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Consolidation de l’Etat de droit au Sénégal - La partition des journalistes en question

Jeudi 1 Septembre 2022

Le journaliste-formateur Ibrahima Bakhoum (G) et Alioune Tine d'Afrikajom Center au "Déjeuner juridique" de la Fondation Konrad Adenauer
Le journaliste-formateur Ibrahima Bakhoum (G) et Alioune Tine d'Afrikajom Center au "Déjeuner juridique" de la Fondation Konrad Adenauer
Les journalistes, un 4e pouvoir au Sénégal ? Lubie, a répondu Ibrahima Bakhoum. « La presse ne peut et ne doit être un 4e pouvoir. Elle doit plutôt être un contre-pouvoir, surtout dans un pays où il y a collusion entre l’Exécutif, le Législatif et le Judiciaire. » En lieu et place de cet attribut de puissance aux origine problématiques, Bakhoum, doyen dans la profession et formateur depuis plusieurs décennies, est aujourd’hui davantage enclin à partager avec ses jeunes confrères les expériences historiques des « 4 mousquetaires » de la presse sénégalaise que furent Sud, Walfadjri, Le Cafard Libéré et Le Témoin. A ses yeux, le véritable rôle de la presse dans une démocratie pluraliste, c’est « éveiller les consciences et fabriquer des opinions tout en restant vigilante sur la gestion des affaires publiques. » Les journalistes sont-ils encore dans ce sacerdoce ?
 
La question est restée ouverte, même après le « Déjeuner juridique » organisé ce 31 août par la Fondation Konrad Adenauer (KAS) avec les journalistes et leurs organisations professionnelles autour du thème « Le rôle de la presse dans la consolidation de l’Etat de droit. » Mais pour Ibrahima Bakhoum, des certitudes ont pu émerger. Comme celle-ci : « quand la presse devient corrompue, elle n’est plus d’aucun secours à l’Etat de droit », celui-ci étant alors compris comme le garant de la justice pour tout le monde et pour chacun.  « Le peuple a besoin que l’on respecte ses droits », a-t-il ajouté. Selon Alioune Tine, président-fondateur de l’ONG Afrikajom center, « l’Etat de droit, c’est le respect du droit. Si on instrumentalise le droit, on instrumentalise aussi les agents du droit. »
 
« Quand la presse est corrompue… »
 
Pourtant, les qualités de la presse sénégalaise n’ont pas été occultées par les participants. Le concours déterminant des journalistes à l’issue heureuse de la première alternance de 2000 a été rappelé. De même que l’institutionnalisation du « breaking news » autour des résultats sortis des bureaux de vote à toutes les grandes élections dont les législatives du 31 juillet dernier.
 
A ce titre, Ingo Badoreck, directeur du « Bureau Etat de droit en Afrique subsaharienne francophone » de la Fondation Adenauer, a relevé que « la presse est dans une évolution positive qui exige également une responsabilité fondamentale » dans le traitement des informations à sa disposition. Mais une inquiétude s’est faite jour.
 
« En tant qu’observateur extérieur, j’ai la nette impression que la presse sénégalaise est fortement politisée », a lâché Ingo Badoreck.
 
Cette impression découlerait en partie de l’extrême foisonnement de journaux, de radios et de sites internet d’informations dont la valeur ajoutée à la consolidation de l’Etat de droit n’est pas évidente. « Derrière une ligne éditoriale, il y a toujours une cause », a souligné, cru, Alioune Tine. « On semble assister au retour en fanfare d’une presse aux mains de politiciens » désireux d’assurer leur propre promotion que de consolider la démocratie et l’Etat de droit dans notre pays, a ajouté Tine, par ailleurs expert indépendant des Nations-Unies sur la crise malienne. 
 
Secrétaire général du Syndicat des professionnels de l’information et de la communication sociale (Synpics), Bamba Kassé a prolongé la réflexion en se demandant « qui sont derrière ces médias » ? L’apparition de ces nouveaux acteurs d’un certain type d’information est de nature à infliger aux journalistes professionnels une certaine concurrence, en particulier dans la collecte d’informations. « Nous n’avons plus le monopole de la collecte d’informations, mais nous collectons différemment », a rappelé le patron du Synpics.
 
Monopole perdu mais…
 
Du reste, cette tendance des politiciens à s’offrir des médias à leurs bottes, même si elle est de nature à brouiller certains repères au sein de la corporation des journalistes, ne saurait être un frein à l’expression des opinions et idées si tant est qu’elle est « assumée », soulignent les journalistes Mamadou Thior et Mamadou Alimou Bâ. L’exemple de la Côte d’Ivoire a été ainsi cité où la plupart des chapelles politiques, notamment les plus remarquables (RDR, FPI, PDCI, etc.), détiennent leurs propres journaux.
 
« Les médias sénégalais sont en crise, à l’image de notre démocratie. Il y a des gens qui n’ont pas intérêt à ce que les choses changent et bougent positivement dans la presse », s’est indigné Ibrahima Lissa Faye, président de l’Association des éditeurs et professionnels de la presse en ligne (Appel). Il a dénoncé les blocages systématiques de l’Etat face aux propositions multiples visant à donner un nouveau visage à la presse sénégalaise. Au-delà des mutations attendues du CNRA et de l’actuel système d’aide à la presse, Ibrahima Lissa Faye s’est ému par ailleurs du refus des autorités de labéliser une presse en ligne pourtant considérée comme un secteur en dérive au Sénégal.
 
Journalistes précarisés
 
L’Etat du Sénégal serait-il un saboteur patenté des ambitions qu’ont les journalistes de passer un cap et, surtout, de s’ériger en véritables gardiens de l’Etat de droit au Sénégal ? « Quand les journalistes restent des journalistes, l’Etat de droit a plus de chance d’être consolidé », se convainc Bamba Kassé.
 
Au quotidien, les politiciens enfreignent les lois et s’abritent ensuite derrière leur pouvoir pour ne pas être inquiétés par la…loi. En même temps, des franges entières de la presse se retrouvent fragilisées dans l’exercice de leur profession. Pour elles, note Bakhoum, « la précarité se vit (alors) au quotidien, quand la multiplication des titres (de journaux), la bousculade sur la bande FM et l’audiovisuel ouvert à tout investisseur intéressé, ont donné naissance à une race d’acteurs dans les médias. »
 
Ce dépérissement du journalisme et des professionnels qui l’animent peut-il s’accommoder du principe d’Etat de droit et de la surveillance des actes que posent les gouvernants dans un environnement sociopolitique fortement structuré autour de l’inexistence d’une loi d’accès à l’information ? « Lorsque les journalistes sont dans la précarité, ils finissent par se vendre aux plus offrants », avertit Ibrahima Bakhoum.
 
 
 
 
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