Les avocats racisés font face à un racisme systémique dans leur profession, selon une enquête de StreetPress. Témoins et victimes de discriminations, ils racontent des humiliations répétées, des stéréotypes persistants et des inégalités salariales marquées.
Par voie de témoignages recueillis par StreetPress, plusieurs avocats perçus ou se décrivant comme « noirs », « arabes » ou « asiatiques » relatent des situations où ils sont pris pour des prévenus, des interprètes ou des vigiles.
Seydi Ba, avocat au barreau de Paris, explique avoir été interpellé par un agent pénitentiaire qui, le voyant en civil, s’est exclamé : « Mais qu’est-ce qu’il fout en dehors de sa cellule celui-là ?! » Un autre jour, un huissier lui aurait lancé : « C’est bien, vous connaissez le vocabulaire. Il ne vous reste plus qu’à faire des études de droit ! »
Kadiatou Tapily, avocate en droit des affaires, raconte comment une policière lui a ordonné d’attendre son avocat avant d’être jugée, ajoutant : « D’habitude, vous êtes toujours en retard, comme on dit dans vos pays ! » À Bobigny, un avocat lui aurait supposé une visite à « un de [ses] frères derrière un des box ».
Ces anecdotes, loin d’être isolées, traduisent une réalité plus large. StreetPress rappelle qu'un rapport du Défenseur des droits en 2018 indiquait que 56,8 % des personnes perçues comme « noires » déclaraient avoir déjà été discriminées en raison de leurs origines, contre 49,6 % pour les personnes perçues comme « arabes » et 23,9 % pour celles perçues comme « asiatiques ».
- Un racisme intégré aux institutions judiciaires
Pour les avocats interrogés, ces discriminations commencent dès l’entrée des juridictions. Tewfik Bouzenoune, avocat pénaliste, explique qu’avant même de montrer sa carte professionnelle, il est fréquemment interrogé sur son « heure de convocation », sous-entendant qu’il est un justiciable et non un homme de loi.
D’autres témoignages illustrent le mépris quotidien dont sont victimes ces avocats. Seydi Ba se souvient d’un président d’audience qui l’avait accueilli en s’exclamant : « Ah ! Vous êtes là, monsieur l’interprète ! » Un autre jour, un confrère leur avait présenté sa carte pour entrer dans un tribunal, pensant qu’ils étaient vigiles.
Pour éviter ces situations, certains avocats expliquent devoir s’imposer un code vestimentaire strict. « On a toujours la carte ou la robe bien en évidence. Là où des confrères blancs peuvent se permettre de venir en basket et en t-shirt », explique Seydi Ba.
- Un racisme persistant en cabinet
Au sein des grands cabinets d’avocats, les discriminations prennent une autre forme. Fadila Ouadah Benghalia, avocate au barreau de Paris, raconte comment lors de ses entretiens, elle devait prouver qu’elle maîtrisait « bien le français à l’écrit comme à l’oral ».
Les inégalités salariales sont également flagrantes : elle a découvert qu’elle était moins bien rémunérée que des collègues « blancs » à expérience égale, parfois de 500 à 1 000 euros de moins.
Un autre avocat, Asad, raconte qu’il lui avait été expliqué qu’il devait « s’adapter aux codes » d’un métier dominé par des « hommes blancs bourgeois ». Il évoque aussi une fois où, dans un cabinet, le mot « nègre » a été utilisé à plusieurs reprises par des collègues sans aucune conséquence.
- Une profession qui refuse de voir le problème
Face à ces discriminations, les avocats concernés déplorent le manque de réactions des institutions judiciaires. « On représente la justice. Pourtant, notre profession n’est ni bienveillante ni accueillante pour la différence », conclut Asad.
Pour Tewfik Bouzenoune, la profession doit se doter d’outils adaptés pour lutter contre ces discriminations : « Il faut mener des campagnes et mettre en place des formations ciblées. »
Contactés par StreetPress, le tribunal de Paris, la Commission égalité du Conseil national des barreaux et d’autres instances n’ont pas répondu aux sollicitations. Un silence qui en dit long sur le tabou qui entoure encore ces questions, selon la rédaction du média d'enquête. [AA]