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Afrique du Sud: petite ville contrainte de s'asseoir sur son énergie solaire

Jeudi 18 Mai 2023

L'histoire est insolite et fait enrager la petite ville sud-africaine de Frankfort, empêchée de jouir de sa production d'énergie solaire dans un pays plombé par les coupures de courant les plus graves de son histoire. 
 
Cette zone rurale à 140 km au sud de Johannesburg a commencé à utiliser de l'énergie produite localement en février, atténuant l'impact des délestages jusqu'à douze heures par jour que connaît le pays depuis la fin de l'an dernier.
 
Mais cela n'a pas été du goût de la compagnie publique Eskom, en position de monopole, qui a lancé un procès remporté le mois dernier sur un argument technique, obligeant les quelque 6.000 habitants de Frankfort à rester dans le noir comme tout le monde. 
 
"Ils ne parviennent pas à produire assez d'électricité mais nous empêchent d'utiliser celle que nous produisons, cela n'a aucun sens", s'agace Hans Pretorius, un agriculteur local. 
 
L'affaire, très locale, souligne la frustration de nombreux Sud-Africains face à la crise énergétique prolongée. L'opposition juge même qu'elle est emblématique des obstacles rencontrés par les entreprises privées qui cherchent à s'en sortir.
 
"S'ils ne nous autorisent pas à faire tourner notre exploitation solaire ou à utiliser notre propre électricité, nous n'avons pas le choix, nous devrons faire appel", affirme à l'AFP l'exploitant agricole. "C'est une question de survie". 
 
Les centrales au charbon qui fournissent 80% de l'électricité du pays le plus industrialisé d'Afrique sont à l'agonie: trop vieilles, mal entretenues, leurs budgets détournés par la corruption. Elles tombent sans cesse en panne. 
 
Le pays connaît des coupures quotidiennes depuis la période de Noël. Ces délestages programmés, en alternance par zones, coûtent plus d'un milliard d'euros par mois au pays en perte de production, selon le gouvernement. 
 
- Ubuesque et injuste -
 
Thando Keswa, propriétaire d'une épicerie dans un township jouxtant Frankfort, a été contraint de suspendre sa vente de plats à emporter. Son générateur lui coûtait trop cher. "A cramer du carburant, tu crames aussi tes profits", dit-il dépité.
 
Cette situation chronique et tant d'autres similaires ont incité des entreprises locales et des particuliers à s'unir pour investir l'équivalent de quelque 5 millions d'euros dans une installation solaire. Terminée en décembre, elle est exploitée par Rural Free State (RFS), filiale de l'entreprise privée qui gère le réseau de distribution pour la municipalité.
 
L'énergie supplémentaire a permis au distributeur de commencer à mettre en œuvre son propre calendrier de coupures d'électricité. Mais lors du procès, Eskom a soutenu que l'entreprise n'avait pas reçu l'autorisation de le faire.
 
Selon Eskom, l'énergie produite par les panneaux, pas suffisante pour couvrir intégralement les besoins de la ville, avait déjà été prise en compte dans le calcul des niveaux de délestage nécessaires et donc ne peut être utilisée pour les réduire. 
 
Si l'entreprise locale voulait le faire, elle devait utiliser l'énergie qu'elle avait stockée à titre préventif dans des batteries -dont elle ne dispose pas actuellement-, argumentait Eskom. 
 
Si Frankfort était autorisée à s'affranchir des horaires de coupure d'Eskom, d'autres pourraient être encouragés à faire de même, ce qui augmenterait "gravement" le risque d'effondrement du réseau national, a encore plaidé la société publique. 
 
RFS a ainsi été obligée d'éteindre certains panneaux photovoltaïques pour respecter les coupures programmées, gaspillant une électricité pourtant cruellement nécessaire. 
 
Le principal parti d'opposition, l'Alliance démocratique (DA), a accusé Eskom d'agir "comme un tyran de village", protégeant son monopole. "L'affaire de Frankfort illustre les tracasseries administratives contre les producteurs d'électricité indépendants". 
 
Une pétition en ligne a été lancée cette semaine demandant l'aide du gouvernement pour sortir de cette impasse. "Pourquoi, malgré tous nos efforts ici, devrions-nous souffrir autant que les gens qui ne font rien? Est-ce juste?", interroge Gugu Mokoena, directeur général de RFS. (AFP)
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