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Lettre à Salvini d’une immigrée africaine : «Votre air méchant, gardez-le pour les puissants qui occupent ma maison»

Vendredi 11 Janvier 2019


« J’ai vu votre visage hier au journal télévisé. Coloré des couleurs de la rage. Votre voix, ensuite, était totalement imprégnée de la saveur amère du fiel. Vous avez dit, pour nous qui sommes ici sur votre terre, que la « belle vie » était finie. Vous nous accusez de vivre dans le luxe, volant le pain des gens de votre pays. Encore une fois j’ai ressenti la morsure atroce de la peur...

Qui suis-je ? Je ne vous dirai pas mon nom. Les noms, pour vous, compte pour peu. Rien. Je suis un de ceux que vous appelez avec mépris des « clandestins ».

Je viens d’un pays, le Nigeria où bien peu nombreux sont ceux qui ont « la belle vie » et ce sont tous de vos amis. Je le dit tout de suite. Je ne suis pas une victime de Boko Haram. Dans ma région, le Delta du Niger ils ne sont pas arrivés. Je suis une exilée économique, comme vous dites, une de ces personnes qui n’ont aucun droit à venir en Italie ou en Europe.

Connaissez-vous le Delta du Niger ? Je ne crois pas. Pourtant à chaque fois que vous montez en voiture vous pouvez le faire grâce à nous. Une partie de l’essence que vous utilisez vient de là.

Moi, je vivais à la périphérie de Port Harkourt, la capitale de l’état du Delta du Niger. Une des capitales pétrolifères du monde. Je vivais avec ma mère et mes frères dans un taudis et le soir pour avoir un peu de lumière on brûlait des chandelles. Nous comme la majorité des gens qui vivent là.

C’est dur de vivre par chez moi. Très dur. Un enfer quand tu es une fille. Et moi j’étais une fille. Tout se paie. Tout. Si tu n’as pas d’argent tu ne vas pas à l’école et tu ne peux pas te soigner. Les hôpitaux et les écoles publiques ne fonctionnent pas. Et même là, de toute façon, si tu veux faire semblant d’étudier ou de te soigner, tu dois payer. Et comment tu fais pour payer si du travail il n’y en a pas ?
 
La faim, la misère, le désespoir et l’absence de futur, c’est cela notre pain quotidien.
Déjà je vous vois grimaçant. Et près à dire que ça ne regarde que moi, pas vrai ?
Ça vous regarde au contraire

Mon pays, la région où je vis, devrait être richissime du fait que nous sommes parmi les plus grands producteurs de pétrole au monde. Et au contraire, non. Ce pétrole enrichit quelques familles de politiciens corrompus, remplit vos banques du fruit de leurs escroqueries, maintient en vie votre économie et vos entreprises.

Mon pays a été la proie de nombreux coups d’État. Sont arrivés au pouvoir, étrangement, toujours des personnages obéissant aux quatre volontés des grandes compagnies pétrolières de votre monde, de votre pays aussi. Vous avez pu, ainsi, payer un prix ridiculement bas pour tout ce que vous emportiez. Et ce que vous emportiez, c‘était notre vie.

Vous l’avez fait avec arrogance et férocité. Votre civilisation et vos droits humains ont pollué et détruit la vie dans le Delta du Niger et pendu nos meilleurs hommes. Vous rappelez-vous de Ken Saro Wiwa ? C’était un jeune poète qui demandait justice pour nous. Vous l’avez fait suspendre en haut d’une fourche…

Vos entreprises, luttant les unes contre les autres, ont alimenté la corruption la plus extrême. Vous avez acheté des ministres et des fonctionnaires publics uniquement pour vous assurer une partie de nos richesses.

L’Eni, l’Agip, celles-là, vous les connaissez. Elles sont accusées d’avoir versé des sommes à faire peur dans ce sale jeu. Avec cet argent nous aurions pu avoir des écoles, des hôpitaux. A la maison, le soir, je n’aurais eu nul besoin de chandelle…
Je serais resté, là, chez moi, dans ma terre.

J’aurais fait l’économie de vivre le voyage « de rêve » que fut la traversée du désert. D’être rançonnée par les soldats à chaque frontière et par les trafiquants. D’être violentée de nombreuses fois durant le voyage. J’aurais volontiers fait sans les prisons libyennes, les nuits passées debout faute de place suffisante pour dormir, de l’eau sale et du pain sec qu’ils te donnaient, des viols permanents qu’ils m’ont fait subir, des hurlements stridents de ceux qu’on était en train de torturer.

Je me serais bien passé de votre hospitalité. Dans votre pays beaucoup de filles comme moi n’ont comme seule destin que la prostitution. Vous le savez. Et vous ne faites rien contre notre esclavage au contraire, vous l’utilisez pour vous défouler de votre bestialité. J’ai réussi à échapper à cette horreur, mais j’ai été esclave dans vos champs. J’ai ramassé vos tomates, vos pommes, vos oranges en échange de menu monnaie et de beaucoup d’humiliation.

Encore une fois, la « belle vie », c’est vous qui l’avez eue. Sur notre peau. Sur nos vies. Sur nos pauvres rêves d’une vie juste un peu meilleure.

Je vois que je n’ai jamais prononcé votre nom. Je m’en excuse, mais il me fait peur. De celle pour l’injustice de qui sait prendre un air méchant envers les faibles, mais sait toujours sourire aux puissants.
 
Vous voudriez que nous retournions chez nous ? Parlez à vos puissants, à ceux des autres pays qui occupent de fait ma maison, la maintiennent dans un état de guerre empoisonnée et jamais déclarée. Si vous avez un peu de dignité et de courage, votre air méchant, c’est à eux qu’il faut le montrer »
 
(Blogs Médiapart)
https://blogs.mediapart.fr/eugenio-populin/blog
 
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