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Procès UBS: la défense de la banque prend l'eau

Mercredi 31 Octobre 2018

« Mais enfin ce n’est pas des élucubrations ! Les clients d’UBS qui sont passés par la cellule du fisc pour régulariser leur situation ont bien existé », s’énerva soudain Christine Mée, la présidente de la 32e chambre du TGI, rappelant les 3 983 clients d’UBS qui avaient régularisé leur situation auprès du fisc français pour un total de 3,7 milliards d’euros.
 
À la barre, Alain Robert (photo), vice-président de la division gestion de fortune d’UBS AG, venait une fois de plus de contester toute existence de clients français cachant leur fortune en Suisse, en ce début d’audience du 29 octobre. À l’entendre, cela n’avait jamais existé. Il n’y avait rien. Pas la moindre ombre d’un client fraudeur dans les comptes de la banque suisse. Cette dénégation permanente a commencé à énerver passablement la présidente du tribunal.
 
Depuis le début du procès, celle-ci avait laissé champ libre aux responsables de la banque suisse et à leur défense. Elle leur posait des questions très larges, leur laissait dérouler sans poser le moindre obstacle leur argumentaire très préparé : les personnes entendues à la barre avaient manifestement passé des heures à s’entraîner pour parer à toutes les questions gênantes, pour réfuter la moindre accusation, décrédibiliser toutes les pièces, tous les témoignages, tous les faits. Cette ligne de défense d’une banque au-dessus de tout soupçon semblait s’étioler.
 
Car lors de cette audience, le ton a changé. Reprenant leurs déclarations précédentes, les témoignages, les faits, la présidente a resserré son emprise sur le procès, précisant ses questions, pointant les hors-sujets. À de nombreuses reprises, elle a placé les dirigeants et la banque face à leurs contradictions. Et elles sont nombreuses.
 
Avant ce brutal rappel à l’ordre, Alain Robert en avait lui-même donné l’illustration. Pour prouver l’exemplarité d’UBS, il avait raconté toutes les procédures mises en place par la banque pour se conformer aux règles, l’adoption d’un code de déontologie en 2010, le renforcement des procédures en 2013, mentionnant au passage le départ de quelques dirigeants de la banque. Est-ce le fruit du hasard ? La banque a éprouvé le besoin d’imposer toutes ces nouvelles règles après le procès d’UBS aux États-Unis, où la société a été condamnée en 2009 pour participation à évasion fiscale, après la découverte des autorités allemandes, à partir de 2008, de listings de clients européens de la banque, adeptes de fraude fiscale.
 
Reprenant des témoignages reçus lors de l’instruction, la présidente commença à interroger Alain Robert sur les propos tenus par le témoin 119, racontant les pratiques de la banque pour cacher les fortunes en Suisse. Un témoin « peu crédible », s’empressa de déclarer le vice-président de la division gestion de fortune d’UBS, qui avait déjà été condamné. «  Comment savez-vous de qui il s’agit ? », interrogea la présidente avant de pointer que tous les témoins cités, à entendre les responsables d’UBS, étaient soit des nuls, soit des gens malhonnêtes, qu’ils avaient été licenciés pour faute, ou condamnés par la justice. «  Est-ce qu’il n’y aurait pas un problème de recrutement assez grave au sein d’UBS ? », ironisa la présidente.
 
L’attaque était manifeste. La stratégie de défense de la banque commençait à être percée à jour. Jean Veil, avocat d’UBS AG, éprouva le besoin de se lever pour venir s’asseoir au plus près de son client, muet mais s’imposant par sa seule présence comme gardien du temple. De l’autre côté, Denis Chemla, autre avocat d’UBS AG, portait le fer. Mais lui qui jusqu’à présent semblait avoir les coudées franches, intervenant à tout propos, répondant à la place de ses clients, dut sentir aussi que la situation avait changé. À plusieurs reprises, la présidente, le parquet, la partie civile représentant la direction générale des finances publiques, le rappelèrent à l’ordre, soulignant que les questions étaient posées à son client et non à lui. Il dut se taire.
 
Mais on ne change pas une stratégie de défense comme cela, au pied levé. Tout au long de l’audience, Alain Robert s’en tint à la ligne arrêtée, celle d’une banque exemplaire, qui n’avait jamais, ni de près ni de loin, participé à la moindre fraude fiscale, d’un dossier judiciaire vide bâti sur des pièces et des témoins peu crédibles. Il réfuta tout.
 
UBS n’avait jamais mis en place de dispositif pour inciter ses clients à la fraude fiscale, maintint Alain Robert tout du long de son audition. Les termes «  simple money » et « complex money » n’étaient pas utilisés par la banque. D’ailleurs, ce n’était pas ce qu’on croyait, ajouta-t-il. La terminologie « simple money » ne désignait pas des comptes non déclarés mais une gestion de fortune simple, comme l’assurance-vie. Celle de « complex money » ne visait pas les comptes déclarés mais une gestion plus sophistiquée des patrimoines.
 
Il en alla ainsi pour tout. L’argent transporté en Suisse dans des valises et réceptionné dans des hôtels suisses ? Un pur fantasme. La banque recevait de l’argent par « transferts bancaires traçables ». Les comptes gardés en banque restante pour les clients ? Il n’y avait là aucune volonté de cacher quoi que ce soit dans cette démarche. Il s’agissait juste de facilités pour les clients qui avaient choisi de domicilier leurs comptes à la banque parce qu’ils « voyagent ou qu’ils souhaitent rester discrets pour des raisons familiales ». Ou par simple commodité, « les clients pouvant recevoir des relevés tous les deux ou trois jours », faisant état des arbitrages faits par les gestionnaires de la banque. Une singularité dans le monde financier : celui-ci a depuis longtemps opté pour une mutualisation de la gestion de fortune – UBS y est un des leaders –, ce qui leur permet de ne faire un état de la situation que tous les trois mois, voire moins.
 
La banque est tout aussi exempte de tout reproche dans les montages compliqués de fortune. Il fut beaucoup question à l’audience du cas d’une famille qui, pour gérer un patrimoine d’à peine un million d’euros, avait créé une fondation au Liechtenstein avec deux sociétés interposées basées à Nassau (Bahamas) par l’intermédiaire d’une filiale de la banque, UBS Trustees. Le montage n’avait été constitué que pour des raisons de succession, selon Alain Robert.
 
Mais la banque n’avait jamais eu aucune volonté d’opacifier les circuits d’argent, de participer à la fraude fiscale. Les fondations à Vaduz (Liechtenstein), les trusts à Singapour, Jersey ou Guernesey, tous dans des paradis fiscaux, ce n’était que pour des raisons familiales, successorales, mais aucunement pour cacher quoi que soit. D’ailleurs, « il y a une entraide judiciaire désormais. La Suisse répond à toutes les demandes », insista le vice-président d’UBS. « Et comment fait-on quand on n'a aucune information, que toutes les sociétés interposées empêchent de connaître le bénéficiaire réel ? », ne put s’empêcher de relever Eric Russo, procureur adjoint représentant le parquet national financier.
 
Très remonté, Eric Russo passa lui aussi à l’attaque. D’abord, il cita un document échangé entre différents chargés de clientèle basés entre la Suisse et l’Allemagne, associant explicitement le terme “simple money” à des comptes offshore non déclarés, parlant de 99 % de comptes non déclarés pour la France « Ce document n’a aucune valeur. Il n’a pas d’en-tête UBS », répliqua Alain Robert, manifestement très au fait de la procédure judiciaire. Les chiffres étaient faux.
 
Alors, le procureur adjoint en sortit un second, avec un logo d’UBS cette fois. Il contenait les mêmes termes, les mêmes chiffres, faisait les mêmes associations entre comptes offshore et la “simple money”, mentionnait les flux financiers pour la France. Une fois de plus, Alain Robert dénia. Ce document n’avait aucune valeur, les caractères n’étaient pas les mêmes. Et puis, dans quel but avait-il été fait, par qui ?
 
 « En quoi ces chiffres vous posent un problème puisque vous dites que cet argent, ce “simple money”, n’est lié qu’à une gestion simplifiée. Pourquoi remettre en cause ces statistiques ? », interrogea le procureur. Alain Robert était de nouveau face à ses contradictions. Il ne sut que répondre.
 
Son avocat, Denis Chemla, tenta de renverser le cours des choses. L’accusation parlait de fraude massive, de stratégie volontaire de la banque pour faciliter l’évasion fiscale de ses clients français. Mais où étaient-ils, ces clients non déclarés ? interrogea l’avocat avant d’insister sur les recherches menées par la banque : 423 clients d’UBS avaient soi-disant été identifiés lors de l’instruction grâce aux fichiers retrouvés, six seulement avaient des comptes non déclarés. « Est-ce cela le système global d’UBS ? Ces chiffres sont-ils le signe d’une industrialisation massive de fraude fiscale ? », demanda-t-il à son client.
 
 « Non, bien sûr », s’empressa de répondre Alain Robert. Mais les dénégations du vice-président d’UBS ne portaient plus. Quelque chose est cassé dans la ligne de défense de la banque suisse.
 Mediapart

 
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