(ANSTS) à plus de 1 million 230 mille hectares sur les 3,8 millions de terres arables que compte le pays.

 

En effet, sur les 3 millions 800 mille hectares cultivables, plus de 1 million 230 mille hectares sont affectés par le sel.

 

A Djilor comme dans la plupart des communes de Fatick, la nappe phréatique, peu profonde du reste, est vite gagnée par la salinisation induite par les affluents du fleuve Sine et du fleuve Gambie.

 

« Le sel est tellement présent dans les marées qu’à certains moments de l’année nous pouvons directement le ramasser avec les mains », révèle Salimata Diouf,  membre d’un groupement de femmes actives dans la commercialisation de produits halieutiques.

 

Ce phénomène, l’agronome et consultant Cheik Aziz Fall l’identifie à un « équilibre rompu de la nature ». 

 

« Il n’y a plus assez de poches d’eaux douces à cause de la faible pluviométrie pour contrebalancer et réguler la poussée saline », explique-t-il.

 

La solution des digues anti-sel

 

Parmi les initiatives d’atténuation menées, il y a la construction et la réhabilitation de dizaines de digues anti-sels dans la région dans le cadre du PAPIL financé par la Banque Africaine de Développement (BAD), l’Etat du Sénégal et la Banque Islamique de Développement (BID).

 

Dans le cadre de son intervention à Fatick, le PAPIL a permis entre 2006 et 2014, l’installation de 17 digues anti-sel qui ont permis de récupérer et de valoriser 6.983 hectares de terres et la mobilisation de plus de 9.500.000 m3 d’eau de ruissellement à des fins agricoles.

 

A cela s’ajoute, la mise en valeur directe en quatre ans de plus de 2.800 hectares de terres. Ce qui a permis une production cumulée de 21.370 tonnes de riz et la régénération de 90,75 hectares de mangroves.

 

Egalement, entre 2010 et 2012, le Conseil Régional de Fatick, dans le cadre de son Programme de mise en aménagement participatif des forêts, a pu récupérer 900 hectares de terres salées.

 

La construction de digues fait suite à plusieurs années de débrouillardise des cultivateurs qui, dès les années 1990, avaient misé sur un freinage de la salinisation grâce au reboisement. Ce dernier privilégie la culture de plantes halophiles comme le Melaleuca leucadendron (strate arborée). La durée de récupération des terres salées de la zone varie de 01 à 03 ans, selon les spécialistes. Elle dépend de la pluviométrie, du type de sol et surtout du dynamisme du comité de gestion.

 

La production de riz, des sacs aux tonnes

 

Installée dans un sol salé, la digue anti-sel de Djilor est une élévation de terres compacte longue de 700 mètres. En plus de bloquer l’eau en provenance des marais, l’ouvrage permet de retenir l’eau de pluie, denrée si capitale aux agriculteurs de la zone.

 

L’ouvrage a permis d’augmenter sensiblement la production agricole où les rendements se chiffrent désormais en tonnes par hectare. Un fait tout aussi visible dans les contrées voisines. Situé à 40, 2 km au nord de Djilor, le village de Fayil (6400 habitants) dans la commune de Diouroup dispose de trois digues anti-sels construites entre 2010 et 2015.

 

«Avant les digues, la production du riz tournait autour de quelques sacs seulement. Maintenant nous en sommes à 5 tonnes à l’hectare en plus d’un apport très important en eaux douces », nous confie Ngor Sarr, le président de Djokktor, une organisation de producteurs basée à Fayil.

 

Bien qu’ayant recouvré une production rizicole suffisante, Aliou Ndiaye de Djilor attire l’attention sur l’importance de la préservation de la digue anti-sel qui, selon lui, n’est pas une « solution pérenne ».

 

L’intrusion saline est un combat de longue haleine au Sénégal. Au-delà de Fatick où les populations pratiquent une agriculture vivrière, elle constitue d’abord un danger pour la sécurité alimentaire.

 

Selon le rapport intitulé : « Etat des ressources en sols du monde » publié par l’organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), environs 494 millions d’hectares de terres en Afrique subsaharienne sont touchés par la dégradation des sols, 46 % sont affectés par l’érosion hydrique, 38 % par l’érosion éolienne, 12 % par la dégradation chimique et 4 % par la dégradation physique.

 

Momar Niang

Journaliste, Dakar

 

 


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