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Conflits autour du foncier : Le déplacement forcé des populations, la source du mal

Mercredi 22 Février 2017

L’accaparement des terres se poursuit au Sénégal et en Afrique, avec son cortège de violences et de recherches de compromis. Mais les expropriations forcées sont à l’origine de 63% des conflits fonciers recensés sur le continent.
 
Les observateurs attentifs aux conflits issus du foncier, notamment rural, le savaient de manière empirique, une étude scientifique vient le leur confirmer : les litiges naissent à partir des déplacements forcés et mouvements migratoires imposés aux populations locales dans 63% des cas, avec « des incidences matérielles considérables » dans 69% de ces cas. On est alors en plein dans ce qu’il est convenu d’appeler l’accaparement des terres. C’est le résultat des investigations effectuées par le Cabinet TMP Systems dans le cadre de la publication du rapport annuel 2017 de l’Initiative des droits et ressources (RRI).
 
D’après la même étude, « les zones ciblées par les projets de développement en Afrique sont plus densément peuplées qu’ailleurs dans le monde. » En effet, « la densité démographique à 50 km autour des projets contestés en Afrique était deux fois plus élevée que la moyenne mondiale : à savoir 816 547 habitants pour 319 426 au niveau mondial. »
 
L’enquête renseigne également sur le conflit foncier typique en Afrique: il a lieu « à une distance moyenne de 61 km des frontières nationales ; il est localisé « dans des zones frappées par une pauvreté endémique, avec un faible accès aux services administratifs et des niveaux très bas de nutrition » ; les pogroms éventuels se déroulent « dans des zones historiquement marquées par des conflits sociaux et moins développées où l’utilisation des sols a peu changé par le passé.»
 
Selon Lou Munden, président de TMP Systems, « la plupart des pays (africains) doivent renforcer considérablement la gouvernance des droits fonciers pour créer un environnement stable et attractif propice aux investissements. »
 
Pour sa part, Andy White, président coordinateur de RRI indique que « la croyance erronée selon laquelle l’Afrique est un continent de territoires vides et disponibles, ouverts aux projets de développement, a fait beaucoup de tort.»
 
Le cas tragique de Fanaye
« Aucun territoire n’est à prendre, libre de toute revendication (car) priver les communautés de leurs terres et de leurs moyens de subsistance sans obtenir leur consentement est nécessairement facteur de conflits et de troubles sociaux », a ajouté le patron de RRI.
 
« Au contraire, reconnaître et sécuriser les droits de propriété des populations locales produit un climat de sécurité pour les Etats, les investisseurs et les entreprises ; ce qui satisfait un besoin essentiel, surtout avec l’incertitude politique qui règne aujourd’hui dans le monde. »
 
Fanaye, naguère petite localité sans histoires, est un exemple illustratif des propos ci-dessus. « Le projet de plantation de biocarburants, le long de la frontière Nord-ouest du Sénégal, a été conduit sans le consentement des communautés locales », rappelle Lou Munden.
 
« Il y a eu un cas de protestations violentes à Fanaye Dieri qui s’est soldé par la mort de deux militants communautaires et qui a forcé le gouvernement à révoquer la concession et à la déplacer 30 km plus à l’Est, vers la réserve de Ndiael. »
 
Mais il y a eu un hic : « le nouvel emplacement a coupé les petits éleveurs de tous leurs pâturages, ce qui a généré de nouveaux conflits. Six ans après, la concession n’utilise actuellement que 1 500 des 20 000 hectares initialement octroyés par l’Etat. »
 
Selon Alioune Guèye, président de la Fédération des périmètres autogérés, des investisseurs lorgnent certes sur les sols de notre pays, « mais certaines de nos communautés les plus pauvres vivent également sur ces sols et en dépendent pour survivre. »
 
Le drame, poursuit-il, c’est que « les entreprises croient trop souvent qu’elles peuvent s’entendre avec le gouvernement, raser les terres et créer de vastes plantations en repoussant simplement les locaux sur leur passage. » Or, « sans leurs terres, ces communautés n’ont plus rien. Leurs droits doivent (donc) être dépassés. »
 
Construction d’infrastructures suspendue
En Afrique de l’Est, souligne le rapport de TMP Systems, un cadre juridique plus solide a permis de limiter les dégâts. Les déplacements des communautés ne constituent que 36% des différends fonciers examinés, et les problèmes d’indemnisations ne concernent que 27% des cas soumis à arbitrage. Par contre, « 73% des conflits fonciers se sont soldés par des interruptions de travaux, et seulement 27% ont généré des violences. »
 
La plupart des pays africains confrontés au phénomène de l’accaparement des terres cherchent le salut à travers des formules plus ou moins inclusives. Par exemple à travers la mise en place de Commission (au Sénégal) ou d’Autorité (au Liberia) nationales chargées de réfléchir à des compromis dynamiques entre une puissance publique soucieuse de récupérer taxes et impôts, des entreprises préoccupées par la sécurité juridique de leurs investissements et des populations légitimement attachés à leurs terres.
 
« Le gouvernement, un régulateur »
D’après Solange Bandiaky-Badji, directrice du programme Afrique de RRI, les schémas de mise en œuvre économique des terres dont les communautés ne tirent pas profit « n’ont que peu de valeur voire aucune valeur du fait des conflits qu’ils génèrent. » D’où la nécessité de relever certains défis indispensables à l’instauration d’une ambiance sereine, comme l’indique le thème de la rencontre de Dakar : « Passer des risques et des conflits à la paix et à la prospérité en Afrique. »
 
Pour y arriver, Dr Cheikh Oumar Bâ, directeur exécutif d’Ipar, suggère de nombreuses pistes à l’autorité étatique: s’octroyer une marge de négociation suffisante avec les investisseurs, identifier les investissements utiles et porteurs de prospérité répartie équitablement entre les acteurs de terrain dont les communautés locales, partager les résolutions envisagées avec les entités de base, sans oublier le risque de tenure.
 
« Le gouvernement doit être un régulateur » au milieu de tous les acteurs concernés par la bombe foncière.
 
L’enjeu est de taille, selon le Pr Moustapha Sourang, président de la Commission nationale de réforme foncière (Cnrf), invité-vedette de la rencontre et selon qui 60% des contentieux judiciaires au Sénégal sont en rapport avec la terre.

 
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