«Là où croît le péril, croit aussi ce qui sauve », disait Hölderlin. Dans toutes les grandes périodes de bifurcation historique, il y a une double polarisation : une polarisation régressive à laquelle, en général, nous sommes plus attentifs parce qu’elle est d’autant plus spectaculaire que le système d’information est construit pour mettre en scène ce qui va mal ; mais il y a aussi une polarisation créative, même si elle est encore insuffisante.
Pourtant, les états comme les individus sont vulnérables et notre histoire, tout en prétendant s’afficher comme éliminant tous risques, a un coût. Aucune assurance tous risques ne l’en préserve.
Le progrès sans limite n’écarte pas l’incertain. Nous pouvons au moins décliner trois principes d’espérance au sein de la désespérance dont le visage de la banqueroute entre autres périls est l’improbable. Il faut donc repérer, au cœur même du pire, les éléments qui sont mouvants parce que, dans cette espèce de course de vitesse qui se joue entre se perdre ou redresser la barre, la seule chose qui soit impossible est le statu quo. Nous sommes dans des situations à la fois improbables et dynamiques qui peuvent être régressives, mais aussi créatives.
Tout ce plaidoyer pour dire qu'il faudra du temps, de l'énergie créatrice, de la persuasion et du travail de cohésion pour instaurer de véritables chantiers du mieux-vivre.
Alors, quels sont ces chantiers qui permettent de passer de politiques de survie à des politiques de vie, fécondes et créatrices en dépit des écueils que nous percevons? Plusieurs doivent être menés conjointement.
Le premier est celui du contrôle des revenus. La lutte contre l’accroissement des inégalités qui gangrène la coexistence est un chantier majeur, accompagné d’une révolution fiscale visant à une plus grande justice sociale qui seule permettra d’affronter plus paisiblement les échéances inéluctables qui se profilent. Il pourrait se formuler ainsi: «Il n’est pas possible à un individu de gagner plus en 1 mois ce que quelqu’un gagne en 1 an».
Le deuxième chantier concerne la propriété privée. La solidarité, si elle passe par un rééquilibrage des revenus, passe aussi par une limitation drastique de l’accumulation patrimoniale qui, avant d’être une propriété privée, doit être considérée comme des biens communs dont l’usage doit être pris en charge par toutes les formes possibles d’associations d’acteurs et d’usagers. On pourrait ici s’inspirer de la notion de jubilé rappelée par David Graeber (Histoire de la dette) qui organise régulièrement un réajustement des patrimoines. L’économie sociale et solidaire en trace déjà les pistes.
Troisième chantier et non le moindre, apprendre à vivre mieux avec moins: «Moins de biens, plus de liens». L’épuisement des ressources, la nocivité de la croissance (qui en fait, si elle est un simulacre de bonheur, est cause de malheur pour ceux qui en sont les victimes) et une conjoncture mondiale précaire doivent nous conduire à une simplicité de vie.
Il nous faut retrouver la ferveur des joies simples et bannir le gaspillage et les dépenses de prestige. Se nourrir, se vêtir, avoir un toit, pouvoir se soigner, se réjouir ensemble, prendre soin les uns des autres, doivent être autant de repères qui balisent les chemins à parcourir.
Quatrième chantier majeur: l’éducation. Refaire de l’école un lieu d’apprentissage de l’entraide et non plus de la réussite des trajectoires individuelles et concurrentes. C’est peut-être là la clef de voûte de l’édifice à reconstruire.
De ce chantier doivent émerger des pratiques culturelles délivrées des impératifs d’une société marchande qui restreint les aptitudes à l’imagination et à la création tout en occasionnant une diarrhée de productions parfois dénuées de tout intérêt, sinon celui de répondre au besoin compulsif de saturer l’espace public pour écarter tout véritable renouveau.
Cinquième et non moins essentiel chantier : l'évaluation systématique des politiques publiques et la promotion des changements tout azimut de paradigmes sociétaux.
Mesurer de façon ponctuelle l'action de nos gouvernants et la perception qu'en ont les électeurs serait salutaire pour corriger et rééquilibrer l'exécution des politiques publiques. Tout comme la participation citoyenne implique de jeter un regard attentif sur divers aspects de la vie politique comme le taux de participation aux processus électoraux, le niveau de l’engagement social et de l’action militante, l’efficacité des différentes méthodes de participation publique, la compétence civique ainsi que le niveau de l’éthique sociale des citoyens. On doit également considérer l’influence qu’exercent les principaux acteurs de la scène publique que sont les politiciens et les médias puis se demander si l’espace décisionnel accordé aux citoyens est suffisant ou s’il n’y a pas lieu de l’élargir et de l’augmenter de façon significative. Enfin, il importe de jeter un regard attentif aux nouvelles formes de participation citoyenne élaborées et expérimentées depuis un certain nombre d’années déjà...
Pour garder son pouvoir, il faut que l'État se mette en mode d'apprentissage continu. Il faut comprendre qu’il est désormais et plus que jamais nécessaire de vivre intensément le présent, tout en le réinventant. Il faut penser loin et agir dans un temps tridimensionnel : le passé, le présent et l’avenir. Pour y arriver, encore faut-il ne pas ignorer, ne pas refuser et ne pas immobiliser.
Garder le pouvoir, c’est agir donc ; agir pour protéger le bien commun, au-delà de ses intérêts individuels.
Pour conclure, nous dirons que le choix que nous avons à faire désormais, à l’instar du titre de cette contribution, est de vivre et non pas de survivre. Vivre dans la confiance qu’un avenir demeure ouvert et non pas survivre sans joie dans la méfiance et les sécurités aliénantes.
Ce qui est sûr aujourd’hui, c’est que nous avons en main la responsabilité de dégager de nouveaux horizons, et si nous n’avons pas les recettes politiques préétablies de notre avenir, nous avons en tout cas l’ardente obligation de lutter et de résister à l’inacceptable qui avait pendant tout le règne libéral droit de cité.
Ce sont là des procédés de lutte contre la déshumanisation d’une terre qui ne demeurera habitable que dans la mesure où nous éliminerons les aveuglements et la domination des forces obscures du capitalisme, de l’argent et de la finance et de ses errements.
Peut-être, par delà nos hypocrisies, par une réelle volonté politique retrouverons-nous le sens du doux commerce et de la reddition auquel croyait l’une de nos lumières universelle, Montesquieu, un doux commerce pour tous et non pas pour des prédateurs ignobles et avides qui en ont accaparé les bienfaits pour ruiner notre monde et ceux qui l’habitent.
Jummah Mubarak à toutes et à tous !
K.G 28 février 2025
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