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Jean-François Bayart : « Que le terme plaise ou non, il y a bien une islamophobie d’Etat en France» (Tribune dans Le Monde)

Samedi 31 Octobre 2020

La dénonciation de « l’islamo-gauchisme » repose sur une méconnaissance confondante de l’histoire et révèle la consolidation d’un « républicano-maccarthysme » au cœur même de l’Etat et des médias, accuse le professeur de sociologie politique dans une tribune au « Monde ».


Tribune. Au lendemain des attentats de 2015, j’avais publié un petit essai, Les Fondamentalistes de l’identité (Karthala, 2016), dans lequel j’exprimais ma crainte de voir la France prise en otage par l’inimitié complémentaire entre salafistes et laïcards. Nous y voilà. L’effroi, le dégoût et la colère qu’inspirent l’assassinat de Samuel Paty et l’attentat de Nice offrent un effet d’aubaine aux idéologues qui s’arrogent le monopole de l’indignation et de la définition de la République.
 
La dénonciation de « l’islamo-gauchisme » trahit un manque de securitas, cette tranquillité d’esprit que les stoïciens revendiquaient face au danger, et qui est l’antipode de la panique sécuritaire
 
Que le terme plaise ou non, il y a bien une islamophobie d’Etat en France, dès lors qu’un ministre de l’intérieur déclare, à propos des « Auvergnats » bien sûr, que « quand il y en a un, ça va », et que « c’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes » [phrase prononcée par Brice Hortefeux en 2009], au cours d’un quinquennat qui institue un ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale
 
« Le professeur que je suis éprouve d’un sentiment de colère devant l’hypocrisie d’une élite politique qui, soudain, redécouvre l’enseignant »
 
Il y a bien une islamophobie d’Etat lorsque sa police pratique une discrimination certes illégale, mais systémique, à l’encontre d’une partie de la jeunesse assignée à ses origines supposées musulmanes. Cet Etat n’est pas « neutre entre les religions », comme le souhaitait l’écrivain Ernest Renan [1823-1892]. Il n’a cessé, ces dernières décennies, de valoriser le christianisme et le judaïsme en développant une laïcité dite « positive » à leur égard, et de vouloir se subordonner politiquement l’islam pour le contrôler sous prétexte de l’éclairer.
 
Il y a aussi une islamophobie capitaliste lorsque de grandes chaînes privées font preuve de tant de complaisance à l’égard de chroniqueurs dont la haine de l’islam est le fonds de commerce.
 
Méconnaissance de l’histoire
 
Il n’est pas vrai qu’expliquer est justifier. C’est se donner les moyens d’une politique. S’en tenir à l’«islam », c’est souvent oublier d’autres facteurs. Par exemple celui de la guerre : Al-Qaida est née de celles d’Afghanistan contre l’armée soviétique (1979-1992) et de la première guerre du Golfe (1990- 1991) ; Daech est née de l’occupation américaine de l’Irak, en 2003. S’interdire de le savoir, c’est remonter la machine du dieu Mars en ignorant, par exemple, que le djihadisme au Sahel nous parle moins de l’islam que d’une crise agraire. Aucune opération « Barkhane » [nom de la force française antidjihadiste au Sahel] n’apportera de solution à ce problème.
 
La dénonciation de « l’islamo-gauchisme » repose sur une méconnaissance confondante de l’histoire. En ce sens, ceux qui le pourfendent sont bien la symétrie idéologique des fondamentalistes musulmans. Les uns s’inventent la Médine du Prophète de leurs rêves, les autres la IIIe République de leur passion. Outre qu’il est amusant de voir invoquer, pour « protéger les femmes de l’islam », une République qui leur a refusé le droit de vote, la conception « intransigeante » de la laïcité est un contresens. Les Pères fondateurs de la IIIe République s’en faisaient une idée « transactionnelle », récusaient l’« intransigeance », voulaient le « consensus », à l’instar de Gambetta [1838-1882]. (Re)lisez vos classiques, Manuel Valls !
 
Colère devant l’hypocrisie de l’élite politique
 
Et notamment la Lettre aux instituteurs (1883) de Jules Ferry, dans le respect que nous devons à Samuel Paty et la répugnance que nous inspire son assassin. « Avant de proposer à vos élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s’il se trouve, à votre connaissance, un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire », écrivait le fondateur de l’école publique.
 
Mais écoutons aussi son contradicteur, non moins républicain, Jules Simon [1814-1896], qui préférait à l’école publique l’instruction publique, éventuellement confiée aux familles ou à l’Eglise : « Nous croyons qu’une école est assez neutre si elle permet à un athée qui s’y trouvera par hasard, sur cent élèves croyants, de sortir pendant qu’on explique leur croyance aux quatre-vingt-dix-neuf autres ». Les hommes politiques de la IIIe République avaient une pensée autrement plus subtile et profonde que celle de ces fondamentalistes contemporains. La IIIe République était la République des professeurs, et non celle des managers.
 
Remise en cause de la liberté de pensée
 
L’affliction qu’éprouve le professeur que je suis, devant tant d’ignorance, s’accompagne d’un sentiment de colère. Colère devant l’hypocrisie d’une élite politique qui, soudain, redécouvre l’enseignant et le met au cœur de son dispositif, comme elle l’a fait il y a six mois avec les infirmières, mais n’a cessé depuis quarante ans de malmener financièrement et idéologiquement l’hôpital et l’école. Colère devant le viol de la loi du 26 janvier 1984 – qui garantit aux enseignants et aux chercheurs, dans son article 57, « une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions » – par Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, quand il s’en prend aux « ravages » de l’islamo-gauchisme « à l’université ».
 
Colère encore devant le vote par le Sénat, dans la nuit du 28 octobre, d’un amendement au projet de loi de programmation de la recherche (LPR) qui conditionne l’exercice des libertés académiques au « respect des valeurs de la République ». Cette dernière notion n’a jamais fait l’objet d’une définition juridique ou réglementaire. La rendre opposable à l’exercice des libertés académiques reviendrait à subordonner celles-ci aux pressions de l’opinion ou du gouvernement. L’amendement contrevient d’ailleurs au principe d’indépendance des universitaires, intégré au bloc de constitutionnalité après la décision 93-322 DC rendue par le Conseil constitutionnel, le 28 juillet 1993.
 
La dénonciation de l’islamo-gauchisme n’est que la remise en cause de la liberté de pensée. Elle révèle la consolidation d’un républicano-maccarthysme au cœur même de l’Etat et des médias. Elle signale un mouvement de fond, une sorte d’« apéro pastis » qui, tout comme le mouvement du Tea Party aux Etats-Unis, pave la voie à un avatar hexagonal du trumpisme.
 
Le Monde
Jean-François Bayart,
professeur de sociologie politique à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID, Genève), dernier ouvrage paru : « L’Illusion identitaire » (Fayard, 2018).
 
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1.Posté par saulnier le 02/11/2020 16:24
Enfin ! on entend un autre avis concernant ces crimes commis à Conflons ou à Nice. Je pourrais écrire quelques centaines de lignes pour justifier ma position "je ne suis pas Charly". Je vais me limiter à 2 remarques. D'abord, il est anormal que la langue arabe soit si peu enseignée en France. Cela valoriserait les jeunes musulmans. Sur le plan purement économique, ce ne serait également pas mal. Enfin je me demande qui dans les lycées apprend l'arabe (des jeunes beurs, des jeunes franco-français de familles éclairées ou commerçantes internationales ?)
Autre opinion : non les caricatures ne sont pas obligatoirement du deuxième degré. "C'est dur d'être aimé par des cons", affirmait Cabu qui savait que les lecteurs de Charly étaient pour beaucoup des "beaufs". Avec mes sentiments les meilleurs - Raymond Saulnier

2.Posté par Me François JURAIN le 11/11/2020 21:20
Oui, bien sur, il existe bien une islamophobie en France, et c'est tant mieux! Pourquoi la FRANCE, pays laic, à tendance catholique, il faut savoir le reconnaitre, tout comme le sénégal (et d'autres) sont laics à tendance musulmane: et où est le problème? Qu'est ce qui vous gène? Les musulmans qui veulent pratiquer leur religion en FRANCE le peuvent et le font sans problème, et ils ne s'en plaignent pas, au contraire. Pourquoi voudriez vous que la FRANCE, pays laic, comme déjà dit, républicain, pays de droit, se plie aux exigences d'un islam rigoriste, et appplique la Charia? Si les preceptes d'une république islamiste vous plait tant, Monsieur le Professeur, vous avez le choix, et partez y vite!!!
Je commence àen avoir plus qu'assez, de ces discous de salon,mi gauchiste, mi intellectuelles, et surtout d'une connerie sans limite. iL serait grand tant de distinguer l'islam, dont la traduction veut dire "soumettre", avec la rligion musulmane, basée sur le coran, livre de tolerance s'il en est, que pratique sans aucun problème des millions et des mmillions d'individus, sur tous les coins du globe.
L'islam extremiste est à proscrire, à combattre, et à éradiquer. Pour la simple raison, c'est qu'une branche des musulmans, à la mort du prophète, a juré d'imposer sa loi à une autrebranche, fidèleau coran et aux sources même de cette religion. Cela dure depuis le 14° siècle, et ce n'est pas nouveau! Citez moi un seul pays au monde, ou, passez moi l'expression, il n'y a pas le bordel, et qui n'est pas un pays islamiste? Les musulmans sont des gens paisibles, religieux, trop à mon avis mais ce n'est que mon avis, mais qui n'ont jamais proné la violence, l'égorgement, et autres joyeusetés! dire que la FRANCE combat cet islamisme là me rendrait fier d'être français, et j'espère bien que ce combat continuera, afin de permettre aux vrais musulmans, passifistes, s'il en est, ouverts d'esprit, tolerants, de pouvoir pratiquer leur religion en toute sérénité et dans la tolerane pronée par le coran.
Car, en filigramme, et il ne faut pas se le cacher, c'est une guerre entre les chiite et les sunistes, et rien d'autre.
Alors, oui, j'espère bien que le monde entier,et la FRANCE, combattrons cette forme d'islamisme, qui n'a rien àvoir avec la religion musulmane, qui elle, est respectable et peut être assurée, qu'en FRANCE, elle pourra continuer de vivre sa foi entoute sérénité, comme et à côté des autres religions.
Votre discours, qui se veut intellectuel et ne l'est pas, sème le doute, et certainement pas le trouble, car les esprits sains et pleins e bon sens, ne s'y laissent pas prendre; si vous voulez vivre dans une république islamiste, ne vous génez pas, mais ne tenez pas ces discours de salon dans votre appartement feutré d'un arrondissement cossu de PARIS, s'il vousplait! la chose est trop importante pour trouver des défenseurs de piètre qualité tel que vous.
Me François JURAIN

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