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Chronique d’Albert : La banalisation de la réforme ronge le Sénégal

Jeudi 2 Mai 2019

Le Sénégal fait probablement partie des démocraties phares en matière de réformes. La réforme est devenue une manie mais sa banalisation a fini de vider, l’esprit et la lettre qu’elle porte. Elle se transforme en une véritable gangrène politique des institutions et de la société. On réforme pour faire plaisir au chef de l’Etat.
 
La volonté de l’ancien Président de la République, Abdoulaye Wade de procéder à une réforme en 2011, a secrété une réaction vive de franches significatives de  l’opinion publique nationale et internationale. La pression exercée sur le pouvoir libéral par les forces démocratiques et la société civile, ont conduit au retrait de la  loi soumise à l’Assemblée nationale. La révision n’a pas eu lieu.
 
Le coup d’arrêt à cette réforme contestée du Président Wade, au regard de ses motifs, ses fondements juridiques et politique, laissait penser que le Sénégal a tourné la page aux réformes abusives de la Constitution et des mécanismes de fonctionnement de l’administration publique. Près de treize touches sous le règne de la première alternance à la loi fondamentale, ont fini par banaliser la réforme de la gouvernance politique.
 
Cette manie de la réforme n’est point le propre de la première alternance. Le premier Président de la République, Léopold Sédar Senghor a réformé le régime politique après les événements de 1962. L’origine de notre Constitution fondamentale date de cette époque. Le Président- poète réformera à sa guise. L’article 35, constitution un de ces moments de réforme abusive.
 
En décidant de faire de son Premier ministre, son dauphin personnel, malgré la protestation de son opposition démocratique de l’époque, le Président Senghor a  ouvert, consciemment ou non,  l’ère des retouches de la Constitution, des lois, des mécanismes de la gouvernance. Le Président de la République, Abdou Diouf, ne se privera guère. Il va  réviser la Constitution. La volonté du Président de la République en exercice, Macky Sall de réformer la Constitution, est dès lors inscrite dans cette trajectoire historique mouvementée  de ces prédécesseurs.
 
Chaque Président de la République, sa marque constitutionnelle, son empreinte à travers ses réformes de la République, de l’administration publique nationale et locale. Le temps de la banalisation de la réforme semble avoir  sonné sous l’ère de la deuxième alternance. Bien des citoyens se questionnent au sujet des véritables motifs de la suppression du poste de Premier Ministre dans le contexte actuel et les conséquences à court, moyen et long terme.
 
Le Président de la République réélu en février 2019, entame un deuxième mandat. Il a la majorité parlementaire. Il a une coalition politique qui soutient son action depuis sept ans. La menace d’une stabilité du régime et de sa gouvernance, n’est pas à l’ordre du jour de l’agenda politique se dessinant à l’horizon des élections locales et les prochaines législatives. La banalisation de la révision de la Constitution, des lois régissant le code électoral se conjugue ainsi à la banalisation des réformes dans les secteurs fondamentaux, que sont,  l’administration publique, le système éducatif de base, moyen- secondaire et l’Enseignement supérieur. Même quand le Président de la République veut aller plus vite, il faut réformer. C’est désormais, le Fast-Fast.
 
Les réformes politiques se succèdent depuis le départ du pouvoir du Président- poète. Il est difficile aujourd’hui de prouver l’efficacité des réformes politiques, administratives et du système éducatif. La crise de l’autorité (étatique, administrative, éducative) amplifie le discrédit sur tout le système de la gouvernance de l’Etat et de l’éducation.
 
Que dire des réformes des codes de la route, des codes miniers, pétroliers, du code des marchés publics, de l’occupation de la rue publique, etc… ?  L’impact de ces réformes est peu évident. Jamais la corruption et les lourdeurs administratives et humaines, n’ont autant pesé  sur le fonctionnement et les résultats de la gouvernance politique, administrative et économique. La phobie de réformer secrète naturellement un sentiment partagé d’une inefficacité structurelle. Plus la hantise de réformer gagne les gouvernants, plus le Sénégal entre dans un cycle de perturbation et de discrédit de son Etat, de ses institutions, et de ses secteurs vitaux du développement. La réforme ronge la puissance publique et la société.
 
C’est ce malaise-là, qu’il faut oser diagnostiquer. La réforme relève plus du réflexe présidentiel, qu’une volonté réelle de changer  en réformant, l’état de la gouvernance publique, le fonctionnement de la société, les mentalités et le comportement des citoyens. L’esprit et la lettre de la réforme sont relégués au second plan. Ce qui intéresse le gouvernant, ce n’est point le changement effectif de la gouvernance et de la société. Ce qui guide nos  Présidents réformateurs, ce sont les images de marque personnelle du chef de l’Etat et les intérêts partisans.
Mamadou Sy Albert
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