Par Diomma Dramé
Pour Nafi et des milliers de femmes comme elle, les soins de santé sont à la fois une nécessité et un pari. La poussée du Sénégal vers une couverture sanitaire universelle (CMU) a permis des progrès : la couverture d’assurance est passée de 20 % en 2012 à 53,6 % en 2023. Mais derrière ces chiffres prometteurs se cache une triste réalité. Les femmes rurales, en particulier celles qui vivent dans des ménages dirigés par une femme, sont souvent laissées pour compte, prises dans un tissu de contraintes financières, d’isolement géographique et d’obstacles systémiques.
Une lutte contre la chance
La Stratégie nationale de financement de la santé indique que 4,5 millions de Sénégalais sont inscrits dans des régimes mutuels d’assurance maladie. Pourtant, les femmes rurales — piliers économiques clés de leurs familles — demeurent sous-représentées.
« Les ménages dirigés par des femmes sont les plus touchés », explique Alassane Diallo, directrice de la mutuelle d’assurance maladie Kolda. Couvrir une famille de dix personnes coûte environ 35000 francs CFA, un montant ahurissant pour les femmes qui jonglent avec d’autres dépenses essentielles. Dans des régions comme Kolda, où 79,4% des habitants vivent dans une pauvreté multidimensionnelle, les soins de santé deviennent un luxe.
Dans les provinces de Tambacounda et de Matam (distantes respectivement de 490 km et 520 km de Dakar, la capitale), la disparité est flagrante. Selon le ministère de la Santé, il y a moins de deux centres de santé pour 10000 habitants. Les femmes se tournent souvent vers la Gambie pour des voyages transfrontaliers informels, où les services de santé sont plus accessibles et abordables. Les femmes sont souvent confrontées à des choix difficiles entre leurs besoins en matière de soins de santé et ceux de leurs enfants. Pour beaucoup, l’accès aux soins de santé est un luxe qu’ils ne peuvent se permettre, en particulier dans les régions où la plupart des ménages dépendent de revenus précaires provenant d’emplois du secteur informel. Pour de nombreuses femmes, cela signifie faire des choix difficiles entre leurs propres besoins médicaux et ceux de leurs enfants.
« Pour une femme enceinte de Médina Yoro Foulah, arriver à l’hôpital de Kolda est un cauchemar », explique Taacko Kandé, infirmière assistante. « Certaines femmes ne parviennent pas à temps. »
Obstacles géographiques et structurels
L’éloignement des établissements de santé est un autre obstacle majeur. Les femmes, qui sont souvent responsables de la prise en charge des malades dans leur famille, parcourent entre 15 et 30 km à pied ou en chariot pour accéder aux soins. À Tambacounda et Matam, il y a moins de deux centres de santé pour 10000 habitants, selon le rapport 2023 du ministère de la Santé. À Kolda, les femmes du département de Médina Yoro Foulah traversent souvent la frontière pour se rendre en Gambie où le traitement et les médicaments sont plus accessibles.
Les femmes parcourent souvent de 15 à 30 kilomètres à pied ou en chariot pour accéder aux soins. Ces inégalités structurelles sont également à l’origine de la surutilisation des services tels que les césariennes, souvent financés par les mutuelles d’assurance maladie, mais qui font peser une pression financière sur les régimes. « Nous avons vu une augmentation des césariennes à l’hôpital de Kolda, parce qu’elles sont payées par le régime d’assurance maladie mutuelle. Cela ruine les régimes mutuels d’assurance maladie et montre un manque de formation parmi les bénéficiaires », explique M. Diallo.
Manque de sensibilisation et barrières sociales
Les mutuelles d’assurance maladie, censées réduire ces inégalités, souffrent d’un manque de coordination et de sensibilisation. De nombreuses femmes rurales ne savent pas qu’elles existent ou ne comprennent pas comment elles travaillent. Or, dans la région de Kolda, il existe 43 mutuelles d’assurance maladie, selon l’Agence de la couverture maladie universelle (ACMU). Ces derniers se répartissent comme suit : 16 dans le département de Kolda, 16 dans le département de Vélingara et 11 dans le département de Médina Yoro Foulah.
Les barrières culturelles et sociales jouent également un rôle : dans certaines communautés, les femmes n’ont pas de pouvoir décisionnel sur les finances du ménage, ce qui limite leur capacité à adhérer à une mutuelle. À cela s’ajoute la perception négative des systèmes de santé publique, qui touche les femmes en particulier. Les femmes, qui sont souvent responsables des soins à domicile, sont les premières à souffrir des défaillances du système. ‘Les mères abusent parfois des médicaments gratuits pour leurs enfants, mais cela montre surtout qu’elles font tout ce qu’elles peuvent pour protéger leur famille », souligne M. Diallo.
Solution en action : ce qui fonctionne
Au milieu de ces défis, certaines initiatives sont prometteuses. Par exemple, des agents de santé communautaires dans des régions comme Kolda ont ouvert des cliniques mobiles qui apportent des soins directement aux zones mal desservies. Ces cliniques, qui sont composées de femmes locales formées, offrent des services de santé maternelle, des vaccinations et des soins préventifs.
De plus, des organisations comme Tostan travaillent à améliorer la sensibilisation aux soins de santé dans les communautés rurales. En intégrant l’éducation en matière de santé dans des discussions plus larges sur les droits des femmes et la littératie financière, ces programmes aident les femmes à comprendre et à utiliser les régimes d’assurance mutuelle.
Un programme particulièrement efficace est le plan du gouvernement visant à subventionner l’assurance-maladie mutuelle pour les groupes vulnérables. En 2023, l’ACMU a augmenté ses subventions aux ménages dirigés par des femmes à Tambacounda et Kolda, couvrant jusqu’à 70 % des primes. Les premières données indiquent une augmentation de 25 % du nombre de femmes inscrites à des programmes mutuels de santé dans ces régions.
Les experts s’accordent à dire que le fait de combler l’écart en matière de soins de santé pour les femmes des régions rurales nécessite des interventions audacieuses et multidimensionnelles. Augmenter le nombre de centres de santé dans les zones rurales est une étape cruciale. Le programme des agents de santé communautaires du Rwanda fournit un modèle inspirant, avec des postes de santé placés stratégiquement qui réduisent considérablement les taux de mortalité maternelle et infantile dans les villages éloignés. Au Sénégal, l’adoption de stratégies similaires pourrait transformer l’accès aux soins en milieu rural.
Assurance abordable pour tous
La bonification des primes d’assurance maladie mutuelles, notamment pour les groupes vulnérables, est une autre priorité urgente. Le National Health Insurance Scheme (NHIS) du Ghana, qui offre des soins maternels gratuits, a déjà démontré comment de telles mesures peuvent améliorer l’accès aux soins et les résultats.
Mobiliser les collectivités
Les campagnes d’éducation qui démystifient l’assurance mutuelle sont essentielles. Des organisations comme Tostan, qui combine la sensibilisation aux soins de santé avec les discussions sur les droits des femmes, ont montré leur potentiel au Sénégal. Des leaders locaux de confiance, tels que les imams et les chefs, pourraient jouer un rôle crucial pour favoriser la confiance et encourager l’inscription.
Offrir des soins de santé
Les cliniques mobiles et les solutions de télémédecine pourraient révolutionner les soins dans les régions isolées. Au Mali voisin, des kits de télémédecine alimentés par l’énergie solaire relient les patients ruraux aux médecins dans les centres urbains. Des initiatives similaires commencent à prendre racine dans la région de Kolda au Sénégal, offrant un espoir aux familles comme celle de Nafi.
Cibler les ressources avec des données
Les données localisées permettent d’identifier où le besoin est le plus grand. Des départements comme Médina Yoro Foulah et Tambacounda, avec leurs lacunes flagrantes dans l’accès aux soins de santé, devraient être prioritaires pour les interventions ciblées, faisant écho au succès du Kenya en matière de cartographie géospatiale pour identifier les déserts de santé maternelle.
Pour Nafi, les petits changements ont déjà fait une grande différence. Après avoir perdu son mari, elle a eu du mal à payer les soins de santé de ses enfants. « L’assurance mutuelle a changé ma vie », explique-t-elle, expliquant comment une prime subventionnée lui a permis de chercher des soins pour son plus jeune enfant lorsqu’il contractait le paludisme. « Ça lui a sauvé la vie », dit-elle.
Investir dans les femmes, c’est investir dans l’avenir
Des histoires comme celle de Nafi mettent en lumière le potentiel transformateur des systèmes de santé inclusifs. En investissant dans la santé des femmes, le Sénégal peut réaliser des progrès économiques et sociaux pour des communautés entières. Assurer aux femmes rurales un accès équitable aux soins de santé n’est pas seulement une question de justice sociale; c’est aussi un impératif économique. Lorsque les femmes sont en bonne santé, leur famille et leur communauté prospèrent. Les progrès du Sénégal vers la couverture sanitaire universelle ne peuvent être réalisés qu’en s’attaquant de front à ces disparités. Grâce à des interventions ciblées et à des investissements soutenus, chaque femme — peu importe son lieu de résidence ou son revenu — peut avoir accès à des soins de santé abordables et de qualité. Chaque femme devrait pouvoir jouir d’une santé décente et abordable, car la santé des femmes est le fondement du progrès collectif et de la prospérité nationale.
Cet article a été réalisé par l’Africa Women’s Journalism Project (AWJP) avec le soutien du Centre International des Journalistes (ICFJ) dans le cadre de la Bourse Reportage pour les Journalistes Femmes en Afrique Francophone.