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« Appel autour d’une esquisse de programme alternatif commun, pour faire face aux manœuvres du président-politicien » (WalfQuotidien du 28 septembre 2017)

Vendredi 29 Novembre 2024

Mody Niang
Mody Niang

(Suite de la précédente contribution, celle du 26). Comme je m’y engageais dans la précédente contribution, je continue ici le développement de mes maigres idées concernant le Programme alternatif commun (PAC). Quand il est question de programme dans notre pays, la priorité des priorités, c’est sans conteste la réforme, la réforme profonde de nos institutions, leur refondation. Le mal le plus profond de notre démocratie, des gouvernances que nous avons connues depuis soixante-deux ans – surtout à partir du 1er avril 2000 –  c’est le net déséquilibre des pouvoirs se manifestant par l’hypertrophie de la fonction présidentielle. Chez nous, c’est connu : le  Président de la République concentre tous les pouvoirs et écrase tous les autres. Il règne en maître incontesté sur l’Assemblée nationale comme sur le Pouvoir judiciaire. C’est un buur et bummi qui a pratiquement droit de vie et de mort sur les députés comme sur les magistrats. C’est un NINKI NANKA (pour paraphraser l’autre) qui pèse de tout son poids sur toute notre pauvre administration, qu’elle soit centrale, territoriale ou décentralisée. Le budget, c’est son budget. Macky Sall maye na forage fi, maye na aw yoon fee, entend-on souvent de la bouche de ses courtisans, même de ses ministres et de ses députés. En d’autres termes, Macky Sall a donné un forage par-ci, a donné une route par-là, comme si le budget lui appartenait. En réalité, il n’est pas loin de lui appartenir, puisqu’il en dispose comme il veut.  Sa famille et sa belle-famille, ses proches, ou plus généralement les membres de son parti ou de sa coalition qui sont à la tête de ministères, de directions, d’agences ou d’autres services importants, s’inspirent de son exemple sans crainte d’être sanctionnés, d’être seulement contrôlés. 

 

 

Un autre mal de notre démocratie, de la gouvernance du pays, c’est le cumul, de plus en plus insupportable, par le Président de la République, de sa fonction avec celle de chef de son parti. On a souvent bien du mal à  faire la distinction entre le Président de la République et le président du parti.  Depuis plus de cinq ans, ce parti bouscule tout sur son passage, y compris la Patrie reléguée au second plan. Il est devenu un parti-État qui n’a rien à envier à ceux des anciens pays communistes. Ministres, ministres-conseillers, conseillers et conseillers spéciaux, directeurs et directeurs généraux, ambassadeurs, ambassadeurs itinérants, consuls généraux, présidents de conseil d’administration ou de conseil de surveillance sont, pour l’essentiel, membres du parti-État. Gare à ceux ou à celles qui osent seulement lever le plus petit doigt sur certaines de ses nominations ! Ses thuriféraires leur jettent alors  violemment à la figure son pouvoir constitutionnel de « nommer à tous les emplois civils et militaires ». S’adossant à ce pouvoir, son prédécesseur rappelait à tout va qu’il pouvait même nommer son chauffeur ambassadeur. L’esprit de ce pouvoir constitutionnel est terriblement dévoyé chez nous. Le président-politicien en use et en abuse. Il nomme à tout bout de champ des hommes et des femmes venu-es souvent de nulle part. Il a nommé nombre de conseillers et d’ambassadeurs « itinérants » qu’il n’a jamais rencontrés, et qui sont payés à ne rien faire.

 

On constate les mêmes dérives autour de l’utilisation de ses Fonds spéciaux. Dans ce cadre, dix milliards, avance-t-on, lui sont votés annuellement. Dix milliards dont ses vuvuzela nous rappellent à l’envi qu’ « ils sont laissés à sa seule discrétion et qu’il en fait ce qu’il veut, qu’il peut même les brûler ». L’un d’entre eux, un ancien colonel de l’Armée nationale,  un certain Malick Cissé qui parlait des Fonds spéciaux en toute connaissance de cause, a clos un débat auquel il participait, en les qualifiant d’ « alali baytimaar, c’est-à-dire de l’argent dont on peut faire ce qu’on veut, qu’on peut même jeter simplement par la fenêtre. On ne jette pas des deniers publics par la fenêtre. Nous pouvons nous faire une idée nette sur les dérives qui tournent autour des Fonds spéciaux en lisant la contribution de Monsieur Mamadou Abdoulaye Sow, inspecteur principal du Trésor à la retraite, ancien Directeur général de la Comptabilité publique et du Trésor, ancien Ministre délégué chargé du Budget, contribution publiée par au moins deux quotidiens de la place.

 

Un pays aussi pauvre et aussi endetté que le nôtre, ne devrait pas se permettre, chaque année, de voter huit à dix milliards  de francs CFA au président-politicien qui les utilise, pour l’essentiel, à entretenir sa famille, son parti et son clan. Ces deniers publics – oui, c’est ce qu’ils sont –, ne devraient surtout pas servir à acheter des consciences. Toute réforme, au Sénégal, devrait se pencher sur l’esprit, le montant et l’utilisation de ces Fonds. Ils ne devraient pas dépasser trois milliards et leur utilisation devrait être soumise aux corps de contrôle, à la Cour des Comptes notamment.  Trois milliards, c’est quand même trois mille millions !

 

Le Président de la République devrait aussi se limiter strictement à l’exercice de sa fonction régalienne, pour laquelle il a été élu. Il n’a pas à gérer des projets, à abriter un cabinet d’architecture qui utilise les deniers publics pour construire des infrastructures, sous le nez et la barbe du pauvre contribuable, qui n’y voit que du feu, qui ne voit rien d’ailleurs. Il devrait se situer bien au-dessus de la mêlée et veiller à ce que, prioritairement sa politique soit correctement mise en œuvre. La présidence de la République devrait retrouver son lustre et sa solennité d’antan. Elle doit cesser d’être le siège de l’APR et de Bennoo Bokk Yaakaar. Du temps de Senghor et de Diouf, il ne venait à personne l’idée d’appeler son palais le « poulailler de la république ». Il mérite bien ce nom aujourd’hui, puisque de jeunes membres du parti-État s’y battent au grand jour, pour se disputer âprement les millions que leur mentor met à leur disposition.

 

Il conviendrait donc d’abord de restaurer la fonction présidentielle et de la retailler, elle et tout ce qui gravite autour. Ses pouvoirs devraient être notablement revus à la baisse, au contraire de ceux de l’Assemblée nationale et des institutions judiciaires qui devraient être, eux, substantiellement renforcés. Pas seulement en théorie, mais dans la pratique quotidienne. Des spécialistes réfléchiront sur ce nécessaire équilibre des pouvoirs, sur leur nécessaire séparation. Le profane que je suis peut penser à un régime stable, à mi-chemin entre un pouvoir présidentiel fort et un pouvoir parlementaire pur et dur, qui dépouille le Président de la République de l’essentiel de ses pouvoirs et en fait un roi fainéant. Le nouveau régime – si nouveau régime il y a –, dotera le Premier ministre de pouvoirs importants et garantira l’indépendance du Parlement et celle de la Justice, sans aller jusqu’à l’installation d’une « république des députés », pas plus que d’une « république des juges ».

 

Les pouvoirs de l’Assemblée nationale ne seront pas significativement renforcés, sans une réforme du Code électoral, qui modifie en profondeur le mode de scrutin en vigueur depuis 57 ans, pour l’élection des députés. Ces derniers  doivent cesser d’être les députés d’un président buur et bummi et devenir ceux du peuple. Á cet effet, ils devraient être élus par circonscription au scrutin uninominal à deux tours, en lieu et place du « raw gaddu » et de  la liste proportionnelle. Ainsi élus dans leurs localités respectives, ils auront plus de légitimité, autant de légitimité que le Président de la République.

 

Des spécialistes réfléchiront aussi sur le fonctionnement de l’Assemblée nationale, sur le nombre des députés et sur leurs divers avantages, jusqu’ici exorbitants. La treizième législature vient d’être installée avec pour seule nouveauté – si on peut l’appeler ainsi –, qu’elle compte quinze députés de plus que la précédente. Au cours de cette cérémonie, les « honorables » députés de la majorité ont montré sans état d’âme de quel bois ils vont continuer de se chauffer. L’Assemblée nationale devra donc être retaillée : le nombre des députés ne devrait pas dépasser cent-vingt (120), peut-être même cent (100). Nous n’avons que faire d’une Assemblée de 165 députés fainéants pour l’essentiel, avec un bureau pléthorique composé d’un président, de huit vice-présidents, de six secrétaires et de deux questeurs. Sans compter les présidents de groupes parlementaires (deux) et les présidents de commissions dites techniques (15).


Episode 1: « Appel autour d’une esquisse de programme alternatif commun pour faire face aux manœuvres du président-politicien » (WalfQuotidien du 26 septembre 2017)

 

Les seize membres du bureau de l’Assemblée nationale et les deux présidents de groupes parlementaires ont les mêmes avantages que les ministres : pour chacun, chacune, deux véhicules de fonction, 1000 litres de carburant/mois, trois millions  (3.000.000) de francs CFA de salaire mensuel, appelé  indemnités pour payer le moins d’impôts possible, cinq cent mille (500.000) francs  pour les appels téléphoniques. Sans compter de nombreux avantages internes invisibles.

 

Les présidents de commissions, le rapporteur général du budget et les vice-présidents de groupes parlementaires touchent chacun, chacune, une indemnité mensuelle de 1,8 million de francs CFA. Sans compter un montant forfaitaire substantiel, pour le fonctionnement de chaque commission. S’y ajoutent, naturellement, un véhicule neuf et une bonne dotation de carburant. L’utilisation du montant forfaitaire donne parfois lieu à des heurts violents et à de chaudes empoignades, entre les présidents et les membres de commissions.

 

Tous les autres députés, appelés députés simples, bénéficient d’une indemnité mensuelle de 1,3 million de francs CFA, d’un véhicule neuf – et pas n’importe lequel –,  et d’une dotation mensuelle de carburant de 300 litres. Le salaire mensuel du Président de l’auguste Assemblée est de 5 millions de francs. Il gère aussi, dans le cadre de ses fonds politiques, 49 à 50 millions de francs / mois, semble-t-il.

 

Si on considère tous ces avantages cumulés, et d’autres qui ne sont connus que de l’intérieur, combien nous coûtent annuellement nos « honorables » députés ? Quinze milliards ou plus ? Qui sait ? En retour, que nous apportent-ils, à nous peuple sénégalais ? Presque rien. En tout cas, aucun résultat significatif palpable. S’ils sont vraiment utiles, ils ne le sont que pour le président-politicien, pour eux-mêmes et leurs proches.

 

Il convient de signaler cette autre pratique, cette tradition choquante qui consiste à acheter, au début de chaque législature, un véhicule neuf rutilant à tous les députés nouvellement élus. Les députés reconduits se retrouvent avec deux véhicules et les autres, ceux et celles dont le mandat n’a pas été renouvelé, partent avec leurs véhicules comme « ndampaay ». De quel droit ces véhicules, achetés avec l’argent du contribuable et normalement patrimoine de l’Assemblée nationale, leur sont-ils cédés si facilement ? Cette tradition doit être abandonnée. Á la limite, des véhicules pourraient être achetés pour le parc de l’Institution. Des spécialistes réfléchiront donc sur une solution alternative, une solution plus respectueuse des lois et règlements du pays, et, partant, de l’intérêt général.

 

L’administration centrale, malmenée, sens dessus dessous, devrait être, elle aussi, remise à l’endroit par de profondes réformes. Des spécialistes commis à cette tâche gigantesque devraient commencer par le sommet : le gouvernement. La fonction de ministre est dévoyée depuis le 1er avril 2000. N’importe qui peut devenir ministre de la République aujourd’hui. « On ne s’invente pas ministre », disait le président Nicolas Sarkozy qui ajoutait : « C’est un long processus ». Il tenait ces propos en réponse à une question de Laurent Delahousse sur la nomination (alors récente) d’Emmanuel Macron comme Ministre de l’Économie de François Hollande (Journal parlé de 20 heures de France 2 du 21 septembre 2014). Pourtant ce dernier, aujourd’hui Président de la République, était agrégé de l’École normale supérieure et énarque. Malgré tout, pour le président Sarkozy, il avait encore du chemin à faire : il n’avait pas suffisamment d’expérience pour l’exercice de l’importante fonction.

 

Des ministres, on en rencontre chez nous de toutes les couleurs et à tous les coins de rue. Or, n’importe qui ne devrait pouvoir accéder à cette prestigieuse fonction. Les directeurs de cabinet et les secrétaires généraux respectivement de l’Élysée et de l’Hôtel de Matignon ne sont-ils pas de très hauts fonctionnaires ? Ne l’était-il pas, lui aussi, Jacques Attali, qui a été conseiller spécial du président Mitterrand pratiquement pendant sa longue gouvernance de quatorze (14) ans ? Aucun d’eux ne porte le titre de ministre, au contraire de leurs homologues sénégalais. Même le chef de cabinet du président-politicien est ministre, comme l’était celui de son prédécesseur, dont la nomination avait surpris et indigné plus d’un.

 

L’urgence est donc, chez nous, de restaurer la fonction ministérielle gravement ternie, en lui redonnant son lustre d’antan, en redorant notablement son blason. Dans cette perspective, il conviendrait de commencer par en finir avec les gouvernements pléthoriques et encombrants auxquels le président Wade et son digne successeur nous ont habitués. Il faudrait en restreindre de façon drastique le nombre. Un gouvernement de 15 à 20 ministres, c’est largement suffisant pour le Sénégal : 16 à 18 ministres, 2 à 4 secrétaires d’État ou ministres délégués.

 

On ne se contentera pas de proposer un nombre. Une commission pluridisciplinaire travaillera à habiller chaque ministère, à lui donner un contenu. Elle pourra s’inspirer des premiers gouvernements du Sénégal et d’autres comme ceux des pays vertueux comme les Pays scandinaves. Pourquoi  pas de M. Moubarack Lo qui, dans son livre Le Sénégal émergent : agenda pour le futur, propose un gouvernement de 18 ministres et deux ministres délégués, avec leur contenu ? Même si, aujourd’hui, il conseille un Premier ministre qui est à la tête d’un gouvernement de 39 ministres auxquels s’ajoutent, en Conseil des ministres, trois ministres d’État.

 

Il ne suffira pas d’ailleurs d’habiller  les ministères. Des spécialistes devraient aller plus loin, en déclinant, pour chaque ministère, les directions générales, les directions et les divisions. Il conviendrait aussi, peut-être, de revenir sur la notion de chef de service régional, départemental, plutôt que de directeur régional, départemental. Nous comptons trop de directeurs au Sénégal. La direction devrait se situer au niveau national. L’organigramme aussi devrait être ressuscité. Dans beaucoup de ministères et nombres d’autres institutions, on ne sait plus ce que c’est. Pourtant, c’est un instrument de clarté et d’efficacité dans le fonctionnement de l’administration.

 

Un ministère donc, ce sont des directions, des services, des divisions, un organigramme. Quand il s’agit de son fonctionnement, on ne peut surtout pas s’empêcher d’évoquer le poste stratégique de secrétaire général. Ce haut fonctionnaire qui est la mémoire du département, en assure la permanence, la continuité. M. Moubarack Lo fait remarquer, que pour les inconvénients qu’il comporte, ce poste a été supprimé en France (page 182). Devra-t-on en faire autant au Sénégal ? Les spécialistes apprécieront. Ils retiendront sûrement le poste dans le dispositif du ministère et répondront à la question de savoir quel ministère devrait en être doté. Tous ou quelques-uns d’entre eux ? Qui doit être nommé à ce poste stratégique, s’il est maintenu ?

 

Avec la gouvernance du président-politicien, le poste de secrétaire général, galvaudé, est pratiquement généralisé. Les secrétaires généraux sont plus de trente aujourd’hui, dont sûrement les trois quarts sont loin d’avoir le profil de l’emploi. Tous les ministères, y compris les plus insignifiants, en sont dotés. Or, le secrétaire général d’un ministère, c’est un profil, un très haut fonctionnaire qui a blanchi sous le harnais de l’administration. On ne devrait donc pas en nommer à tout bout de champ. Tous les ministères ne devraient pas en être forcément dotés. Á moins qu’ils soient des ministères limités en nombre, comprenant plusieurs directions importantes, comme c’est suggéré un peu plus haut. Et même dans ce cas, le fonctionnaire qui sera choisi pour occuper ce poste stratégique de l’administration, doit l’être avec un soin particulier, qui exclut toute considération partisane.

 

Une attention particulière devrait être accordée aux très nombreuses agences nationales, dont la plupart sont des doublons des directions, souvent des coquilles vides seulement créées pour offrir des sinécures. Depuis plusieurs années, ces agences nous coûtent des milliards de francs, pour des résultats loin d’être prouvés. Au lendemain de la défaite des Socialistes, le Sénégal n’en comptait pas plus de quatre. Leur nombre est monté en flèche avec l’arrivée de Me Wade au pouvoir, jusqu’à atteindre les soixante ou plus. Son successeur, qui s’engageait à en diminuer de façon drastique le nombre, en assure plutôt la continuité. Dans la perspective d’une administration notablement allégée, leur nombre ne devrait pas dépasser dix.  Et encore !

 

Lors de la 6ème revue de l’Instrument de soutien à la politique économique (ISPE) conclu le 20 décembre 2013, la question des agences nationales a été largement abordée, et sans complaisance (se reporter au quotidien Enquête du 9 janvier 2014, page 9). Á cette occasion, des réformes ont été proposées, notamment celle visant à « rationnaliser le recours aux agences de l’État, qui se sont multipliées dans les années 2000 et ont nui à la transparence des dépenses publiques (…), à la gestion budgétaire et à l’efficacité de la dépense publique ». Une étude faite à cet effet et portant sur plus de 50 agences révèle qu’elles comptent 3000 salariés, dont la rémunération moyenne est environ deux fois plus élevée que dans la Fonction publique (et davantage encore pour les cadres supérieurs). « Elles gèrent environ 820 milliards de francs CFA (soit environ la taille du budget d’investissement) ».

 

Pendant tout le temps qu’il a été Représentant-Résident du FMI au Sénégal, M. Boileau Loko a insisté, chaque fois qu’il en avait l’occasion, sur l’urgence et la nécessité d’accélérer le plan de restructuration des agences, pour minimiser les dépenses superflues. Il lui est arrivé d’aller plus loin, en préconisant purement et simplement, pour une rationalisation des dépenses publiques, la suppression de la plupart de ces structures, « qui constituent des doublons par rapport à certains départements ministériels ». Plus catégorique encore, il a déclaré : « Il y a de nombreuses agences qui n’apportent rien à l’État du Sénégal. Aucune valeur ajoutée, rien du tout. » Nous le savions déjà et l’avons toujours clamé haut et fort. Malheureusement, notre voix ne porte pas loin. Toute réforme, au Sénégal, devrait donc restructurer profondément ces agences budgétivores pour rien, pour en diminuer de façon drastique le nombre. Le président-politicien s’y était fortement engagé, mais nous nous sommes désormais fait une religion sur ses engagements, qui ne valent plus un copeck. On ne le rappellera jamais assez.

 

L’administration centrale sera donc non seulement allégée, mais dépolitisée et dépolluée. Elle devra être une administration nationale neutre, au service exclusif du peuple, plutôt que du parti-État. Les hauts fonctionnaires des régies financières en particulier, devraient être éloignés de la politique, de la politique politicienne surtout. Il n’est guère rassurant, ce n’est même pas décent qu’un haut fonctionnaire du trésor ou des impôts et domaines milite activement dans le Part-État. Nous nous rappelons encore la rentrée politique tonitruante de ce haut fonctionnaire (Directeur des Domaines), dans une ville du Nord (Louga). Le lancement de la cérémonie, qui a mobilisé tout le Département pendant toute une semaine, a été présidé par le Premier ministre. Elle aurait coûté 150 millions, selon certains observateurs. Ce n’est point exagéré, cette somme : je suis ressortissant du département en question et détiens des informations dignes de foi, relativement à cette folle rentrée politique. Le même haut fonctionnaire a remué ciel et terre pour « décrocher » un maire PDS qu’il est allé présenter au président-politicien, en forte délégation. Ce dernier l’aurait chaleureusement félicité, pour avoir réussi « à décrocher enfin ce maire, dont on disait qu’il était indéboulonnable ». Avec de tels fonctionnaires à la tête de services importants des impôts ou du trésor, nos finances publiques courent un gros risque. La délégation conduite par le haut fonctionnaire n’a pas quitté le président-politicien les mains vides. Bien au contraire et j’en sais bien quelque chose car le maire « décroché » était de mon village, Koki.

 

Il y a ensuite que les grandes directions et agences sont attribuées de façon manifestement partisane. Il faut être membre du parti-État, de la famille présidentielle ou, à un moindre degré, allié dans la Coalition Bennoo Bokk Yaakaar, pour prétendre à des responsabilités importantes. Cette pratique est contraire à la Démocratie et ne garantit pas l’efficacité du service public. Elle met aussi en péril nos maigres deniers publics.  Les grandes directions et agences doivent faire l’objet d’appels à candidatures par une commission nationale qui examine les différends profils à l’aune de ceux qu’elle aura auparavant définis, à côté d’un cahier de charges, avec des objectifs précis. Pour chaque structure, une liste de trois candidats retenus sera proposée au Président de la République et au Premier ministre pour nomination, pour cinq ans au plus. Une évaluation se fera au fur et à mesure, qui pourrait déboucher sur son remplacement, avant les cinq ans, si le haut fonctionnaire n’a pas répondu aux attentes, n’a pas satisfait aux termes de référence.

 

L’administration territoriale est aussi lourde que l’administration centrale. Il fut un temps où les régions étaient sept. Aujourd’hui, elles sont quatorze (deux fois plus), Les départements ont, eux aussi, plus que doublé : ils sont quarante-cinq (45), supervisant une pléthore d’arrondissements. Combien sont-ils aujourd’hui les gouverneurs, les préfets, les sous-préfets et leurs adjoints ? Si on considère que  leurs indemnités ont été sensiblement bonifiées pendant la gouvernance Wade et qu’ils sont tous logés et bénéficient de la gratuité de l’eau, de l’électricité et du téléphone, combien coûtent-ils annuellement au contribuable sénégalais ? Il appartiendrait à une commission technique de comparer ce coût à leur apport dans le développement de leurs localités respectives et dans le Sénégal émergent en général, si toutefois il émerge.

 

Cette commission appréciera froidement le nombre de ces structures, leur pertinence et leur viabilité. On se souvient que, pendant longtemps, des départements érigés en régions sont restés pratiquement en l’état pendant plusieurs années, du point de vue des infrastructures tout au moins. Il en est de même de certains départements créés, qui ne comptent pratiquement pas de routes (pas une seule route goudronnée, parfois pas une piste), d’infrastructures administratives, sanitaires, scolaires ou, s’ils en comptent, elles sont dans un piteux état. Nombre d’arrondissements sont encore plus déshérités. Il faudrait donc envisager un audit profond de l’administration territoriale, en vue d’une profonde réforme qui aboutira, s’il y a lieu, à de fortes recommandations pour une meilleure prise en charge de nos collectivités territoriales. Le moment venu, il ne faudrait pas craindre de remettre carrément en cause l’existant. Une réforme administrative vise davantage l’efficacité que la volonté politique, peut-être politicienne, de quelque groupe de pression que ce soit. Elle ne devrait surtout pas servir de cheval de bataille aux gouvernants pour atteindre des objectifs politiciens, en créant facilement des collectivités territoriales, dont la viabilité est loin d’être prouvée.

 

La même préoccupation d’efficacité devrait être le soubassement de toutes autres réformes, y compris celle, nécessaire, de l’Acte III de la Décentralisation.  Une réforme qui s’est faite avec une précipitation qui en disait long sur ses objectifs politiciens. Elle n’a pratiquement pas fait l’objet d’un dialogue sérieux. Elle n’a pas été précédée, non plus, d’une évaluation de l’Acte précédent. C’est par procédure d’urgence que le projet de loi qui l’a porté a été transmis à l’Assemblée nationale qui l’a voté, naturellement, en un tournemain. Cette réforme a suscité des réserves et fait l’objet de vives contestations, notamment de M. Mamadou Abdoulaye Sow, ancien Ministre délégué chargé du Budget qui, dans une longue contribution publiée par plusieurs quotidiens (par L’AS du mercredi 22 octobre 2014 notamment), « démonte l’acte III de la Décentralisation ». Il préconisait notamment « le besoin de réétudier minutieusement la Loi n° 2013-10 du 28 décembre 2013 portant Code général des collectivités locales avant son réexamen éventuel par l’Assemblée nationale ».  En particulier, il remet en cause la légalité de trois décrets que le pouvoir exécutif a tour à tour pris. Il s’agit des décrets : n° 2014-830 du 30 juin 2014, n°2014-926 du 23 juillet 2014, n°2014-1140 du 15 septembre 2014. Le profane que je suis ne pouvant pas se risquer à aller plus loin, renvoie à cette longue contribution et à d’autres que l’auteur, inspecteur des Impôts de son état, a consacrées à ce fameux Acte III.  Cependant, le profane s’arrêtera un peu sur la « communalisation intégrale ». On aurait compris et peut-être encouragé cette initiative, si elle était un signe de progrès pour les populations rurales, si les communes créées étaient viables. Malheureusement, elles sont loin de l’être toutes. Une commune a besoin de moyens pour vivre or, nombre des communes rurales manquent presque de tout. La pauvreté de l’environnement n’est pas propice à la collecte de recettes fiscales pour constituer un budget. D’ailleurs, le personnel en place, pour l’essentiel en tout cas, ne sait même pas ce que c’est. Une commune digne de ce nom doit compter, outre le maire et ses adjoints, des agents comme : le secrétaire municipal, le comptable matière, le chargé de l’état civil, l’agent voyer (un luxe pour ces communes), etc. Malheureusement, dans bien des communes rurales, tout le personnel est presque analphabète, excepté peut-être celui que l’on appelle le secrétaire municipal, qui dépasse rarement le niveau du BFEM et est totalement ignorant des questions d’état civil, de budget, de recettes fiscales, etc.

Ces maires et leurs adjoints, ainsi que les présidents de conseils départementaux sont gâtés par le président-politicien. Dans son édition du jeudi 22 janvier 2015, L’Observateur titre en page 6 : « Le traitement princier des ‘’Elus du Macky’’ ». Le quotidien rend compte de la rencontre du président-politicien avec ses 423 maires (APR), le lundi 18 janvier 2015 à King Fahd Palace. Á l’occasion, il a fait la déclaration suivante : « Un maire sans véhicule n’est pas un maire. L’État va doter les maires de véhicules. La procédure d’appel d’offres est bouclée et tout sera fait pour que, dans les meilleurs délais, vous disposiez de vos véhicules. » Cette déclaration a, naturellement, soulevé un tonnerre d’applaudissements. Si on y ajoute les maires qui ne sont pas siens, l’État va acheter plus de 500 véhicules. Á combien de milliards ? Et pour quels résultats ?

 

Ce traitement princier de ses élus, le président-politicien l’a appris de son prédécesseur. Il a assimilé beaucoup de leçons de ce dernier, son ancien maître. Rappelons que, ayant déjà en vue l’élection présidentielle de février 2007, le vieux président-politicien a fait faire un bond prodigieux aux indemnités des maires. C’était en septembre 2004, à la Somone, où sa majorité était en séminaire. Il a fait passer ainsi, pour ne prendre que cet exemple, l’indemnité du maire de Matam de moins 50.000 francs à 900.000 francs. Ses homologues de toutes les capitales régionales avaient désormais la même indemnité mensuelle. Celle-ci  était de 500.000 francs pour les maires de capitales départementales et de 300.000 pour ceux des mairies d’arrondissement, ainsi que des présidents de conseils ruraux (qui présidaient aux communautés rurales). Les présidents de conseils régionaux n’étaient pas en reste : ils bénéficiaient et bénéficient aujourd’hui encore, comme présidents de conseils départementaux, des mêmes avantages (substantiels) que les ministres. Le président-politicien n’a fait donc que suivre ce chemin tortueux laissé ouvert pas son ancien mentor.

 

Il convient de rappeler quand même que la fonction de maire était pratiquement bénévole de Senghor jusqu’à Wade. Les maires comptaient sur le budget de la collectivité pour acheter leurs véhicules. Les élus locaux des présidents-politiciens Abdoulaye Wade et Macky Sall travaillent-ils mieux que ceux de Senghor et de Diouf, pour mériter autant de générosité ? Le programme commun autour duquel j’appelle modestement devrait remettre en cause l’acte III et nombres d’autres pris du 1er avril 2000 à nos jours. Les collectivités locales telles qu’elles existent et fonctionnent depuis cette période de 17 ans, devront être profondément réformées, pour plus d’efficacité et moins de gaspillage de nos maigres ressources. Devrait l’être aussi le système de rémunération des salaires et d’octroi d’indemnités diverses qui sera passé en revue avec d’autres questions, dans le prochain et dernier jet.

Dakar, le 28 septembre 2017

Mody Niang

 

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