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Opération Mani pulite, un miroir italien au Sénégal

Samedi 10 Mai 2025

Dans les années 90, des figures et institutions politiques prestigieuses de l’Italie post-guerre froide s’effondrent sous les coups de boutoir impitoyables de juges incorruptibles et déterminés. Des politiciens très haut placés et des affairistes hommes de paille des mafias calabraise (Ndrangheta), sicilienne (Cosa Nostra) et napolitaine (Camorra) tombent sous le rouleau compresseur d’institutions judiciaires puissantes, indépendantes et résiliantes en dépit des assassinats qui ont visé et atteint certains de ses plus hauts représentants. Des dignitaires jusque là intouchables et insoupçonnables se suicident par honte ou par la contrainte en emportant leurs lourds secrets outre-tombe. Des ministres, députés, sénateurs, industriels, notaires, agents des impôts et des représentants de corporations professionnelles diverses se livrent d’eux-mêmes à la justice ou s’exilent. Certains transigent et « balancent » face à de potentielles lourdes accusations afin d’échapper aux fourches caudines d’une révolution fortement soutenue par les Italiens au mépris des vengeances orchestrées par les mafias. Pivot de la vie politique italienne depuis plus ou moins un demi siècle, le parti Démocratie chrétienne entame alors une descente aux enfers qui mènera à sa disparition. 

 

En 2025, le Sénégal sorti de douze ans de régime Macky Sall n’est pas encore à ce niveau élevé de reddition des comptes et de lutte contre la corruption et ses diverses variantes criminelles. Mais le tsunami judiciaire qui a cours sous nos yeux depuis quelques semaines pour faire la lumière sur le monstrueux carnage des fonds Covid-19, sur la divagation présumée des comptes publics de l’Etat et sur toutes les autres entreprises criminelles révélées au quotidien dans les médias locaux est une formidable occasion de donner une autre chance au contrat de confiance qui doit relier le peuple sénégalais aux gouvernants de sa destinée, qui qu’ils soient et qu’elles qu’en soient les périodes ou les circonstances.  

 

En arrivant au pouvoir en 2000 et en 2012, Abdoulaye Wade et Macky Sall nous avaient vendu l’illusion d’une Gouvernance qui placerait la patrie, la vertu et la reddition des comptes au milieu du village sénégalais. Ils font fini par propager enrichissement illicite et impunité à tous les étages de la République. L’un et l’autre, ‘’libéraux’’ plus rentiers que productifs, et au-delà de la valeur ajoutée apportée au pays durant un quart de siècle, demeurent responsables structurels et fondamentaux de cette gangrène nommée CORRUPTION qui a plombé en bonne partie le décollage économique et social du Sénégal. En matière de politiques publiques, le pire n’est jamais loin. Mais leurs successeurs, Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko, feront-ils mieux ? 

 

Pour leur agenda respectif, Wade et Sall choisirent le pire : le recyclage sans état d’âme des bataillons de présumés corrompus dans leurs cercles d’allégeance au mépris des intérêts essentiels du pays, tenant entre leurs mains l’épée de Damoclès estampillé ‘’droit de vie droit de mort’’. Digression sur une ironie de l’histoire : la plupart de ceux qui ont reproché au gouvernement actuel d’avoir terni l’image internationale du Sénégal par la divulgation du traficotage des comptes publics de l’Etat - notamment la dette et le déficit budgétaire - appartiennent aux girons politiques de Wade et Sall ! Faye et Sonko iront-ils au bout de leur logique ? 

 

L’ampleur démentielle des interpellations, arrestations, détentions de hauts fonctionnaires, d’individus lambda présumés complices ou fauteurs le laisse supposer car il n’existe pas de précédent judiciaire dans notre pays après 65 ans d’indépendance. Il se dessine - pour le moment - l’ouverture d’une nouvelle page d’histoire à l’issue de laquelle le pays aura globalement dépassé ces histoires grotesques où des élus et personnalités de l’Etat et de la République sont capables de manipuler des fonds publics placés sous leurs responsabilités, sans conséquences pour eux. Cette impression est aujourd’hui accentuée par les mises en accusation de cinq anciens ministres par l’assemblée nationale le 8 mai 2025, les rendant de droit disponibles pour la Haute cour de justice. 

 

Dans le respect scrupuleux de la présomption d’innocence et des règles de procédures judiciaires, ce mouvement historique de la Justice sénégalaise doit être conduit à son terme, sans passion ni vengeance, avec fermeté et lucidité. C’est ce que le pays exige. Dans un environnement socio-politique qui a fondamentalement évolué depuis le départ de Macky Sall, les magistrats sénégalais - du Parquet comme du Siège - semblent avoir retrouvé la sérénité qui rend crédibles les jugements. Pour notre pays, cette séquence judiciaire inédite est à quitte ou double. 

 

En Italie, l’opération « Mani pulite » envoya des milliers de politiciens professionnels surpuissants à la retraite et d’autres en prison, imposant de fait un effondrement des partis politiques traditionnels. Un espace nouveau duquel émergèrent peu à peu de nouvelles forces politiques autour de ‘’La Maison des libertés’’ de Silvio Berlusconi, le Mouvement 5 Etoiles plus tard et, plus récemment, l’actuelle union des droites au pouvoir depuis 2022 et dont la cheffe de file est la présidente du conseil (première ministre) post-fasciste Giorgia Meloni. 

 

Les ruptures prônées par le duo Diomaye-Sonko redessineront-elles la carte politique du Sénégal au terme des traques judiciaires actuelles ? 

 
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1.Posté par Me François JURAIN le 28/05/2025 12:47
C'est un immense espoir pour l'Afrique toute entière. De plus en plus, nous entendons ça et là, d'anciens présidents - de Mauritanie, par exemple- envoyés en prison pour une durée suffisamment dissuasive pour ceux qui voudraient les imiter. Il s'agit là d'une prise de conscience, et il faut l'espérer, la préférence est et sera donnée à "plus jamais ça", plutôt que "pousse toi de là que je m'y mette".

Nous avons tellement vu, au cours de ces soixante dernières années, des Présidents félons, corrompus jusqu'à la moelle, être remplacés par des énergumènes, qui ont fait "la même chose, en pire", que la prudence doit être de mise. On peut s'étonner que d'autres, et pour cause, s'offusquent que la justice fasse son travail, d'autant que la qualité des magistrats le permet. On peut admirer que d'autres le redoutent, que les services de gendarmerie et autres DIC fassent preuve de ténacité, de rigueur, et d’opiniâtreté, mais le train de l'assainissement public et politique est en marche, et tous les pays d'Afrique, sans exception, en passeront tôt ou tard, par là.

Le Sénégal, avec d'autres, a montré la voie, et seules des peines de prison exemplaires, une traque sans merci pour récupérer les fonds volés, avec amendes dont le caractère exhorbitant ne serait pas scandaleux, afin de dissuader quiconque de faire la même chose, ou, pour ceux en place, leur couper l'envie de recommencer. Il faut en passer par là, pour qu'enfin, l'Afrique se réveille, retrouve, dans le concert des nations, une dignité qu'elle a perdue par la faute de ces Présidents malfrats, et qu'enfin, sa voix soit entendue, car l'Afrique a des choses à dire, elle a des choses à vendre, et son importance sur l'échiquier des nations est une de ses plus grandes chances.

Donc, même si l'on ne peut se réjouir de voir quelqu'un partir en prison pour de longues années, il faut se dire que seule une chimiothérapie forte et sans concession, pourra guérir ce cancer qui ronge l'Afrique depuis tant et tant d'années. Il ne faut avoir ni l'esprit de vengeance, ni l'esprit de revanche. Dans toute démocratie, la justice est une institution, son rôle est de traquer, non pas les sorcières, comme les coupables et leurs affidés ne cessent de le clamer haut et fort, mais les délinquants. Et le rôle des juges, c'est de mettre à l'écart ces derniers, dans le cadre bien compris de la protection des populations honnêtes et laborieuses.

Un juge, contrairement à ce que l'on entend dire ça et là, notamment par certains avocats dont la défense semble un peu courte, face au travail colossal accompli par les services concernés, ne met pas en prison par vengeance, ou sur commande d'un Premier Ministre ou d'un Président de la République. Il ne faut pas oublier que lorsque le magistrat convoque une personne, il a déjà sur son bureau, un énorme dossier, et il sait tout. Le respect de la procédure interdit tout esprit de vengeance, ou de travail "sur commande". D'ailleurs, l'ex président Macky SALL le savait bien, lui qui préférait mettre "sous son coude" les dossiers de ses amis qui avaient failli, plutôt que de voir mener une instruction qui auraient immanquablement mené les concernés à une condamnation qu'il n’aurait pu, malgré ses pouvoirs et son autoritarisme, empêcher...

Oui, le train est en marche, et plus rien ne pourra l'arrêter. Tous ceux qui seraient tentés par l'aventure doivent savoir que dans la rivière où ils voudraient faire trempette, veillent des crocodiles, affamés: affamés de justice, et soucieux de défendre leur territoire. Attention danger pour les voyous!
Me François JURAIN

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