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Esclavage en Libye, rapports avec l’Europe, image de l’Afrique: Aminata Touré met les pieds dans le plat

Samedi 16 Décembre 2017

Devant une assistance qui semblait ne penser qu’à ça, l’ex premier ministre sénégalais a qualifié le trafic de migrants africains par des groupes libyens comme un acte raciste. Une position qui lui a valu quelques inimitiés vite neutralisées par une salle qui a paru être en phase avec elle.


Par Momar DIENG (Marrakech)
 
Aminata Touré a sans doute été hier la «star» de la deuxième journée des «Dialogues de l’Atlantique» qui se tient à Marrakech depuis mercredi. Sur la question du commerce de migrants africains en Libye, l’ancienne première ministre du Sénégal a ravivé le choc ressenti par les Africains après les images révélées par la chaîne américaine CNN.
 
Devant une assistance attentive et qui semblait attendre des morts et paroles de rupture face à ce drame, Mme Touré est allée encore plus loin que les chefs d’Etat ou que l’Union africaine en mettant en exergue les pratiques qui seraient à la base de ce trafic d’humains par des groupes libyens. «C’est une question de racisme», a-t-elle souligné sous les applaudissements de la salle.
 
«C’est une question de racisme»
En soulevant elle-même cette question que les autres membres du panel n’ont pas abordée dans leur premier temps de parole, l’ex-chef du gouvernement sénégalais a ainsi orienté une grande partie du débat sur cette question de migrants vendus comme des marchandises.
 
Dans le public, le directeur d’une ONG égyptienne spécialisée en gouvernance et paix a pris la parole pour s’attaquer à Aminata Touré. «Ce que vous dites sur cette affaire de trafic de migrants en Libye est faux et dangereux. Votre discours ne peut que contribuer à creuser un fossé entre Africains», s’est-il écrié.
 
La réaction de ce responsable égyptien n’a pas manqué d’être mise en lien avec la posture de l’Egypte suite à la divulgation du commerce de migrants subsahariens en Libye. Selon les confidences d’un observateur politique présent dans la salle, l’Egypte avait fait pression pour s’opposer à la déclaration de l’Union africaine qui a condamné la Libye. En réponse, Aminata Touré a rétorqué que «personne ne peut nier aujourd’hui que le racisme sévit dans les pays arabes, comme il sévit en Europe, aux Etats-Unis, en Chine.»
 
Poursuivant sa réplique, elle a jugé nécessaire que «nous puissions nous débarrasser de certaines pratiques médiévales», en référence à ce qui se passe en Libye. Mais pour cela, «il faut prendre du recul, trouver les stratégies adéquates contre les stéréotypes et, surtout, dire les choses par leur nom dans ce genre de forum.»
 
«Reconnecter l‘Afrique aux pères fondateurs»
Mais au-delà de cette affaire libyenne qui a défrayé la chronique, l’ancienne premier ministre du Sénégal a appelé les Africains à ouvrir les yeux sur d’autres types de récits qui touchent à la marche du continent africain. «L’Afrique a certes des problèmes à résoudre en quantité, des défis à relever, mais elle a aussi progressé dans plusieurs domaines vitaux pour ses populations», a-t-elle souligné. Cela est vrai pour l’espérance de vie, les taux d’alphabétisation, les baisses des mortalités maternelle et infantile, les taux de croissance économique pour lesquels les pays africains sont en tête du peloton mondial – même si la dimension inclusion fait encore défaut.
 
Sur un autre registre, l’ancienne Garde des Sceaux a plaidé pour un plus grand équilibre des rapports que l’Afrique entretient avec les autres pôles de puissance que sont les Etats-Unis et l’Union européenne. «Avec la dynamique qui caractérise le monde, il nous faut être ouvert avec nos amis européens et américains. Cependant, si nous devons travailler ensemble, si l’Europe est – ou revendique – le berceau des droits de l’Homme, il va falloir qu’elle agisse face à des situations délicates.» Allusion aux vagues migratoires qui déferlent sur le Vieux continent en empruntant la Méditerranée à partir de la Libye et auxquelles les Etats de l’UE répondent – souvent – par des mesures répressives et coercitives.
 
Dans la foulée, Aminata Touré a plaidé pour le renforcement du partenariat technologique et du commerce équitable, refusant que «l’Afrique ne soit qu’un Supermarché dans lequel les Européens viennent s’approvisionner et repartir.» C’est dans cet esprit qu’il faut «rééquilibrer la relation entre l’Afrique et l’Europe» à travers une «doctrine nouvelle», mais en favorisant «la reconnexion avec les pères fondateurs» du principe de l’unité politique africaine.
 
Dans ce panel consacré à la géopolitique de l’Afrique face aux superpuissances (Usa, Union européenne et Chine), étaient présents Karen Donfried, présidente du German Marshall Fund (GMF), Fathallah Sijilmassi, secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée (UPM), Lanxin Xiang de l’Institut de Genève et Ana Palacio, ancienne ministre espagnole des Affaires étrangères.
 
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