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Impérialisme, héritage colonial, démocratie, patrimoine, Macron… : A bâtons rompus avec Khadim Ndiaye (chercheur en Histoire)

Mercredi 1 Juillet 2020

Impérialisme, héritage colonial, démocratie, patrimoine, Macron… : A bâtons rompus avec Khadim Ndiaye (chercheur en Histoire)
L’«héritage colonial» revient au devant de la scène après le meurtre de Floyd à Minnesota. Pourquoi les pays africains comme le Sénégal ne parviennent-ils pas à dépasser la question?
 
Plusieurs choses expliquent cette situation. Le procès de la colonisation n’a pas été vraiment fait de manière officielle dans nos pays. Cette colonisation a pourtant été un évènement foudroyant et déstabilisateur pour les Africains dans la mesure où elle a ébranlé brutalement les sociétés africaines en leur imposant un nouveau mode d’être. Ce qui a constitué un frein à nombre d’initiatives de développement. Ses séquelles se vivent encore aujourd’hui sur les plan culturel, politique et économique. Il y a cette mentalité néfaste de l’ex-colonisé qui consiste à dire par exemple que pour qu’un changement important s’opère dans les relations avec l’ancienne puissance coloniale, il faut s’en remettre bon vouloir du président français en exercice. Mais comment demander à la France de scier la branche sur laquelle elle est si confortablement assise? Le changement viendra du fait des Africains qui se seront d’abord dotés de dirigeants conscients et prompts à défendre leur dignité et leurs intérêts. Un procès de la colonisation entamé très tôt aurait permis d'apprendre de nos errements passés, de corriger ce qui doit l’être et d'avancer sereinement.
 
Impérialisme, la stratégie permanente de l’acclimatation
 
Il y a aussi ce qu’on pourrait appeler l’acclimatation permanente de l’impérialisme. Les stratégies actuelles d’opposition mises en place par les ex-colonisés entraînent l’ancien colonisateur à redéfinir ses plans de domination. On veut contrôler tout mouvement, toute contestation et tout débordement qui sont propres à porter atteinte aux intérêts de l’impérialisme. Le colonialisme n’est pas mort, il excelle pour se survivre, à renouveler ses formes, disait Césaire. C’est ce qui se passe depuis la période de l’esclavage. Les abolitionnistes ont été mis de l’avant pour faire passer l’idée que c'est le maître de l'esclave qui, dans un grand élan du cœur, accorde la liberté à ce dernier. Mais la discrimination, elle, est maintenue sous d'autres formes. On modifie la législation afin de préserver les intérêts des anciens propriétaires d'esclaves à qui des indemnités sont accordées.
 
« Vous voulez l’indépendance? Prenez-la »
 
Même façon de procéder avec les indépendances. Puisque vous voulez l'indépendance, prenez-là, disait De Gaulle dans un voyage au Sénégal en 1958. Pourtant dans les coulisses, on s’active pour la création d’une « Communauté franco-africaine » et on diffuse l’idée selon laquelle l'avenir est dans les « grands ensembles », c’est-à-dire l'union avec la France. Les intérêts économiques sont maintenus avec la nouvelle politique de coopération. L’indépendance réelle cède la place à l'indépendance nominale sous contrôle.
 
La « démocratie canalisée » issue de La Baule
 
En 1990, devant le ras-le-bol des Africains contre les dictatures, François Mitterrand, fait son fameux Discours de la Baule qui, soi-disant, va impulser la démocratie. Mais on voit tout de suite que c'est une démocratie canalisée et seulement de façade. Mitterrand avait su défendre avec ruse les intérêts français en maintenant ses hommes africains au pouvoir et en calmant la colère qui fusait des rues africaines. C’est, de nos jours, ce qu’on veut faire également avec le Franc CFA. Même les mouvements de jeunes en Afrique ne sont pas épargnés. Le rapport d’information sur «
 
De la problématique des « relais locaux »
 
La stabilité et le développement de l’Afrique francophone » de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale française de 2013, stipule clairement que l'influence de la France en Afrique dépend de cette capacité à nouer des relations avec des relais locaux et, parmi ces relais, des jeunes actifs sur la sphère publique. Le rapport avait recommandé à l’État français de se mettre en position de prendre en compte les changements de génération que vivent les pays d'Afrique et d’y être attentif.
Ce rôle des relais locaux doit être considéré sérieusement. La France se présente comme le pays qui accompagne les jeunes « leaders » africains dans leur lutte pour une Afrique meilleure. Ces relais étaient déjà à l’œuvre à l’aube des indépendances. Pendant que certains Africains se battaient dans les années 50 pour l'indépendance, d'autres s’activaient pour qu'une bonne partie de l'Afrique reste encore entre les mains de l’Europe. Ils disaient que l'Afrique a des devoirs envers ce qu’ils appelaient « l'Union française ». Ils avaient même inventé le terme « Eurafrique » pour illustrer le rattachement à cette union. Des personnalités avaient été cooptées pour faire le tour des capitales africaines afin de dissuader les indépendantistes. Certains disaient que sans la France c'est le chaos. Aujourd'hui, sur la question du franc CFA, certains avancent encore que sans l'arrimage à l'euro, c'est le chaos. Époques différentes, attitudes similaires. Le confort douillet du liquide amniotique semble vraiment être vital pour certains adultes.
 
Stop aux faux-fuyants
 
Il est temps de repenser toutes ces questions. L'époque actuelle n'autorise plus les faux-fuyants. La nouvelle conscience citoyenne exige un discours clair sur toutes les questions sérieuses touchant nos États, comme celles portant sur la monnaie, les symboles coloniaux. Elles seront de plus en plus abordées par une bonne partie de la jeunesse africaine, qui semble d'ailleurs en avance sur ses dirigeants. Aborder ce type de questions, ce n'est pas, comme on le prétend souvent à tort, nourrir un antifrancisme primaire. Au contraire, c'est plutôt vouloir prendre en main son propre destin.
 
A Dakar comme à Saint-Louis ou à Abidjan, des figures coloniales peu scrupuleuses durant leurs missions « occupent » des rues, boulevards, avenues en souvenir ou en récompense de leur passage en Afrique. Comment expliquer cet « attachement » de nos gouvernants à d’anciens bourreaux de leurs peuples ?
 
Nos dirigeants qui, pour la plupart, tiennent à rester à leur poste, ne veulent pas déplaire à l’ancienne puissance coloniale. Cette situation fait qu’un président en exercice peut même se lever un jour et déclarer à la face du monde, tordant le cou aux faits, que les tirailleurs du Sénégal avaient droit à des desserts alors que les autres Africains n'en avaient pas.
 
Il y a une bataille, quand vous la perdez, vous perdrez toutes les autres. C'est celle des symboles et de l'imaginaire. Quand vous n'avez plus la conscience du passé, vous perdez le but puissant qui fait la force d'un peuple et qui lui donne une orientation. Nos pays sont malades d'une absence de décolonisation à tous les niveaux pratiquement. L'élite politique et une bonne partie de l'élite intellectuelle préfèrent se vautrer encore dans la colonialité. Le mimétisme institutionnel, administratif, culturel, tue toute créativité. Les jeunes ne savent presque rien du passé trouble qui impacte leur présent. Peu connaissent les affres du Code de l'indigénat par exemple. Ce code qui définit des catégories d’Africains, autorisait tous les écarts de conduite de la part des colons. L'universitaire Amady Aly Dieng a raconté dans ses mémoires comment Ibrahima Diop, un ami à son père, avait été giflé par un colon sous le prétexte qu'il ne l'avait pas salué à son passage, comme c'était de coutume pour les indigènes. Il y avait une volonté constante d’humilier et de rabaisser. Pour reprendre les mots de Césaire, on voulait inculquer le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme. L’impact de ces méthodes de la terreur sur les comportements du présent demeure un vaste champ d’études.
 
Consultations publiques
 
Il est tout à fait normal qu’un débat s’instaure et qu’il y ait des consultations publiques quand arrive le moment de débaptiser des rues et des statues liées à l’héritage colonial.  Pour certains, la chute de la statue de Faidherbe peut signifier une façon de retrouver un imaginaire perdu et d’en finir avec le colonialisme qui subsiste encore par la présence de symboles. C’est une façon pour eux de renouer avec leur histoire en célébrant leurs dignes et valeureux héros oubliés. D’un autre côté, il y a quelques nostalgiques qui s’arc-boutent sur l’argument consistant à dire que « déboulonner une statue c’est effacer l’histoire ». C’était par exemple l’argument du directeur du patrimoine culturel au Sénégal en 2017.
 
Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’aucune statue coloniale n’a été installée pour les beaux yeux des colonisés. Une statue coloniale est un attribut de domination. C’est un objet de pouvoir qui exprime une ascendance sur le plan symbolique. Les statues des conquérants coloniaux, disait Frantz Fanon, ne cessent de signifier une seule et même chose : « Nous sommes ici par la force des baïonnettes ». La statue d’un administrateur colonial est là pour exalter et immortaliser la mémoire de la colonisation, qui a été une idéologie meurtrière. Par elle, on cherche à imposer une forme d’accoutumance à la figure d’un envahisseur et persécuteur. On peut pourtant enseigner tous les aspects d’une histoire douloureuse sans statufier des figures oppressives.
 
Repenser le concept de « Patrimoine public »
 
Cela doit nous amener à repenser la notion de patrimoine public dans un pays colonisé ou ex-colonisé. Qu’est-ce qui peut être considéré comme patrimoine? On n’affiche pas le portrait ou la statue d’un oppresseur en se contentant de dire que c'est le patrimoine. C'est d’ailleurs tout le débat actuel aux États-Unis. La présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi a appelé au retrait de 11 statues du Capitole représentant des soldats et des responsables confédérés esclavagistes, au motif que ces statues célèbrent la haine et non pas le patrimoine des États-Unis.
 
Emmanuel Macron, une logique à deux vitesses
 
Le président français, Macron, a dit, lui, qu’il n’enlèverait aucune statue, qu’il n’effacerait aucune trace du passé. On lui demandera tout simplement d’aller jusqu’au bout de sa logique et de replacer la statue retirée du Maréchal Pétain dans la ville de Vichy. Pétain n’a-t-il pas été le grand soldat de la Grande Guerre? Un des grands artisans de la victoire de Verdun? En 2011, le portrait de Pétain a été également retiré de la salle du conseil municipal de la mairie de Gonneville-sur-mer dans le Calvados. Que reproche-t-on à Pétain au point de retirer sa statue et ses portraits? D’avoir collaboré avec les occupants allemands? Être collaborateur empêche-t-il de faire partie d’une histoire? Macron doit être logique jusqu’au bout. Il doit joindre l’acte à la parole en remettant la statue de Pétain à sa place. On se demande d’ailleurs si ce n’est pas cette fermeté feinte qui fait qu’il s’accroche au Franc CFA au point de pousser au changement de nom (Eco) tout en voulant que la France reste garante. En tout cas, du point de vue des Africains, rompre avec le franc CFA, vestige colonial, ce n'est pas effacer l'histoire coloniale de cette monnaie. C'est s'émanciper et se prendre en charge. Tout est question de perspective finalement.
 
 
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