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Sukuk et financement des infrastructures (Par Dr Abdoul Karim Diaw)

Jeudi 17 Avril 2025

Le Dr Abdoul Karim Diaw
Le Dr Abdoul Karim Diaw

Suite à l’annonce, par le Premier Ministre M. Ousmane SONKO, de la perspective de lancement de Sukuk par le Gouvernement et la mention, dans le rapport de la Cour des comptes de février 2025, d’un « reliquat de 114,4 milliards de F CFA de l’emprunt obligataire (Sukuk SOGEPA) de 2022 non versé au Trésor public », les Sukuk ont suscité la curiosité de nombreux Sénégalais. 

 

C’est quoi Sukuk ?

 

Selon le RÈGLEMENT N° 10 /2022/CM/UEMOA relatif aux titres financiers islamiques, aux sociétés d’émission de Sukuk autogérées et aux fonds d’émission de Sukuk dans l’UEMOA, les Sukuk sont des titres financiers conformes aux règles de la finance islamique qui peuvent prendre soit la forme de certificats de copropriété soit la forme de certificats d’investissement. Ces certificats confèrent aux investisseurs respectivement un droit de copropriété sur des actifs conformes ou un droit sur les revenus d’activités conformes selon le droit musulman. 

 

Du point de vue de l’investisseur, Sukuk est un véhicule d’investissement lui permettant d’avoir un retour sur investissement halal. Tandis que pour l’initiateur (Etat ou entreprise), il s’agit d’un instrument de la finance islamique qui permet de mobiliser des ressources sur le marché financier à court, moyen ou long terme. 

 

Sukuk VS obligations

 

Les Sukuk sont différents des obligations. Celles-ci sont des instruments de dette basés sur un contrat de prêt à intérêt alors que les Sukuk peuvent avoir comme contrats sous-jacents la vente, la location, la participation ou une combinaison de contrats. C’est donc une aberration scientifique le fait de définir Sukuk comme une « obligation islamique ».

 

Avec l’interdiction du Riba par le Coran, les Institutions de Finance islamique ne peuvent pas prêter à intérêt, elles mènent plutôt des activités de commerce et d’investissement. Comme instrument de la finance islamique, les Sukuk sont basés sur : i) des contrats de vente, ou ii) des contrats de location, ou iii) des contrats de participation, ou même iv) une combinaison de plusieurs contrats.

 

Les investisseurs qui sont les détenteurs de Sukuk sont rémunérés à travers les bénéfices réalisés dans ces activités commerciales sous-jacentes. En d’autres termes, les détenteurs de Sukuk sont copropriétaires des actifs ou de l’activité sous-jacents à l’émission de Sukuk et sont rémunérés sur cette base.  

De son côté, l’initiateur du Sukuk, qui peut être un Etat ou une entreprise, couvre ses besoins de financement par le biais des ressources mobilisées à travers les Sukuk.

 

Du point de vue économique, une émission de Sukuk doit être adossée à des actifs ou une activité ; ce qui n’est pas nécessaire pour une obligation. Il apparait ainsi que le marché des Sukuk réduit les velléités de détournements d’objectif et favorise mieux l’intégration du secteur financier et celui de l’économie réelle que le marché des obligations.   

 

Émission de Sukuk dans l’espace UEMOA

 

Le marché financier de l’UEMOA a déjà expérimenté les Sukuk. En effet, de 2014 à 2022, sept (7) émissions de Sukuk ont eu lieu dans quatre États de l’UEMOA : le Sénégal (3), la Côte d’Ivoire (2), le Togo (1) et le Mali (1). Les sept émissions de Sukuk ont permis de mobiliser un montant total de mille cent quarante-six (1.146) milliards de F CFA dans un environnement réglementaire qui n’était pas favorable. 

 

Depuis septembre 2022 avec le RÈGLEMENT N° 10 /2022/CM/UEMOA relatif aux titres financiers islamiques, aux sociétés d’émission de Sukuk autogérées et aux fonds d’émission de Sukuk dans l’UEMOA, le cadre réglementaire est devenu plus favorable.

 

Pour les Sukuk de copropriété, il existe, généralement, deux modèles d’émission : i) une émission de Sukuk basée sur des actifs existants et ii) une émission basée sur des projets d’infrastructures à réaliser. Le modèle d’émission sur la base d’actifs existants est plus répandu. Au Sénégal, les 3 émissions de Sukuk sont basées sur ce modèle. Cependant, nombre de voix autorisées en économie et finance islamique considèrent que, du point de vue de l’impact socioéconomique, ce modèle d’actifs existants est moins efficace et moins représentatif de l’esprit de la finance islamique comparé au second modèle qui réalisent systématiquement de nouvelles infrastructures. 

 

Sukuk et financement des infrastructures publiques

 

Les Sukuk sont considérés aujourd’hui comme une solution alternative ou complémentaire pour le financement des infrastructures, à travers le monde. 

 

On peut dénombrer plusieurs avantages de financement des infrastructures par les Sukuk :

 

** Une plus grande capacité de mobilisation de ressources ou de l’épargne publique. Il existe plusieurs investisseurs qui, pour des raisons religieuses ne sont pas disposés à investir dans des obligations ou titres financiers assimilés alors que les Sukuk constituent des instruments inclusifs, dans le sens où, tout le monde peut y participer : les musulmans et les non musulmans ; ceux qui cherchent des investissements éthiques ou des investissements à impact.

** Les Sukuk donnent plusieurs options de structuration selon la nature du projet d’infrastructure : projets d’infrastructures génératrices de revenus (infrastructures électriques, hydrauliques, routières, etc.) et projets d’infrastructures non génératrices de revenus – il existe des structures de Sukuk adaptées à chacune d’elles. 

 

** Les Sukuk favorisent une plus grande intégration du secteur financier et du secteur de l’économie réelle, dans le sens où, toute émission de Sukuk doit normalement être adossée à des actifs ou une activité économique réelle ; ceci est de nature à faciliter la traçabilité des fonds mobilisés. 

 

** Une meilleure conformité à l’orthodoxie de la gestion financière : les ressources longues doivent servir à financer les emplois longs. 

** Selon la théorie financière, plus un portefeuille est composé de titres financiers aux profils risque/rendement différents, plus le risque du portefeuille est diversifié. La disponibilité de Sukuk sur le marché financier offre d’énormes opportunités de diversification.

 

Conclusion 

 

Eu égard à tout ce qui précède, il est vivement recommandé que les prochaines émissions de Sukuk soient liées à la réalisation de nouvelles infrastructures déjà identifiées dans l’Agenda Sénégal 2050 ; cela est plus à même de garantir un plus grand impact socioéconomique des émissions de Sukuk tout en permettant d’éviter les travers mentionnés dans rapport de la Cour des comptes relatifs à l’utilisation du produit du Sukuk SOGEPA.

 

Abdoul Karim DIAW, PhD

Auteur d’une thèse sur les Sukuk

« Performance/ commodity-linked Sukuk  for private and public sector funding : some proposed models »

 
Nombre de lectures : 534 fois


1.Posté par Sayid ABELOKO le 17/04/2025 11:49
Quel que soit le type de sukuk, ASSET based ou ASSET back, Le remboursement de sukuk par l’Etat n’impacte t-il pas les services de la dette publique ?

2.Posté par Abdou le 17/04/2025 12:51
Avec « Asset backed sukuk », les investisseurs sont normalement les propriétaires réels des actifs sous jacents. Généralement, le contrat/ convention qui les lie à l'initiateur de l’émission est la location suivie de transfert de propriété….Dans de telles conventions, les termes sont formulés de sorte que les services de la dette soient impactés.

Par contre, si on fait la classification selon les contrats sous jacents, il devient évident qu’avec les sukuk basés sur des contrats de participation (moucharaka, moudaraba, etc.) les services de la dette ne devraient pas être impactés.
Dr Abdoul Karim Diaw

3.Posté par Ahmed Sidi Ibrahim Mazou le 17/04/2025 12:55
Ma sha Allah, qu'Allah facilite !

4.Posté par PSF le 17/04/2025 15:18
Instructif!
L'évolution des normes de l'AAOOFI vers l'abandon des sukuk assets backed au profit des seuls sukuk asset based est-elle d'actualité ? En tout état de cause, le penchant vers les premiers dans l'industrie est la suite logique du défaut d'appétence aux produits financiers islamiques basés sur la collaboration (c'est valable aussi pour les autres classes d'actifs). Cette piste pourrait être explorée par l'Etat à travers les sociétés nationales et les véhicules à l'effet de contourner l'impact sur le poids de la dette. L'Etat pourrait agir en garant sous réserve du respect des exigences charaiques.

L'autre commentaire qu'appelle ce sujet est lié à la nécessité de promouvoir aussi les sukuk corporate dans le domaine, par exemple, du financement des logements sociaux au Sénégal (avec un portage par le FONSIS, les sociétés nationales et non par l'Etat central à moins que ce soit pour l'arrangement).

5.Posté par Abdou DIAW le 17/04/2025 20:19
Merci pour ces interpellations et commentaires qui dénotent un intéret pour le marché des Sukuk.

AAOIFI a émis la Norme 17 sur les Sukuk en 2003. Depuis lors, le marché des Sukuk a connu de profondes mutations et beaucoup de controverses. Cela a, certainement, motivé l'AAOIFI a émettre le draft de cette Norme 62 sur les Sukuk qui est plus élaborée et prend en compte les évolutions dans la structuration des Sukuk ces 20 dernières années.

le Draft de la Norme 62, s'il est adopté, sonne plutôt le glas des Sukuk asset based et non des asset backed. Ce draft insiste sur la nécessité d'un transfert réel de la propriété des actifs sous jacents aux investisseurs, comme c'est le cas avec les asset backed. Le draft ne tolère pas les "ventes fictives" comme c'est le cas avec l'essentiel des Sukuk asset based où la propriété des actifs n'est pas réellement transférée aux investisseurs qui n'assument aucun risque de propriété.

Tout à fait en phase avec vous concernant la nécessité d'encourager l'émission de Sukuk corporate par les sociétés nationales pour accompagner certains programmes à enjeux nationaux.

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