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Sénégal : Lire entre les lignes du chaos étatique (Par Mamadou Sy Albert)

Mardi 29 Août 2017

Le pas franchi, lors des législatives du 30 juillet 2017, sans aucun souci de préservation des acquis démocratiques grâce à la complicité des sept «sages» du Conseil Constitutionnel remet fondamentalement en question la loi sénégalaise régissant toutes les élections au Sénégal.


Photo: présidence de la république
Photo: présidence de la république

L’image du modèle démocratique est fortement écornée par le processus électoral des législatives de 2017. On ne reconnaît plus la démocratie sénégalaise. A quelques  semaines de la tenue  du scrutin, le gouvernement a modifié simplement les règles du jeu démocratique. Face au nombre impressionnant des 47 listes présentées aux électeurs par les Coalitions de partis et de mouvements citoyens, le pouvoir n’a pas trouvé mieux que de proposer le choix de cinq listes aux électeurs.
 
Ce choix antidémocratique se combine à un autre, celui de proposer aux citoyens électeurs inscrits ne disposant pas de leurs cartes d’électeurs en cours de production ou non disponibles dans les commissions administratives et les autorités préfectorales, la possibilité de voter avec d’autres pièces d’identification que la carte de l’électeur.
 
Ce pas  franchi sans aucun souci de préservation des acquis démocratiques  grâce à la complicité des sept «sages» du Conseil Constitutionnel remet fondamentalement en question la loi sénégalaise régissant toutes les élections au Sénégal. Il s’agit véritablement d’un retour à la case départ du modèle démocratique de l’époque du parti unique et de l’Etat partisan dictant sa loi à son opposition et à l’opinion publique. Les électeurs détenteurs des anciennes cartes d’identité et des récépissés pour l’obtention des nouvelles cartes d’identité biométriques, ont le droit d’exercer leurs devoirs civiques et citoyens.
 
La porte de la fraude massive, de la manipulation des résultats dans les bureaux de vote volatiles et les abris provisoires ouvrent ainsi un boulevard aux contentieux avant et post électoraux. L’impasse du système démocratique ne fait l’ombre d’un doute au regard des difficultés réelles du gouvernement à organiser des élections libres, démocratiques et transparentes.
 
Pendant que l’impasse du processus électoral se met en place, la gouvernance économique traverse elle aussi un moment critique. Le clientélisme politique dicte sa loi. Ce sont les ministres de la République, les parlementaires candidats sortant et les directeurs généraux de sociétés publiques qui distribuent des masses d’argent pour acheter la conscience des électeurs et les responsables des partis de l’opposition. En pleine campagne électorale, les portes du Palais présidentiel sont ouvertes aux nouveaux souteneurs du Président de la République.
 
Une véritable campagne de guerre électorale à l’échelle de toutes les 14 régions du Sénégal, dans la diaspora est orchestrée d’une main de maître pour mener la campagne de la majorité, pour recruter des dissidents. Tout participe à prouver que le camp du Président de la République a les moyens politiques de modifier en profondeur les règles du jeu démocratique et les moyens financiers de son ambition.
 
Cette face du pouvoir craignant une raclée électorale dans les villes et leurs périphéries en rébellion contre le dictat du fait majoritaire, occulte difficilement une autre facette de la crise des mœurs de la République, des valeurs politiques et de l’éthique de la gouvernance politique démocratique. La gouvernance vertueuse tant promise est derrière la seconde alternance.
 
La préservation du pouvoir législatif a pris ainsi le dessus sur l’organisation d’une élection démocratique et les engagements de l’Etat de droit respectueux  de l’esprit des lois et règlements devant le peuple, le seul souverain. Le Référendum de 2016 avait déjà donné le ton de la gouvernance solitaire et exclusiviste. Le projet de Constitution est passé en urgence au Parlement. En dépit du rejet de la loi fondamentale par près de 40  pour cent des électeurs, la majorité crie sa victoire écrasante sur des franges importantes de la population.
 
L’impasse de la gouvernance politique et démocratique va probablement se poursuivre au cours des prochaines années nous séparant de la présidentielle de 2019. On imagine entre les lignes de toutes ces retouches de la loi électorale, du processus de l’organisation des élections quasi mené exclusivement par le Ministère de l’intérieur sourd à toute critique de l’opposition et de l’opinion publique, que le Sénégal va connaître des lendemains électoraux incertains.
 
Le second  mandat sera la prochaine bataille politique fatidique  de la majorité. C’est la mère des batailles. De ce côté, l’opposition est avertie. Quand le pouvoir met autant d’énergie pour faire passer des décisions et des mesures défiant toute logique démocratique et le bon sens dans la gouvernance de l’intérêt général, il ne renoncera pas à l’usage de tous les moyens imaginables pour reconduire le Président candidat à sa propre succession. Les signes avant coureurs se multiplient sur tous les fronts : menaces sur les libertés publiques, sur la presse, désinformations, manœuvres politiciennes pour modifier les règles du jeu ou pour acheter des consciences.
 
Ce système a produit les régimes socialistes, les régimes libéraux et républicains. Il est probablement la source majeure de la crise du jeu démocratique sénégalais et de son modèle fortement présidentialiste. C’est à l’élite politique et économique de jouer son rôle. C’est à elle de prendre en charge la réflexion sur la crise du système, ses institutions, les valeurs et la culture du clientélisme.
 
L’alternative à ce modèle pourri de l’intérieur par les forces politiques et sociales qui n’ont aucun intérêt stratégique à une rupture qualitative est possible. Elle  dépendra des capacités de l’élite intellectuelle à diagnostiquer ce mal profond de la société politique et la gouvernance du Sénégal et à lire dans la sérénité, sans passions inutiles, le chaos de l’Etat qui se dessine progressivement à l’horizon du Sénégal, de l’Afrique et du monde globalisé.
 
 
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