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SPECIAL «LES SAMEDIS DE L’ECONOMIE» : Samir Amin, révolutionnaire précoce, visionnaire des drames migratoires

Mercredi 12 Septembre 2018

Décédé le 1er août dernier à Paris, cet économiste de rupture a reçu un hommage appuyé d’intellectuels sénégalais et étrangers pour ses contributions éclairées contre le système de «prédation» économique et financier mis en place par la «Triade» et ses démembrements opérationnels. Pour Samir Amin, le capitalisme contemporain en état d’implosion n’a plus rien à offrir aux peuples.


Photo RFI
Photo RFI
«Ne te fatigue pas trop. Les phénomènes migratoires vont aller crescendo car les capitalistes ont accaparé toutes les ressources…». En substance, c’est la prémonition faite par le Pr Samir Amin à Mignane Diouf vers les années 2013. A cette époque, le président du Forum social sénégalais (FSS) souhaitait que l’économiste altermondialiste intervînt dans l’organisation d’une rencontre axée sur la migration au moment où des vagues de jeunes africains prenaient la direction de l’Europe dans des embarcations de fortune.

La plupart d’entre eux ont disparu dans les «gueules» grandes ouvertes de l’Atlantique et de la Méditerranée. Et cinq ans plus tard, le drame migratoire a gagné en intensité, aggravé par l’impuissance des politiques de tous bords.
 
«Transformations»
 
Visionnaire, Samir Amin ? La réponse ne fait pas de doute en regard des témoignages livrés ce samedi par les participants à la journée d’hommage rendu au militant des causes du Tiers-monde, franco-égyptien de nationalité mais aussi et surtout «citoyen universel» décédé à Paris le 12 août dernier.
 
Derrière les émotions et les discours creux qui l’entourent, le phénomène migratoire apparait comme une conséquence directe ou indirecte du «capitalisme des monopoles généralisés», un concept théorisé par Lénine et que Samir Amin a décortiqué pour expliquer la transformation du capitalisme contemporain qui a pris le contrôle des systèmes productifs dans le monde à travers des oligopoles surpuissants.
 
Ce n’est pas seulement le capitalisme qui a changé de nature, précise Samir Amin. La bourgeoisie, également, a perdu sa «figure physique» historique pour muter en une masse compacte et «abstraite», comme Marx l’avait prédit, avec une gestion centralisée à outrance des moyens de production et de la production. Le prolétariat n’échappe pas à la cure, frappé par une paupérisation qui prend des formes variées du fait de la diversité de ses composantes, toutes étant cependant condamnées au repli dans les frontières de la «périphérie».
 
«Automne du capitalisme, Printemps des peuples ?»
 
Pour Samir Amin, c’est en appréhendant ces transformations que l’on peut comprendre ce qui implose, en référence à l’un de ses ouvrages fondamentaux, «l’implosion du capitalisme contemporain: automne du capitalisme, printemps des peuples ? », paru en 2012. Quinze années, entre 1975 et 1990, ont façonné ce capitalisme des monopoles aux mains d’un «impérialisme collectif de la Triade» composé des Etats-Unis, de l’Europe et du Japon et soutenu par ses démembrements institutionnels que sont le G8, la Banque mondiale («ministère de la propagande néolibérale»), le Fonds monétaire international (FMI, «ministère des colonies», l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et par un bras militaire, l’Organisation du traité de l’atlantique Nord (OTAN). «C’est ce système là qui implose» sous nos yeux, souligne Samir Amin qui en donne les raisons dans les documentaires visionnés par les participants.
 
Les contradictions internes inhérentes à ce système sont à la base de cette implosion, note l’économiste. L’une de ces contradictions essentielles réside, selon lui, dans le caractère inconciliable entre les exigences de la financiarisation maximale dudit système, d’une part, et les exigences de la reproduction du système de production et d’accumulation du capital.
 
Cette logique qui privilégie l’absolutisme de la dimension financière dans la gestion des oligopoles-monopoles entraîne la reproduction ipso facto des inégalités qui, elle-même, sécrète la récession, celle-ci engendrant des situations de «zéro croissance» qui produisent un non développement. «Or, renseigne Samir Amin, le capitalisme en tant que système non stabilisable ne survit pas sans croissance… Il n’a plus rien à offrir aux peuples, il se manifeste par des explosions et des luttes tout à fait légitimes. C’est ce que j’appelle implosion du capitalisme…»
 
«Regret»
 
Selon Demba Moussa Dembélé, président d’Arcade et co-organisateur avec la Fondation Rosa Luxemburg de la journée d’hommages au défunt économiste, «Samir était un révolutionnaire précoce qui a très tôt compris que le travail intellectuel était inséparable du travail politique» pour une appréhension correcte des ressorts du capitalisme dans l’optique d’une «résistance» organisée contre les déflagrations qu’il engendre.
 
D’où les expériences pratiques accumulées par l’économiste dans les administrations publiques égyptienne et malienne ainsi que, une décennie durant, à l’Institut africain de développement et de planification (IDEP) à Dakar. Fondateur de l’ONG Enda Tiers Monde, ex-militant du parti communiste français (PCF), Samir Amin a plus été «un intellectuel engagé qu’un intellectuel organique», a indiqué Maguèye Kassé, figure de la gauche et spécialiste de questions germaniques. Quant à Mignane Diouf, ex-membre des «rouages du maoïsme», il a regretté que les pays africains n’aient pas su ou voulu tirer profit des enseignements de Samir Amin.
 
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