Dans les années 90, des figures et institutions politiques prestigieuses de l’Italie post-guerre froide s’effondrent sous les coups de boutoir impitoyables de juges incorruptibles et déterminés. Des politiciens très haut placés et des affairistes hommes de paille des mafias calabraise (Ndrangheta), sicilienne (Cosa Nostra) et napolitaine (Camorra) tombent sous le rouleau compresseur d’institutions judiciaires puissantes, indépendantes et résiliantes en dépit des assassinats qui ont visé et atteint certains de ses plus hauts représentants. Des dignitaires jusque là intouchables et insoupçonnables se suicident par honte ou par la contrainte en emportant leurs lourds secrets outre-tombe. Des ministres, députés, sénateurs, industriels, notaires, agents des impôts et des représentants de corporations professionnelles diverses se livrent d’eux-mêmes à la justice ou s’exilent. Certains transigent et « balancent » face à de potentielles lourdes accusations afin d’échapper aux fourches caudines d’une révolution fortement soutenue par les Italiens au mépris des vengeances orchestrées par les mafias. Pivot de la vie politique italienne depuis plus ou moins un demi siècle, le parti Démocratie chrétienne entame alors une descente aux enfers qui mènera à sa disparition.
En 2025, le Sénégal sorti de douze ans de régime Macky Sall n’est pas encore à ce niveau élevé de reddition des comptes et de lutte contre la corruption et ses diverses variantes criminelles. Mais le tsunami judiciaire qui a cours sous nos yeux depuis quelques semaines pour faire la lumière sur le monstrueux carnage des fonds Covid-19, sur la divagation présumée des comptes publics de l’Etat et sur toutes les autres entreprises criminelles révélées au quotidien dans les médias locaux est une formidable occasion de donner une autre chance au contrat de confiance qui doit relier le peuple sénégalais aux gouvernants de sa destinée, qui qu’ils soient et qu’elles qu’en soient les périodes ou les circonstances.
En arrivant au pouvoir en 2000 et en 2012, Abdoulaye Wade et Macky Sall nous avaient vendu l’illusion d’une Gouvernance qui placerait la patrie, la vertu et la reddition des comptes au milieu du village sénégalais. Ils font fini par propager enrichissement illicite et impunité à tous les étages de la République. L’un et l’autre, ‘’libéraux’’ plus rentiers que productifs, et au-delà de la valeur ajoutée apportée au pays durant un quart de siècle, demeurent responsables structurels et fondamentaux de cette gangrène nommée CORRUPTION qui a plombé en bonne partie le décollage économique et social du Sénégal. En matière de politiques publiques, le pire n’est jamais loin. Mais leurs successeurs, Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko, feront-ils mieux ?
Pour leur agenda respectif, Wade et Sall choisirent le pire : le recyclage sans état d’âme des bataillons de présumés corrompus dans leurs cercles d’allégeance au mépris des intérêts essentiels du pays, tenant entre leurs mains l’épée de Damoclès estampillé ‘’droit de vie droit de mort’’. Digression sur une ironie de l’histoire : la plupart de ceux qui ont reproché au gouvernement actuel d’avoir terni l’image internationale du Sénégal par la divulgation du traficotage des comptes publics de l’Etat - notamment la dette et le déficit budgétaire - appartiennent aux girons politiques de Wade et Sall ! Faye et Sonko iront-ils au bout de leur logique ?
L’ampleur démentielle des interpellations, arrestations, détentions de hauts fonctionnaires, d’individus lambda présumés complices ou fauteurs le laisse supposer car il n’existe pas de précédent judiciaire dans notre pays après 65 ans d’indépendance. Il se dessine - pour le moment - l’ouverture d’une nouvelle page d’histoire à l’issue de laquelle le pays aura globalement dépassé ces histoires grotesques où des élus et personnalités de l’Etat et de la République sont capables de manipuler des fonds publics placés sous leurs responsabilités, sans conséquences pour eux. Cette impression est aujourd’hui accentuée par les mises en accusation de cinq anciens ministres par l’assemblée nationale le 8 mai 2025, les rendant de droit disponibles pour la Haute cour de justice.
Dans le respect scrupuleux de la présomption d’innocence et des règles de procédures judiciaires, ce mouvement historique de la Justice sénégalaise doit être conduit à son terme, sans passion ni vengeance, avec fermeté et lucidité. C’est ce que le pays exige. Dans un environnement socio-politique qui a fondamentalement évolué depuis le départ de Macky Sall, les magistrats sénégalais - du Parquet comme du Siège - semblent avoir retrouvé la sérénité qui rend crédibles les jugements. Pour notre pays, cette séquence judiciaire inédite est à quitte ou double.
En Italie, l’opération « Mani pulite » envoya des milliers de politiciens professionnels surpuissants à la retraite et d’autres en prison, imposant de fait un effondrement des partis politiques traditionnels. Un espace nouveau duquel émergèrent peu à peu de nouvelles forces politiques autour de ‘’La Maison des libertés’’ de Silvio Berlusconi, le Mouvement 5 Etoiles plus tard et, plus récemment, l’actuelle union des droites au pouvoir depuis 2022 et dont la cheffe de file est la présidente du conseil (première ministre) post-fasciste Giorgia Meloni.
Les ruptures prônées par le duo Diomaye-Sonko redessineront-elles la carte politique du Sénégal au terme des traques judiciaires actuelles ?