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France : un enfant de 10 ans questionné pour apologie du terrorisme : « Jusqu'où irons-nous ? »

Mercredi 1 Novembre 2023

Alors que les combats meurtriers se poursuivent depuis plus de trois semaines au Proche-Orient entre l'armée israélienne et des factions palestiniennes, la question de l'apologie du terrorisme fait la Une des journaux et de l'agenda politique en France.

 

Après le lancement d'enquêtes judiciaires contre un parti politique [1], une députée [2], deux syndicalistes [3] et un footballeur [4] pour "apologie du terrorisme", le média « Blast » a rapporté mercredi dernier le cas d'un enfant de 10 ans interrogé pendant trois heures par la Gendarmerie à Canet-en-Roussillon (Pyrénées-Orientales) suite à une décision du parquet de Perpignan.

 

Comme le rapporte le site d'information en ligne, "tout est parti d’une question posée en classe par un môme qui s’est peut-être mal exprimé, ou a pu être mal compris. L’école l’a signalé et les autorités en ont fait l’un des plus jeunes suspects jamais entendus pour apologie du terrorisme".

 

Anadolu a interrogé Maître Ilyacine Maallaoui, avocat de la famille du jeune enfant auditionné par la gendarmerie pour une question posée à l'école, lors d'un hommage rendu au professeur Dominique Bernard, ainsi qu'au professeur Samuel Paty, tous deux assassinés par des terroristes.

 

- Un enfant traumatisé

 

L'avocat souligne d'abord qu'il "s'agit d'une procédure dans laquelle on a un jeune garçon de 10 ans et 2 mois, qui est auditionné suite à un signalement de l'école pour une question relative aux caricatures et à la mort du professeur Samuel Paty".

 

"La question posée par l'enfant de 10 ans et 2 mois (et c'était bien une question, nous sommes dans l'interrogation) est de savoir s'il y a un lien entre ces caricatures et la mort du professeur", ajoute Maître Ilyacine Maallaoui, qui fait ensuite état d'une possible "panique du professeur qui estime qu'il est nécessaire de faire remonter cela au directeur de l'établissement et ensuite, la sphère pénale s'en empare. En tout cas, c'est le Procureur qui demande à ce que la maman soit entendue avec son enfant de 10 ans".

 

Estimant que la réponse pénale n'était "peut-être pas nécessaire", l'avocat s'"interroge sur la frontière qui existe entre d'une part l'Éducation nationale et d'autre part l'institution judiciaire.

 

"Je crois qu'un enfant de 10 ans n'est pas forcément informé ou détenteur des tenants et aboutissants juste pour connaître ce qu'est l'infraction d'apologie du terrorisme. Faire en sorte qu'il doive s'expliquer sur une chose dont il n'a ni la teneur de la connaissance, ni-même l'impression coupable d'avoir fait quoi que ce soit, je trouve que c'est extrêmement violent", souligne l'avocat qui indique que "l'enfant est traumatisé à ce jour".

 

"Il faut pouvoir s'expliquer avec ses camarades de classe le pourquoi du comment on est entendu trois heures auprès d'une gendarmerie".

 

Le conseil salue néanmoins la réponse judiciaire "de sagesse [...] de ne pas poursuivre cet enfant de 10 ans", tout en soulignant que "le mal est fait puisque vous avez un enfant de 10 ans qui a été entendu pendant trois heures par des gendarmes pour une infraction qui est à des années lumières de sa réflexion d'enfant de 10 ans".

 

Maître Ilyacine Maallaoui s'interroge également sur les questions posées à l'enfant lors de son audition à la gendarmerie.

 

"Lorsque l'on entend un enfant de 10 ans en lui demandant quelles sont ses pratiques [religieuses], s'il jeûne, s'il prie, si on regarde la télévision algérienne à la maison, etc., je crois qu'on est très sincèrement loin des impératifs qui sont les nôtres [...] de sécurité et de liberté", estime-t-il, avant de souligner la nécessité de ne pas "renier sur nos droits fondamentaux".

 

"En décidant d'entendre et de procéder à l'audition d'un enfant de 10 ans pour une telle question, je crois qu'il y a clairement une ligne qui est franchie et je ne vous cache pas que je suis très angoissé à l'idée de me dire que ça pourrait devenir quelque chose de routinier", ajoute le conseil.

 

- "Jusqu'où irons-nous"

 

Interrogé par Anadolu sur la répétition de ce type de procédures judiciaires contre des enfants [5], Maître Ilyacine Maallaoui estime que "c'est extrêmement inquiétant".

 

"Je le dis avec la gravité qu'impose une telle procédure. c'est extrêmement grave ! Vous savez, il y a une très belle phrase qui dit que 'les petits abandons entraînent les grands', et je crois que nous ne devons pas laisser ce genre de choses devenir quelque chose de coutumier. Je crois que c'est extrêmement grave d'entendre un enfant de 10 ans, surtout quand ses propos ont été des propos de nature interrogative et je crois, en réalité, que l'institution judiciaire se fourvoie à avoir de telles réponses", estime-t-il.

 

Et l'avocat de poursuivre : "Nous sommes évidemment tous d'accord pour dire que nous devons lutter contre le terrorisme sous toutes ses formes : dans sa manière financière, dans sa manière matérielle... sous toutes ses formes. Ce que je dis néanmoins, c'est que je ne suis pas certain que ce soit le meilleur signal qui soit envoyé d'entendre un enfant de 10 ans dans ces conditions, suite à de tels propos [interrogatifs]".

 

"Ce qui est inquiétant dans ce dossier, contrairement à d’autres affaires dans lesquelles des enfants mineurs très jeunes avaient été entendus, c’est le caractère non équivoque des propos tenus par l’enfant. Qu’une simple question puisse entraîner une telle réaction procédurale pousse le raisonnement vers la voie de l’incompréhension. Il est évident que dans la lutte contre le terrorisme, il est nécessaire d’intervenir en amont, de faire preuve de prévention, de discerner objectivement les éléments factuels devant attirer le regard des autorités. Mais la raison doit également bénéficier d’une large place dans ce schéma. Que des poursuites pénales ne soient pas engagées, c’est quelque chose d’évident dans cette affaire, mais le mal est fait. Une seule question se pose alors face à ce dossier qui m’inspire de grandes inquiétudes : jusqu’où irons-nous ?", conclut l'avocat.


- Un enfant a le droit de poser une question

 

Interrogé par Anadolu sur les diverses poursuites judiciaires engagées notamment par le gouvernement contre des organisations ou personnes pour « apologie du terrorisme », le député Gauche démocrate et républicaine (GDR), Pierre Dharréville indique tout d'abord qu'il "faudrait étudier chacun pour ce qu'il représente".

 

"Ce qu'on constate de la part du gouvernement, c'est, de toute manière, une façon de mener le débat politique qui est problématique, et une volonté de fermer les espaces d'expression de manière générale. Les plaintes répétées de Gérald Darmanin s'inscrivent dans cette démarche. Je ne peux que constater cela et le déplorer", ajoute-t-il.

 

Indiquant ne pas avoir eu connaissance du cas de cet enfant retenu par la police et prenant des précautions sur sa réponse, le député souligne qu'un "enfant a le droit de poser une question à ses professeurs dans une classe sans que la police ne soit la réponse apportée".

 

"L'école, c'est aussi le lieu où on doit pouvoir poser ces questions, réfléchir, avec des adultes qui sont formés à ça, qui sont là pour ça, et dont le travail éducatif est le métier".

 

Également interrogé par Anadolu, le député Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires (LIOT), Benjamin Saint-Huile souligne que le groupe LIOT est en solidarité avec la vigilance et la fermeté face aux "dérapages au moment de la minute de silence et de l'honneur fait à l'enseignant, ajoutant que "c'est une nécessité absolue".

 

"Sur le fond de comment doit être classée l'affaire [de l'enfant interrogé par la Gendarmerie], s'il y a des suspicions dans la cellule familiale, c'est à l'ensemble des acteurs de vérifier la situation de la cellule familiale. On ne peut pas considérer qu'on découvre une situation de difficulté, au moment d'un hommage, puisque, là où il peut y avoir un certain nombre de difficultés, ça nécessite un suivi social des familles, ça nécessite une vigilance de la communauté éducative", indique le député du Nord.

 

"Ensuite, qu'il puisse y avoir un certain nombre de décisions qui sont prises par l'Éducation nationale, pourquoi pas ? Je n'ai pas connaissance de ce que vous évoquez concernant cet enfant, mais on y sera attentif. Un enfant de 10 ans ne peut pas être en situation de devoir répondre à la police sans qu'il y ait un cadre qui le mette en situation de protection", estime Benjamin Saint-Huile. [AA]

Notes :

1. France: un rassemblement du NPA en solidarité avec le peuple palestinien interdit dimanche à Paris, Anadolu, le 14 octobre 2023

 2. France : Darmanin saisit la justice contre la députée Obono pour "apologie du terrorisme", Anadolu, le 17 octobre 2023

3. France: Deux responsables syndicaux arrêtés pour « apologie du terrorisme », Anadolu, le 20 octobre 2023

4. Guerre Hamas-Israël : l'international algérien Youcef Atal suspendu sept matchs, Anadolu, le 26 octobre 2023

5. France : 4 enfants de 10 ans "terrorisés" par la police pendant 11h pour "apologie du terrorisme", Anadolu, le 5 novembre 2020

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