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La gestion de la Covid-19 au Sénégal : chronique d’une communication chaotique et tumultueuse.

Lundi 8 Juin 2020

Depuis son apparition au Sénégal, le 02 mars 2020, la gestion de la communication relative à la maladie à Coronavirus, a fait couler beaucoup d’encre et de salive. En effet, au Sénégal, la Covid-19 a fini de mettre à nu quelques-unes des tares congénitales de son « modèle » de développement économique et social. Celles-ci ont pour nom : une économie extravertie et fortement dépendante de l’extérieur, un système éducatif à plusieurs vitesses, un tissu social miné par de très fortes inégalités territoriales et sociales, un taux de croissance du PIB certes moyen, mais qui évolue en dents de scie, un système sanitaire confronté à plusieurs difficultés, entre autres.
 
L’exercice de communication requiert une stratégie pointue et cohérente surtout lorsqu’on est en période de « guerre » contre un ennemi, dit-on invisible, sournois et dangereux et qui n’épargne aucun secteur d’activité. Dans sa Leçon inaugurale intitulée L’ordre du discours, au Collège de France le 02 décembre 1970, le philosophe français, Michel Foucault, faisait remarquer ceci :
« Je suppose que dans toute société la production du discours est à la fois  contrôlée, sélectionnée, organisée et redistribuée par un certain nombre de procédures qui ont pour rôle d’en conjurer les pouvoirs et les dangers, d’en maîtriser l’événement aléatoire, d’en esquiver la lourde, la redoutable matérialité ».
 
Bien communiquer est, aujourd’hui, une obligation et une opportunité pour tout gouvernement qui veut atteindre ses cibles. La communication peut, ainsi, devenir un atout à condition de respecter quelques règles de base. Pour Martine Liautaud, fondatrice de Liautaud & Cie et de WBMI, il existe cinq règles d’or pour une communication :
 
« 1. Bien définir ses cibles, (à qui voulez-vous vous adresser) ;
2. Préparer un plan de communication (construire une véritable stratégie de communication) ;
3. Veiller à la cohérence des messages (à l’heure de la communication totale, il est impératif que chacun puisse se retrouver dans le discours tenu) ;
4. Soigner l’image (chaque occasion de communication est une opportunité de développer votre image, non seulement en termes de discours ou de valeurs mais aussi en termes de mémorisation visuelle) ;
5. Se mobiliser personnellement ».
 
Partant de ce constat, la gestion de la communication par certaines autorités gouvernementales au sujet de la reprise des Enseignements/Apprentissages prévue pour le 02 juin dernier, laisse apparaître une certaine cacophonie tant dans la prise des décisions que dans la mise en application concertée des directives présidentielles. En effet, au regard de la tournure des événements qui se sont produits, on ne peut s’empêcher de regretter le manque de coordination entre les différents départements ministériels concernés. Ce qui a entraîné ainsi un chamboulement indescriptible.
 
Á l’évidence, bien qu’une plateforme avait été mise à la disposition des enseignants devant se déplacer, malheureusement, bon nombre d’entre-eux n’ont pas pu y accéder. Ainsi le retard dans la disponibilité de l’information a beaucoup contribué au regroupement extraordinaire noté au Terminus de Liberté 5 et a occasionné des conséquences graves. Comment comprendre alors la confusion née du convoyage chaotique des enseignants devant rejoindre leurs lieux de service ?

Au départ de ces soldats du savoir tout comme à leur arrivée, beaucoup de couacs avaient été notés. Certains enseignants ont été abandonnés au milieu de nulle part. Le défaut de coordination entre les Ministres de l’Éducation nationale, celui de l'Emploi, de la Formation professionnelle et de l'Artisanat, du Ministre de l’Intérieur et celui des Infrastructures, des Transports terrestres et du Désenclavement, a occasionné plusieurs dysfonctionnements. Malgré tout, les enseignants ont répondu à leurs obligations professionnelles.
 
Si un ensemble de mesures avait été annoncé pour une reprise sécurisée et graduelle des cours, il n’en demeure pas moins, que les germes d’un fiasco étaient déjà là. Á cet effet, le Centre des Opérations d’Urgence Sanitaire (COUS) avait mis à la disposition des différents acteurs, un Protocole de sécurité sanitaire pour la reprise des apprentissages dans les structures scolaires. Pourtant, certains acteurs à l’image des syndicats, du collectif des gouvernements scolaires, de la Fédération Nationale des Associations de Parents d’Élèves et Étudiants du Sénégal (FENAPES) ainsi que de la Coalition des Organisation en Synergie pour la Défense de l’Éducation Publique (COSYDEP) avaient tiré la sonnette d’alarme en exprimant leurs inquiétudes. Mais hélas, les recommandations contenues dans ce protocole n’étaient pas à la portée des autorités éducatives.
 
Comment comprendre alors les propos inappropriés du Directeur de la Formation et de la Communication, par ailleurs porte-parole du MEN qui voulait situer selon lui les responsabilités des différents ministères « ce qui intéresse le Ministre de la Santé, c’est de sauver des vies. Mais le Ministre de l’Éducation a pour mission de sauver l’école ». L’impréparation et le tâtonnement ont rythmé tout ce processus de reprise avortée des cours.
 
Á quelques heures de la reprise des cours (le 01er juin 2020 à 23h 40mn), le communiqué N°0001480/MEN/CAB portant renvoi de la reprise des cours avait été publié par le MEN :
 
« Des cas de personnels enseignants testés positifs à la Covid-19 ont été enregistrés dans la région de Ziguinchor. C’est pourquoi son excellence le Président de la République a décidé de reporter la reprise des cours initialement prévue le 02 juin 2020 jusqu’à une date ultérieure, afin d’annuler tout risque de propagation du virus dans l’espace scolaire ».
 
Pourtant, c’est ce même ministre qui affirmait avec insistance un peu plus tôt que tout était fin prêt. Ce fut le summum des contradictions. Dès-lors, un certain nombre d’incohérences dans la prise des décisions peuvent être relevées :
 
a). lorsque le Ministre du Développement communautaire, de l’Équité sociale et territoriale, en
charge de la distribution de l’aide alimentaire affirmait que cette opération devrait prendre tout au plus trois semaines, on arrive à dépasser largement ce délai ;
 
b). lorsqu’au début de la pandémie, les autorités avaient pris la meilleure décision en refusant catégoriquement de rapatrier les 13 étudiants sénégalais établis à Wuhan, épicentre de l’épidémie en Chine, et que plus tard, on autorise le rapatriement d’autres sénégalais à l’étranger sans donner des arguments convaincants ;
 
c). lorsqu’on renoue avec les cas dits importés (quatre cas positifs enregistrés le samedi 06 juin 2020) à cause des opérations de rapatriement de nos concitoyens ;
 
d). lorsque le Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, en direct à la télévision a décidé d’enlever son masque de protection parce que « çà étouffe » ;
 
e). lorsque les Ministres de l’Intérieur et celui des Infrastructures, des Transports terrestres et du Désenclavement décidèrent de lever l’interdiction qui frappait le transport interurbain en exigeant la tenue d’un Manifeste sans aucune concertation au préalable avec les principaux acteurs ;
 
f). lorsque le trafic interurbain reprendra du service sans le respect des mesures de distanciation physique avec des bus bondés (65 places avec une quasi absence de système d’aération), eh bien, c’est la gestion de la communication gouvernementale qui prend un sacré coup !
 
Il est temps alors qu’on revienne à la normalité d’un discours cohérent conformément à la théorie foucaldienne. Le Sénégal est certes une jeune Nation démocratique, mais il n’a rien à envier aux autres États, économiquement plus développés que lui. L’organisation de l’administration sénégalaise force le respect car, très tôt, nous avons eu l’un des appareils administratifs les plus organisés. C’est justement dans ce contexte que le premier Président de la République du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, soucieux d’instaurer une Administration structurée et efficace apte à accompagner le développement économique et social de son pays, a mis en place, à travers la circulaire N°86/PR du 1er octobre 1968, une structure dénommée : Bureau Organisation et Méthodes (BOM). Celle-ci a joué un rôle de premier plan dans l’élaboration ainsi que la coordination des politiques publiques, surtout pendant des moments difficiles.
 
Au cours de son histoire, il a été plusieurs fois réformé. De Senghor au Président Macky Sall, le BOM a traversé les âges mais il garde encore toute sa pertinence. Dès-lors, sous Abdou Diouf, il devient, par Décret N°92-658 du 15 avril 1992, Délégation au Management public (DMP), puis en 2008, le Président Abdoulaye Wade changea son nom pour devenir Délégation à la Réforme de l'État et à l'Assistance technique (DREAT) à travers le Décret N°2008-182 du 28 février 2008. En 2013, le BOM est restauré à la faveur du Décret N°2013-1225 du 04 septembre 2013. Il devient alors Délégation générale à la Réforme de l'État et à l'Assistance technique (DGREAT). En tant que structure d’étude, d’appui et de conseil, l’une des missions essentielles du BOM aujourd’hui, est de rester un organe central qui aiguillonne, « coordonne et anime, en liaison avec les autres administrations, la formulation, la mise en œuvre et l’évaluation de la politique de formation permanente des agents de l’État ». C’est la raison pour laquelle, les missions précitées lui confèrent, les attributs d’une structure d’aide à la prise de décision et d’appui à la modernisation du service public.
 
Il serait aussi nécessaire de ressusciter le poste de Premier Ministre dans l’attelage institutionnel du Sénégal. Son absence se fait ressentir au plus haut niveau. Au moment où notre pays subit les affres de la Covid-19, l’équipe gouvernementale a plus que besoin d’un capitaine. Cette personnalité mérite alors toute sa légitimité face à des dérives communicationnelles. L’intérêt d’un tel poste serait tout au moins, d’assurer le rôle de coordination et de monitoring des différentes décisions de l’État. 
 
Dakar, le 08 juin 2020
Yaya DIAW,
Professeur d’Enseignement Secondaire d’Histoire et Géographie
Lycée Amath Dansokho, ex-Lycée Ouakam              
                                      
 
 
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