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Ne faisons pas fausse route pour nourrir les plus de 700 millions d’habitants que comptera l’Afrique de l’Ouest en 2050 !

Mercredi 30 Septembre 2020

Caroline Plante (Banque mondiale, bureau de Dakar)
Caroline Plante (Banque mondiale, bureau de Dakar)
Depuis maintenant près d’un an que je voyage dans les pays du Sahel—avant que la pandémie de COVID-19 ne nous sédentarise de force —et échange avec les nombreux acteurs impliqués dans l’élevage, j’ai pu prendre la mesure des récentes tendances démographiques. Ces trente dernières années, l’Afrique de l’Ouest a vu sa population doubler et a connu une urbanisation particulièrement rapide.  
 
Si ce dynamisme démographique est un atout à de nombreux égards, il représente aussi des défis incontestables, notamment en matière de sécurité alimentaire. D'ici 2050, la demande de viande et de produits laitiers en Afrique subsaharienne devrait augmenter de respectivement 327 % et 270 % , contre 190 % pour les céréales, par rapport à 2012.   Au Burkina Faso par exemple, la consommation de lait devrait atteindre 1,3 million de tonnes et celle de viande de bœuf, 0,5 million de tonnes, soit un accroissement de respectivement 176 % et 290 % entre 2015 et 2050. D’où ces questions : la production locale peut-elle suivre le rythme et l’évolution de la demande ? Comment éviter de dépendre trop fortement des importations de produits d’élevage ? Comment s’assurer que les produits d’origine animale locaux puissent rester accessibles à une population encore majoritairement pauvre et dénutrie ? Et comment s’assurer que cette croissance ne se fasse au détriment de l’environnement ?   
 
Nous avons besoin de davantage de recherche et de données plus pointues pour parfaire notre connaissance des différents systèmes d’élevage, leurs coûts, bénéfices et contraintes respectives. Mais au Sahel, il a été largement démontré que le système pastoral cumule avantages économiques, environnementaux et sociaux. Néanmoins, beaucoup d’idées reçues persistent, auxquelles il convient de mettre un terme.  
 
Sur la question de la productivité notamment. Contrairement à ce que beaucoup peuvent penser, il a été prouvé à maintes reprises que l’élevage mobile restait de loin plus productif que l’élevage sédentaire dans des environnements semi-arides à arides. Il fournit par ailleurs bien plus que de la viande : il procure du lait, fertilise les sols pauvres et permet d’occuper et valoriser des territoires impropres à toute autre activité agricole productive.
 
Cela tombe bien. Le Sahel compte plus de 20 millions d’éleveurs pastoraux qui élèvent près de 60 millions de bovins et 180 millions d’ovins et caprins, fournissant une grande partie de la viande et des produits laitiers consommés dans la région et apportant un revenu à plus de 80 millions de personnes.  
 
Pour une grande frange de la population, les produits pastoraux restent aussi plus compétitifs et abordables que les produits issus de l’élevage intensif dont les coûts de production sont plus élevés, nécessitant davantage d’intrants (aliments, médicaments vétérinaires) qui se répercutent sur le prix. Les animaux pastoraux sont aussi abattus en fonction de la demande, réduisant ainsi les risques de pertes liées à la rareté et la cherté des frigos et chambres froides. Dans des pays qui affichent un indice de la faim dans le monde  (a) oscillant entre la 67e (Sénégal) et la 115e (Tchad) place sur 117, on sous-estime l’importance d’avoir un accès direct à du lait frais, aliment riche en nutriments essentiels pour les millions de familles de pasteurs et agropasteurs au Sahel ainsi que pour les populations rurales reculées auxquelles sont vendus les surplus de production.  
 
Alors que l’élevage de ruminants est souvent pointé du doigt pour son impact carbone, peu d’éléments permettent encore de différencier ces impacts en fonction des systèmes de production. Or, une étude récente menée au Sénégal, intégrant l’utilisation du territoire pastoral dans son ensemble, a montré que les systèmes pastoraux pouvaient avoir un bilan carbone neutre. Des recherches plus larges couvrant les pays du Sahel et financées par l’Union européenne sont en cours, qui apporteront des informations particulièrement intéressantes pour mieux prendre en compte ces facteurs environnementaux dans les stratégies de développement de l’élevage.   
 
En attendant, la préservation de l’élevage pastoral est essentielle pour garantir les moyens d’existence et la santé de millions de personnes. Or, il ne vous aura pas échappé que ces dernières années le Sahel a été confronté à des défis croissants qui fragilisent les familles pastorales.  L’insécurité grandissante, les restrictions plus fréquentes de mouvements allant jusqu’à la fermeture des frontières—notamment avec COVID-19— ont directement affecté la mobilité des animaux et des personnes. Les conséquences sont multiples : concentrations importantes d’animaux aux frontières entraînant une surexploitation et une dégradation des ressources, amaigrissement des animaux, apparition de maladies animales et de conflits entre éleveurs et agriculteurs. La fermeture des marchés a engendré une perte directe de revenus. Si ces situations devaient perdurer ou se répéter, elles pourraient mettre sérieusement en danger l’avenir du pastoralisme.  
 
Créé à la suite de la Déclaration de Nouakchott  sur le pastoralisme adoptée en 2013 par le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal et le Tchad, le Projet régional d’appui au pastoralisme au Sahel (PRAPS) tente de traiter conjointement ces contraintes qui dépassent le cadre des frontières nationales. 
 
Prenons le cas de la santé animale. Le maintien d’animaux en bonne santé est bien entendu nécessaire à leur production et productivité ; or les pertes liées aux maladies animales restent très élevées dans la plupart des pays à revenus faibles et moyens, et la présence de maladies contagieuses peut décimer des troupeaux non protégés. La maîtrise de la santé animale est aussi essentielle pour accéder aux marchés internationaux.
 
De même qu’en santé humaine, la prévention et la lutte contre les maladies animales nécessitent des systèmes de santé animale performants, en conformité avec les normes internationales. Le PRAPS s’est ainsi attaché à renforcer les performances des services vétérinaires et le contrôle de deux principales maladies : la péripneumonie contagieuse bovine dont la vaccination est notamment obligatoire pour pouvoir se déplacer dans l’espace CEDEAO, et la peste des petits ruminants, dont l’objectif mondial d’éradication est fixé à l’échéance 2030. Le Projet a appuyé la mise en œuvre de bonnes pratiques de vaccination, depuis les spécifications techniques de passation des marchés jusqu’aux enquêtes sérologiques post vaccinales, en passant par le contrôle systématique de qualité des lots de vaccins, la sensibilisation des éleveurs, la formation des agents vétérinaires de terrain, le maintien de la chaîne du froid, l’administration du vaccin à l’animal et son marquage.
 
Le Projet a également contribué à améliorer les infrastructures et équipements, notamment les postes vétérinaires le long des axes de transhumances ou postes frontaliers. Il a aussi permis de moderniser et d’harmoniser les bases de données des services vétérinaires, permettant une remontée d’informations du terrain rapide grâce à un logiciel de collecte de données et des tablettes mises à la disposition des agents. 
 
Après des années de sous-investissements chroniques dans le secteur de l’élevage, pastoral en particulier, le chantier reste de taille. Mais en replaçant le pastoralisme sur l’échiquier des actions prioritaires de développement, le PRAPS a redonné un élan et ouvert une voie que d’autres partenaires ont suivi. C’est un très bon début, mais il faut continuer afin de redonner au pastoralisme sa juste valeur dans les politiques et stratégies au Sahel et nourrir les plus de 700 millions d’habitants que comptera l’Afrique de l’Ouest en 2050.  
 
Caroline PLANTE
Spécialiste en Elevage/Agriculture – Bureau de la Banque mondiale à Dakar
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