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De l’usage du balai en politique (Par Khady Gadiaga)

Vendredi 22 Mars 2024

Tout le monde ne peut pas être un bon équilibriste, et la politique est un art. Le Tribun, comme le prince, doit savoir faire preuve de virtù pour affronter la fortune. Il doit être un homme de bien, ce qui veut dire, comme nous l’avons déjà compris : non seulement défendre le peuple ; non pas, encore moins, servir ses propres intérêts jusqu’à faire preuve d’un excès d’ambition ; mais se soucier avant tout du bien commun ou du salut de la patrie.  D’abord, il doit être « un homme de bien » pour que le peuple sache raison garder.

 

Quand Bassirou manie son balai, devenu un instrument précieux de campagne, beaucoup ricanent et se moquent... 
 

Ils ignorent que tout est symbolique. Dans le lien, il y a une représentation imaginaire sous-jacente, une unité, quelque chose de commun. Il n’y a pas de cohésion sans remaniement des imaginaires personnels, sans ce long travail d’élaboration d’un répondant commun sur ce que nous sommes et souhaitons devenir, sans les tâtonnements de la parole et de ses volutes, sans que se produise une communauté de réorientations, remaniements, mais aussi de relance de nos désirs. 

 

C’est à Fatick que l’enfant de Ndiaganiao a choisi de brandir ce cadeau qu’il tient d’un vieux “aguene” (Diola), étant, lui, un “Diambone” (Sérère). Il dira que le vieux lui a dit, en lui tendant le balai, “de nettoyer le Sénégal.” Ce qu’il compte faire, s’il est élu 5eme président de le république du Sénégal.

 

Très en verve, panache au vent, Diomaye, en terroir sérère conquis à sa cause a galvanisé les foules, passant pour l'homme de la situation, prêt à retrousser ses manches et à « mettre les mains dans le cambouis ».

 

Dans les discours politiques, le fait d’utiliser un objet oscille toujours entre symbole et preuve matérielle. Ces dilemmes s’incarnent au travers des objets que l’on utilise au quotidien, qui construisent nos modes de vie et de pensée. Le balai, dans son utilisation quotidienne, raconte notre besoin de contrôle accru sur l’espace domestique, en éliminant chaque grain de poussière. 
 

Ramené à l'espace public, c'est un outil symbolique d'assainissement des pratiques de gouvernance.

 

Dans l'imaginaire endogène, le balai est un traqueur de vérité en plus d'être un vecteur de purification et de nettoyage spirituel. Dans chaque pays, et ce, selon les origines et les traditions des uns, le balai détient une place. En lui-même, il est un symbole d’unité, les tiges assemblées, il représente un peuple, une nation unie, d’où l’anecdote « l’union fait la force ».

 

La grande force de l’objet est cependant de nous rattacher directement au réel. Il peut même avoir valeur de « preuve matérielle » par rapport aux idées que l’on défend. A ce titre, il faut donc distinguer l’objet utilisé comme preuve, exemple ou illustration, de l’objet utilisé uniquement comme symbole ou signe distinctif pour fédérer les militants et sympathisants à travers une identité visuelle forte.

 

Cela dit, cette technique de l’objet est finalement assez peu utilisée en communication politique, en tout cas dans notre pays. L’essentiel du travail de nos spin doctors et autres communicants institutionnels porte le plus souvent sur les argumentaires, les éléments de langage, les formules et « petites phrases », c’est-à-dire sur l’impact verbal de la communication.

 

Le travail sur l’impact visuel, par le media training notamment, se limite généralement à corriger certains défauts, gestes parasites ou mouvements gênants. La plupart des hommes et des femmes politiques cherchent d’abord à se mettre en scène eux-mêmes, à mettre en scène leur corps. Ils se concentrent davantage sur une posture, une gestuelle qui leur serait propre, leur permettant d’affirmer un « style », une personnalité.

 

Par ailleurs leurs slogans et leurs « petites phrases » sont plus facilement répétés telles quelles, tandis que les images sont davantage sujettes au détournement (montages photoshop etc). 

 

C’est pourquoi l’utilisation d’objets ou même d’accessoires reste secondaire, considérée avant tout comme une gêne ou un risque dans leur communication.

 

Sous nos cieux, le discours est encore trop souvent envisagé comme un exercice essentiellement « littéraire ou rhétorique» : on se concentre sur la rédaction d’un texte avant de penser à sa mise en scène, au jeu de l’orateur qui devra prononcer ce discours. Certes, il ne faut pas sacrifier le fond à la forme : la parole doit demeurer au service d’une idée. Mais une approche plus « théâtrale » est souhaitable. C’est tout l’enjeu de l’art oratoire.

 

Enfin, miser sur le visuel et le côté spectacle est un mode de communication très « 

impactant», et pour ce qui est du balai, l'on retrouve souvent les mêmes symboliques dans les différentes régions du monde.

 

Ainsi, qu’il soit pour purifier l'espace politique, assainir les finances publiques ou chasser les démons de la discorde, espérons surtout que Diomaye, détenteur du balai républicain en fera œuvre utile et salvatrice de nos biens communs, mais n'oubliera pas à s'en servir avant tout à balayer devant sa porte !  

 

Khady Gadiaga - 22 mars 2024

 
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