Suite à l’annonce, par le Premier Ministre M. Ousmane SONKO, de la perspective de lancement de Sukuk par le Gouvernement et la mention, dans le rapport de la Cour des comptes de février 2025, d’un « reliquat de 114,4 milliards de F CFA de l’emprunt obligataire (Sukuk SOGEPA) de 2022 non versé au Trésor public », les Sukuk ont suscité la curiosité de nombreux Sénégalais.
C’est quoi Sukuk ?
Selon le RÈGLEMENT N° 10 /2022/CM/UEMOA relatif aux titres financiers islamiques, aux sociétés d’émission de Sukuk autogérées et aux fonds d’émission de Sukuk dans l’UEMOA, les Sukuk sont des titres financiers conformes aux règles de la finance islamique qui peuvent prendre soit la forme de certificats de copropriété soit la forme de certificats d’investissement. Ces certificats confèrent aux investisseurs respectivement un droit de copropriété sur des actifs conformes ou un droit sur les revenus d’activités conformes selon le droit musulman.
Du point de vue de l’investisseur, Sukuk est un véhicule d’investissement lui permettant d’avoir un retour sur investissement halal. Tandis que pour l’initiateur (Etat ou entreprise), il s’agit d’un instrument de la finance islamique qui permet de mobiliser des ressources sur le marché financier à court, moyen ou long terme.
Sukuk VS obligations
Les Sukuk sont différents des obligations. Celles-ci sont des instruments de dette basés sur un contrat de prêt à intérêt alors que les Sukuk peuvent avoir comme contrats sous-jacents la vente, la location, la participation ou une combinaison de contrats. C’est donc une aberration scientifique le fait de définir Sukuk comme une « obligation islamique ».
Avec l’interdiction du Riba par le Coran, les Institutions de Finance islamique ne peuvent pas prêter à intérêt, elles mènent plutôt des activités de commerce et d’investissement. Comme instrument de la finance islamique, les Sukuk sont basés sur : i) des contrats de vente, ou ii) des contrats de location, ou iii) des contrats de participation, ou même iv) une combinaison de plusieurs contrats.
Les investisseurs qui sont les détenteurs de Sukuk sont rémunérés à travers les bénéfices réalisés dans ces activités commerciales sous-jacentes. En d’autres termes, les détenteurs de Sukuk sont copropriétaires des actifs ou de l’activité sous-jacents à l’émission de Sukuk et sont rémunérés sur cette base.
De son côté, l’initiateur du Sukuk, qui peut être un Etat ou une entreprise, couvre ses besoins de financement par le biais des ressources mobilisées à travers les Sukuk.
Du point de vue économique, une émission de Sukuk doit être adossée à des actifs ou une activité ; ce qui n’est pas nécessaire pour une obligation. Il apparait ainsi que le marché des Sukuk réduit les velléités de détournements d’objectif et favorise mieux l’intégration du secteur financier et celui de l’économie réelle que le marché des obligations.
Émission de Sukuk dans l’espace UEMOA
Le marché financier de l’UEMOA a déjà expérimenté les Sukuk. En effet, de 2014 à 2022, sept (7) émissions de Sukuk ont eu lieu dans quatre États de l’UEMOA : le Sénégal (3), la Côte d’Ivoire (2), le Togo (1) et le Mali (1). Les sept émissions de Sukuk ont permis de mobiliser un montant total de mille cent quarante-six (1.146) milliards de F CFA dans un environnement réglementaire qui n’était pas favorable.
Depuis septembre 2022 avec le RÈGLEMENT N° 10 /2022/CM/UEMOA relatif aux titres financiers islamiques, aux sociétés d’émission de Sukuk autogérées et aux fonds d’émission de Sukuk dans l’UEMOA, le cadre réglementaire est devenu plus favorable.
Pour les Sukuk de copropriété, il existe, généralement, deux modèles d’émission : i) une émission de Sukuk basée sur des actifs existants et ii) une émission basée sur des projets d’infrastructures à réaliser. Le modèle d’émission sur la base d’actifs existants est plus répandu. Au Sénégal, les 3 émissions de Sukuk sont basées sur ce modèle. Cependant, nombre de voix autorisées en économie et finance islamique considèrent que, du point de vue de l’impact socioéconomique, ce modèle d’actifs existants est moins efficace et moins représentatif de l’esprit de la finance islamique comparé au second modèle qui réalisent systématiquement de nouvelles infrastructures.
Sukuk et financement des infrastructures publiques
Les Sukuk sont considérés aujourd’hui comme une solution alternative ou complémentaire pour le financement des infrastructures, à travers le monde.
On peut dénombrer plusieurs avantages de financement des infrastructures par les Sukuk :
** Les Sukuk donnent plusieurs options de structuration selon la nature du projet d’infrastructure : projets d’infrastructures génératrices de revenus (infrastructures électriques, hydrauliques, routières, etc.) et projets d’infrastructures non génératrices de revenus – il existe des structures de Sukuk adaptées à chacune d’elles.
** Selon la théorie financière, plus un portefeuille est composé de titres financiers aux profils risque/rendement différents, plus le risque du portefeuille est diversifié. La disponibilité de Sukuk sur le marché financier offre d’énormes opportunités de diversification.
Conclusion
Eu égard à tout ce qui précède, il est vivement recommandé que les prochaines émissions de Sukuk soient liées à la réalisation de nouvelles infrastructures déjà identifiées dans l’Agenda Sénégal 2050 ; cela est plus à même de garantir un plus grand impact socioéconomique des émissions de Sukuk tout en permettant d’éviter les travers mentionnés dans rapport de la Cour des comptes relatifs à l’utilisation du produit du Sukuk SOGEPA.
Abdoul Karim DIAW, PhD
Auteur d’une thèse sur les Sukuk
« Performance/ commodity-linked Sukuk for private and public sector funding : some proposed models »