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SENEGAL - Des organisations de la société civile demandent un "audit citoyen" de la dette 2012-2024 et la suspension des services des "dettes cachées et douteuses"

Lundi 18 Août 2025

Des organisations de la société civile et des intellectuels sénégalais se disent favorables à un audit citoyen de la dette "dans un esprit de transparence, de justice sociale et de responsabilité démocratique." Car, soulignent-elle, "dans les circonstances actuelles, l’audit citoyen de la dette est une exigence éthique et politique fondamentale. C’est la voie la plus sûre pour concilier démocratie, transparence, lutte contre l’impunité et justice économique."

Le président sénégalais Diomaye Faye (d.) et son premier ministre Ousmane Sonko
Le président sénégalais Diomaye Faye (d.) et son premier ministre Ousmane Sonko
POUR UN AUDIT CITOYEN DE LA DETTE

Le Sénégal est à un moment charnière de son histoire. Sans une mobilisation et une vigilance citoyennes, c’est son avenir économique qui risque d’être très sérieusement compromis. En effet, notre pays vit une crise de la dette sans précédent, illustrée notamment par un service de la dette qui dépasse les recettes budgétaires internes attendues cette année. Comme partout et toujours, ce sont les populations les plus vulnérables, notamment les jeunes et les femmes, qui font les frais des politiques d’austérité allant de pair avec les crises d’endettement. Les politiques d’austérité impliquent des impôts et taxes plus élevés, une dépense publique léthargique, une économie atone. In fine, elles provoquent une dégradation des services publics ainsi qu’une paupérisation accélérée. 

 

Or il est clair que les Sénégalais ne sont pas responsables de la crise d’endettement dans laquelle notre pays est plongé. Il n’a pas été démontré non plus que les dettes publiques contractées ont servi l’intérêt général. Selon le rapport publié en février 2025 par la Cour des comptes, la dette publique a atteint 18 558,91 milliards de francs CFA au 31 décembre 2023, soit 99,67 % du PIB, un niveau critique contrastant fortement avec les 72,6 % annoncés par le gouvernement sortant. Cet écart significatif révèle une opacité inquiétante dans la gestion des finances publiques et qui est de nature à saper la confiance des citoyens envers l’État. Le rapport de la Cour des comptes a relevé des engagements contractés hors autorisation parlementaire. C’est là une violation de la loi organique n° 2020-07 du 26 février 2020 relative aux lois de finances du Sénégal (alinéa 2 de l’article 27) qui dispose que les emprunts doivent être autorisés par l’Assemblée nationale. Pourtant, la loi de finances rectificative 2025 a « intégré » et « régularisé » (pour utiliser les termes utilisés dans ce document) une partie de cette dette dite « cachée » à hauteur de 2500 milliards de francs CFA. Ce qui signifie que l’actuel gouvernement a reçu l’autorisation de l’Assemblée nationale pour s’endetter en vue de rembourser des créances épinglées par la Cour des comptes et qui, apparemment, n’avaient pas respecté les procédures légales. 

Les faits graves mis en évidence dans le rapport de la Cour des comptes et qui, il faut le rappeler, sont intervenus dans un contexte de violations massives des droits humains entre 2021 et 2024, en font un cas d'école de dette odieuse. Cette dernière peut être définie comme une dette qui a été contractée en violation des procédures légales et des principes démocratiques et qui a pour conséquence de dénier les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels de la population. 

 

Mais ce n’est pas tout. La dette dite « cachée » semble être la pointe émergée de l’iceberg. Un examen des données publiques existantes couvrant la période 2012-2023 permet de constater un endettement extérieur important qui ne pourra être remboursé qu’au prix de l’émission de nouvelles dettes sans doute tout aussi coûteuses. Ainsi, en marge de la « dette cachée », le Sénégal fait face au spectre de devoir emprunter durant des décennies non pas pour investir dans son propre développement économique mais pour payer des dettes qui sont insoutenables, à supposer qu’elles soient légales. 

 

Dans un contexte marqué par des défaillances à plusieurs niveaux, gouvernement, parlement, corps de contrôle, BCEAO, Fonds Monétaire International, créanciers, il est légitime, et même nécessaire, de faire toute la lumière sur l’endettement du Sénégal. Le gouvernement a mandaté le cabinet d’audit Forvis Mazars de faire le point sur la dette publique. Le cabinet a terminé son rapport préliminaire et les premières conclusions semblent aller même au-delà des constatations de la Cour des comptes. Si cette démarche est à saluer, elle demeure toutefois insuffisante. 

 

Nous réclamons un audit citoyen de toute la dette du Sénégal (y compris la dette extérieure du pays, publique et privée) de 2012 à 2024. Il s’agit là d’une demande démocratique : les Sénégalais ordinaires ont le droit d’être parties prenantes dans les discussions sur l’endettement du pays car, au bout du compte, ce sont eux qui paient les dettes publiques, à travers leur labeur et leurs contributions fiscales. L’audit citoyen, en tant que processus participatif et indépendant mené par les forces vives de la nation dévouées à la cause, vise à analyser de manière rigoureuse la gestion des ressources nationales, à identifier les éventuelles irrégularités dans les contrats de prêts, et à faire émerger des recommandations destinées à améliorer la gouvernance économique et sociale. Cette requête s’inscrit dans une logique de démocratie participative, où les citoyens ne sont plus de simples observateurs, mais des acteurs à part entière du contrôle et de la gestion des finances et ressources économiques de leur pays. En effet, c’est la Constitution du Sénégal qui, à travers l’article 25.3, précise les devoirs du citoyen : défendre la patrie, contribuer à la lutte contre la corruption et la concussion, et œuvrer pour le développement durable au profit des générations présentes et futures. 

 

L’expérience d’autres pays offre des enseignements précieux susceptibles d’éclairer la démarche sénégalaise. L’Équateur, par exemple, sous la présidence de Rafael Correa, a mis en place une commission d’audit intégral de la dette publique qui a permis d’identifier des emprunts illégitimes et/ou odieux et d’engager un processus de suspension de paiement et de renégociation des dettes. Cette initiative a abouti à une réduction significative du service de la dette et à une augmentation des investissements sociaux, marquant une rupture avec les logiques d’endettement prédatrices. Quant au cas islandais, il démontre l’importance de la mobilisation populaire pour refuser de payer des sommes indues. Grâce à la détermination et à l’engagement de ce peuple de quatre cent mille habitants, des résolutions de remboursement ont été rejetées par le Parlement à deux reprises. 

 

En conséquence, la démarche d’audit citoyen au Sénégal représente une opportunité majeure pour améliorer la gouvernance économique et financière, accroître la transparence, réaffirmer la souveraineté populaire sur les ressources nationales et renforcer la souveraineté du pays. Elle nécessite cependant un engagement soutenu de la population, un appui institutionnel ferme, ainsi qu’une volonté politique claire d’ouvrir l’espace démocratique au contrôle populaire. 

 

Face aux enjeux cruciaux que pose la dette, tant en termes de justice sociale que de stabilité économique, l’audit citoyen apparaît comme un instrument indispensable pour garantir que les décisions financières servent réellement l’intérêt général et non des intérêts privés ou politiques. C’est à travers cette dynamique collective que le Sénégal pourra espérer construire un modèle de développement endogène, transparent et respectueux des droits de ses citoyens. Dans les circonstances actuelles, l’audit citoyen de la dette est une exigence éthique et politique fondamentale. C’est la voie la plus sûre pour concilier démocratie, transparence, lutte contre l’impunité et justice économique. 

 

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, nous, signataires de cette tribune, invitons : 

 

- le gouvernement sénégalais à mettre en place un Comité d’audit citoyen de l’ensemble de la dette du Sénégal (CAC/DP) en y associant les institutions en charge (par exemple le ministère des Finances et les départements pertinents), les représentants de l’Assemblée nationale, les corps de contrôle, les spécialistes dont la compétence est reconnue et les forces progressistes et citoyennes engagées sur cette question ;

- le gouvernement à suspendre le service des dettes dites « cachées » et des dettes douteuses jusqu’à la livraison des travaux du Comité d’audit citoyen ;

- le Pool Judiciaire Financier à accélérer le traitement du référé aux fins d’ouverture de procédures pénales transmis par la Cour des comptes et reçu le 3 avril 2025 sur les actes et faits susceptibles de qualifications pénales soulevés par le rapport d’audit sur la situation des finances publiques de 2019 au 31 mars 2024 ;

- le Parlement à mettre en place une commission d’enquête sur la situation de la dette du Sénégal au cours de la période 2012-2024.

- le peuple sénégalais à la vigilance et à la mobilisation pour faire entendre sa voix et affirmer sa position. Il ne doit en aucun cas assumer le poids de dettes odieuses et de dettes insoutenables au détriment de ses besoins fondamentaux. 

 

Signataires : 

 

1). Action Humaine pour le Développement Intégré au Sénégal (AHDIS) 

2). Action pour la Justice Environnementale AJE/Sénégal
3). Article 25
4). Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM)/Sénégal 

5). Forum social sénégalais 

6). FRAPP 

 7). JIF’AFRIK (Jeunesse Interconnectée et Fusionnée d’Afrique)
8). Leeraalante EL3P (Espace Leeralante Pensées Politiques Partagées)
9.) LEGS-Africa
10o) Pencum Afrika
11o) Alla Kane, député de la 15
e législature
12o) Guy Marius Sagna, député de la 15
e législature
13o) Matar Sylla, député de la 15
e législature, Doctorant à l'EDEQUE
14o) Moussa MBAYE, député de la 15
e législature
15o) Safietou SOW, député de la 15
e législature
16o) Abdoulaye Thomas FAYE, député de la 15
e législature
17o) François Joseph Cabral, Professeur titulaire, Université du Sénégal oriental (USO) 18o) Souleymane GOMIS, Professeur titulaire des universités FLSH-UCAD
19o) Abdou Aziz Diouf, Professeur titulaire, FSJP, UCAD
20o) Benoît Tine, Professeur, Directeur de l’enseignement supérieur privé (MESRI) 21o) Souleymane Gueye, Professeur d’Économie et de Statistiques, San Francisco College
22o) Cheikh Faye, Professeur au Québec, Canada
23o) Serigne Babacar Djimera professeur d'histoire et de géographie
24o) Dr Souleymane NDAO, Économiste, Maître de conférences, UCAD
25o) Oumar Dia, Enseignant-chercheur, UCAD
26o) El Hadji Malick Sy Camara, Enseignant-Chercheur UCAD
27o) Ibrahima Niang, Enseignant-Chercheur UCAD
28o) Samba Diouf Enseignant-Chercheur UCAD
28o) Alioune Tine Fondateur Afrikajom Center
30o) Ahmadou Tidiane Wone professeur à la retraite, ancien Consul Général du Sénégal 31o) Moussa Sène Absa, Cinéaste
32o) Ndongo Samba Sylla, Économiste, Directeur Afrique de l’IDEAs
33o) Fatoumata Sissi Ngom, analyste de politiques économiques, ingénieure financière, écrivaine
34o) Cheikh Oumar Diagne, Économiste
35o) Demba Moussa Dembélé, économiste 

36o) Elimane Haby Kane, Sociologue, Président LEGS-Africa
37o) Mignane Diouf, Forum social sénégalais
38o) Dr Abdoulaye Diallo, Historien, éditeur
39o) Dr Adama Pam, Historien, archiviste paléographe, ancien fondé de pouvoirs à la BCEAO, Dakar, Sénégal 

40o) Ismaila Ndiaye, Spécialiste Gouvernance et Anticorruption Président de West Africa Youth for Peace and Development
41o) Aliou Gori DIOUF, PhD Géographe Consultant international, Spécialiste de la planification, de la gouvernance et de la gestion des risques climatiques et environnementaux 

42o) Fatimata Sy, Juriste, membre de la société civile
43o) Aboubakr Bengelloun, Ingénieur
44o) Fodé Roland Diagne, Éditorialiste de Ferñent multimédia communiste des classes laborieuses
45o) Abdoulaye Mbow, Journaliste
46o) Mahamadou Lamine Sagna, Sociologue, Worcester Polytechnic Institute, USA
47o) Omar Sarr, Économiste des ressources marine au Québec, Canada
48o) Oumoul Khayri Ba, Expert-Comptable
49o) Amacodou Diouf, Action Humaine pour le Développement Intégré au Sénégal (AHDIS)
50o) Oulimata Suzanne Sy, contrôleuse financière
51o) El Hadj Abdoulaye Seck, Économiste-chercheur à l’ENAP du Québec, Canada
52o) Ndèye Fadiaw Diagne, Économiste rurale
53o) Yama Ndiaye, Économiste
54o) Fota Sall, Évaluatrice des politiques publiques
55o) Dr. Sidy Sissoko, Consultant
56o) Viye Diba, Artiste visuel, Fondateur et Directeur artistique de Manifa La maison des cultures contemporaines
57o) Abdoul Aziz Berrada, Data Scientist et Doctorant en Finance Quantitative à HEC Montréal
58) Mouhamadou Moustapha Gueye, Économiste-chercheur au Québec, Canada 

59o) Boubacar Diallo, Consultant en Data-IA
60o) Modou Ndiaye, Économiste
61o) Serge Hope, Expert en sciences informatiques
62o) Kaba Kamara, Consultant en Management des Ressources Humaines.
63o) Cheikh Junior Amar, Analyste grands Comptes
64o) Mandoye Thiam, Juriste en droit privé
65o) Serigne Modou Bousso Gueye, juriste
66o) Amidou Sidibé, Agent de développement
67o) Amadou Ndiaye, Expert Investment Banking, marchés des capitaux et assurance vie, santé, IARD/Spécialiste en stratégie digitale et gestion de projets IT
68o)Grande Offensive des Alliés pour le Triomphe du projet (GOAT) 

 

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