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Défendre à tout prix la zone "Sénégal"

Samedi 18 Février 2023

Khady Gadiaga
Khady Gadiaga

La violence gratuite exercée ce jeudi 16 février 2023 par les forces de défense et de sécurité contre l'opposant radical et leader du parti Pastef montre à quel point la violence politique, véritable fléau se répand dans tous les sphères de la vie publique.
A chaque séquence violente choisie et relayée par les médias succède une séquence de communication politique qui se veut rassurante mais déroute plus qu'elle ne convainc. Le crédit de confiance semble s’épuiser au point que c’est la justice qui se trouve mise en accusation...

Un pays où le gouvernement ne repose point sur l’empire des lois, mais bien sur la puissance arbitraire des hommes ; dans cette contrée, ce sont les passions des chefs qui prédominent.
Alors c’est la cupidité, l’orgueil, la perfidie, la vengeance, l’ambition, l’injustice qui composent les éléments de l’administration ; et tous les vices exhalés sans cesse de ce centre pestilentiel, attaquent et gangrènent le corps social tout entier.

De là pareillement, l’origine et la cause de la corruption des mœurs dans les républiques, quand une constitution défectueuse permet avec le temps à ceux qui ont été investis du pouvoir, de relâcher les ressorts du gouvernement, et de se mettre enfin à sa place. À peine ceux-là ont-ils fait quelques écarts, que, pour donner impunément plus d’extension à leurs vices, ils ne négligent rien, afin d’en étendre la sphère empoisonnée. Et leur exemple devient d’autant plus contagieux, qu’ils sont postés en point de mire ; et que, d’ailleurs, ils trouvent toujours dans les complices de leurs malversations et de leurs délits, et dans les individus parasites qui en profitent avec eux, des partisans chauds et des propagateurs du brigandage d'Etat.

Voilà comme il est constamment arrivé, que la dépravation des mœurs n’a eu à son tour une influence destructive sur les lois, que parce que ceux chargés de les maintenir ont été les premiers à les enfreindre.

Pour reprendre le philosophe Tereshenko : la violence d’État, les bavures, ce n’est pas « bad apples in a good basket, good apples in a rotten basket » *.
"pas des mauvaises pommes dans un bon panier, mais des bonnes pommes dans un mauvais panier.”

Cela veut tout simplement dire que la répression, la violence disproportionnée et gratuite, les blessures parfois graves, les morts suite à des « bavures », les privations de liberté en garde à vue ou en prison, ne sont pas des abus ou des dérapages d’un pouvoir devenu fou comme on peut le croire. Au contraire, cette violence est au cœur du pouvoir de l’État estampillé APR . Elle permet de préserver son ordre public, ou plutôt son ordre social.

Notre génération voit également se lever des critiques de plus en plus menaçantes à l’égard de l’organisation politique, voire de la démocratie elle-même. Nos sociétés sont traversées au mieux par un constat d’impuissance de l’autorité publique, au pire par une haine des « politiques » et de ce qu’ils représentent. Cette profonde crise de confiance favorise l’émergence d’un climat propice à un hiver de la démocratie dont nous ne percevons encore que peu les dangers.

L’ensemble de ces changements négatifs se rassemble dans un terreau fertile d’où grandissent soit l’apathie face au fardeau trop lourd à porter que représentent ces déséquilibres, soit le repli vers les solutions d’où émergeront de nouvelles violences entre les hommes. Le vivre-ensemble est remis en question tandis que la crainte de l’avenir – voire de son avenir – s’enracine au sein d’une jeunesse sur laquelle devraient pourtant reposer tous les espoirs.

Il est impérieux que les politiciens du pouvoir comme d'ailleurs ceux de tous les camps comprennent que gouverner tout comme s'opposer ne sont autres que proposer. Une action politique sans proposition n'est qu'un mouvement d'humeur.

La politique se nourrit du débat d’idées, de la confrontation de points de vue contradictoires. Sans une opposition solide et argumentée, un pouvoir élu démocratiquement se raidit rapidement dans les certitudes et, au nom de l’efficacité de l’action, est rapidement tenté d’oublier qu’il est en place par la volonté du peuple, et qu’il doit lui rendre des comptes.
 
L’opposition également doit être à la hauteur de ce défi. L’ opposition démocratique sert aussi à préparer l’alternance qui témoigne de la vitalité d’une démocratie pluraliste. Tout ce qui renforce l’expression de l’opposition politique renforce la démocratie, et ce qui l’affaiblit devrait inquiéter tous les démocrates.
Ceux qui pensent que la faiblesse ou l'anéantissement d’une opposition démocratique sert le pouvoir se trompent. Elles ne servent que les extrémistes.
 
L’hypothèse d’un Sénégal devenu une zone à défendre, n’est peut-être pas une aberration, ou une provocation, ni même un abus de langage... Mais une réalité en devenir au regard de la recrudescence des faits de violence, de leur nature et de l’impuissance de l’État à les juguler car étant la source.

Il est temps de dénoncer l'imposture de la gratuité et de la cécité de la violence et de ses auteurs. La violence n’est jamais gratuite ni aveugle, au contraire elle peut résulter de motivations très diverses et s’appuie sur des méthodes et une organisation qui peut être très professionnelle comme dans les manifestations où agissent des groupes criminels ou ultra-politisés.

Des forces de sécurité qui agressent, tuent, violentent le font à dessein pour nier les libertés individuelles et défier l’ordre républicain avec l'assentiment du prince, certainement... La cécité est celle d'un gouvernement qui préfère parler encore et toujours d'incivilités des victimes quand il s'agit de crimes et de délits aggravés exercés sur elles.

Voilà pourquoi, notre barque, le Sénégal demeure plus que jamais une zone à défendre. Nous ne pouvons plus rester au balcon et regarder stoïquement notre vivre-ensemble se déliter inexorablement... La neutralité n'est plus de mise quand le crime et la violence, qui loin d'être aveugles, profitent au contraire de nos irresponsabilités...
Khady Gadiaga
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