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Le groupe Bolloré perd en appel son procès contre Mediapart (Les carnets d’Edwy Plenel)

Vendredi 12 Février 2021

Vincent Bolloré
Vincent Bolloré
Vincent Bolloré, la SA Bolloré et sa filiale africaine SA Bolloré Africa Logistics ont perdu en appel le procès qu’ils avaient intenté à Mediapart. Notre journal et l’auteure de l’article visé, Fanny Pigeaud, ont été relaxés par la cour d’appel de Versailles qui a jugé notre enquête de bonne foi notamment en raison de sa base factuelle.
 
Devenu l’un des principaux acteurs du paysage médiatique avec sa prise de contrôle de Canal + et ses ambitions sur le groupe Lagardère, Vincent Bolloré n’est pas pour autant un chaud partisan de la liberté de la presse. Dès qu’il s’agit de ses intérêts, notamment en Afrique où la puissance économique multiforme de son groupe symbolise la persistance d’une domination néocoloniale française, il n’hésite jamais à poursuivre en justice les médias qui s’y intéressent de trop près. Reporters sans frontières  et des collectifs de journalistes  ont régulièrement dénoncé des « procédures-bâillons »  destinées à intimider et dissuader toute enquête indépendante sur ses activités.
 
Spécialiste de l’Afrique de l’Ouest, notre collaboratrice Fanny Pigeaud, qui connaît bien le Cameroun où le groupe Bolloré est omnipuissant, n’échappe pas à sa vigilance. C’est ainsi que l’un de ses articles pour Mediapart, du 13 avril 2016, racontant le combat de deux petits patrons camerounais pour faire respecter par le groupe Bolloré un jugement rendu en leur faveur a immédiatement fait l’objet d’une plainte en diffamation, portée par l’avocat du groupe, Me Olivier Baratelli.
 
Plainte dont l’automatisme était d’ailleurs annoncé dès les premières lignes de cette enquête : « Le lecteur doit être averti : cet article pourrait amener son auteur et Mediapart devant un tribunal, le groupe Bolloré ayant pris l’habitude de poursuivre les médias qui soulèvent des questions potentiellement gênantes pour lui. Cela ne pourra pas être pire que ce que vivent Célestin Ohandja et Thomas Mabou : depuis 23 ans, ces deux citoyens camerounais et leurs familles attendent que Bolloré respecte une décision de justice, après un préjudice qui les a complètement ruinés. »
 
En première instance, le 8 janvier 2019, le tribunal de Nanterre avait donné raison au groupe Bolloré en condamnant Mediapart et Fanny Pigeaud. Un jugement sévère qui, outre le paiement d’amendes, nous imposait la suppression de tous les passages incriminés, sous peine d’astreinte. Mais surtout un jugement inhabituel en matière de droit de la presse car, pour estimer notre enquête « à charge », il confondait le registre de la vérité des faits, qui suppose de rapporter la preuve irréfutable des écrits diffamatoires, et celui de la bonne foi, qui revendique le bénéfice d’une enquête légitime et sérieuse.
 
En affirmant, pour juger notre article de « mauvaise foi », que « en tant que journaliste d’investigation, Fanny Pigeaud se devait d’être irréprochable dans son travail d’enquête », la juridiction de première instance portait atteinte à la protection de la liberté de la presse construite par la sage jurisprudence de la loi fondatrice de 1881. Celle-ci protège en effet le droit d’informer sur un sujet d’intérêt général, à condition d’une enquête sérieuse, du respect du contradictoire et de la modération de l’expression, même si l’article publié peut supporter des reproches ou des imprécisions. C’est ce que l’on nomme en droit de la presse « la bonne foi ».
 
Et c’est précisément ce dont la cour d’appel de Versailles, dans un arrêt rendu mercredi 10 février 2021, nous a accordé le bénéfice en nous relaxant et en déboutant Vincent Bolloré, son groupe et sa filiale africaine de toutes leurs demandes. Dans cette décision rendue en faveur de Mediapart, la cour d’appel insiste sur « la valeur essentielle de la liberté d’expression » et, surtout, souligne « la base factuelle des documents produits » en justification de l’enquête de Fanny Pigeaud. Ses attendus donnent ainsi raison aux arguments plaidés avec force par notre avocat, Me Emmanuel Tordjman du cabinet Seattle.
 
Lors du jugement de première instance, le groupe Bolloré s’était empressé de communiquer, ce qui avait donné lieu à moult articles de presse sur notre condamnation (par exemple ici  ou ), repris jusque sur le service Afrique en français de la BBC  ou sur la page d’accueil du site du Monde. Au moment où ce billet est mis en ligne, soit vingt-quatre heures après notre relaxe, c’est à l’inverse un silence abyssal qui dissimule cette défaite du groupe Bolloré. Bien que dûment informée de la décision de la cour d’appel de Versailles, l’Agence France Presse, qui s’était empressée de faire connaître le jugement de première instance, n’a pas encore diffusé de dépêche pour faire savoir qu’il avait été infirmé.
 
Croissante avec la prise de contrôle des médias par l’oligarchie économique, dont Vincent Bolloré est l’une des figures notables, cette mainmise sur l’information passe aussi par sa capacité à étouffer l’information qui dérange ou qui déplaît. S’il en était besoin, cette bataille judiciaire, finalement gagnée de haute lutte par Mediapart, illustre le besoin vital d’une presse vraiment indépendante.
 
> Mise à jour vendredi 12 février 2021 : l’AFP a bien fait une dépêche, jeudi en fin de matinée, mais elle est mystérieusement introuvable, aucun média ne l’ayant reprise à la différence de la dépêche sur le jugement de première instance qui, claironnant notre condamnation pour une enquête « à charge », fut reprise en boucle sur les fils d’actualité et sur les chaînes d’information. Il est vrai que cette dépêche sur notre relaxe en appel qui, à l’inverse, juge notre enquête sérieuse avec une solide base factuelle, est titrée de façon à passer inaperçue comme si le procès avait eu lieu… au Cameroun. Pour réparer cet oubli médiatique, je reproduis ci-dessous cette dépêche.
https://www.impact.sn/CAMEROUN-Mediapart-attaque-en-diffamation-par-Bollore-relaxe-en-appel_a24813.html
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