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PANDORA PAPERS : Le manège incestueux des Russes au Niger (par Moussa Aksar)

Mardi 12 Octobre 2021

Sergey Matveev
Sergey Matveev

C’est en 2007, dans les Îles Vierges Britanniques, sous la direction des prête-noms basés à Chypre – un paradis fiscal qu’affectionnent tant les Russes – que la société Semmous Lion Mining Ltd voit le jour. Par l’entremise de Sergey Matveev, Dmitry Bakaev, elle posera ses valises au Niger, sous le régime de feu président Mamadou Tandja. En collision avec la présidence du Niger, elle capte, selon un rapport du département d’Etat américain, une dizaine (10) de permis d’exploration minière. 

Semmous Lion Mining Ltd restera cependant en veilleuse sous la transition militaire de 2010, avant de revenir à la charge en 2012 sous le régime d’Issoufou Mahamadou, changeant de directeur en la personne de l’Australien Marcus Scott Reston.  Trois Russes des noms de Mihail Gamzin, Evgeny Roytman, Ivan Raylan, ainsi que le Nigérien Habib Paul Ibra Kabo se joignent à Sergey Matveev, Dmitry Bakaev pour être propriétaires de la société.

Dans ce dossier au parfum russe, l’on découvre Pierre Atepa Goudiaby, le magnat sénégalais de l’architecture au passeport diplomatique sur lequel est inscrit « conseiller spécial de SEM le Président de la République » ; Frank Timis, très connu en Afrique pour ses scandales dans le secteur minier et des “porteurs d’eau” des autorités nigériennes.

C’est l’histoire de cette sulfureuse connexion russe dans le secteur minier au Niger que vous retrace la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO) en collaboration avec le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), qui se sont associés de par le monde, à plus de 600 journalistes de 150 médias pour éplucher 11,9 millions de dossiers confidentiels impliquant des dizaines de pays.


Un manège incestueux

C’est par le truchement de la banque russe Gazprom Bank, un établissement sanctionné pour son implication dans le blanchiment de milliards de dollars d’argent russe, que les deux précurseurs venus du Grand Ours (Sergey Matveev, Dmitry Bakaev) ont créé dès 2007 la société offshore Semmous Lion Mining Ltd.  Ils ont été introduits à la présidence de la République du Niger, lieu où se négocie l’octroi des permis d’exploration en violation du Code minier nigérien qui dit pourtant que « le permis de recherches est attribué par arrêté du ministre chargé des Mines sur proposition du Directeur des Mines au demandeur ayant présenté une demande conforme aux exigences du Code minier et ayant les capacités techniques et financières suffisantes ».

Curieusement la même année 2007 est créée la société Atepa Group Russia au nom du sénégalais Pierre Atepa Goudiaby. Cette société, grâce à ses accointances avec certaines personnalités du régime de l’ancien président Tandja, parvient à décrocher 5 (cinq) permis d’exploration (Touaret 1, 3 et 4 ; ainsi que Assara 4 et Dabala). Une autre société dénommée River Universal Tradings, capte, elle aussi, 5 (cinq) permis d’exploration (Touaret 1, 3 et 4 ; ainsi que Assara 4 et Dabala 5). Ces deux sociétés (River Universal Tradings et Atepa Group Russia) transfèrent leurs permis (10 au total) a Semmous Lion Mining Ltd.

Sous la gouvernance d’Issoufou Mahamadou (à partir avril 2011), le même mode opératoire de délivrance de permis miniers connu sous le régime Tandja a été poursuivi. C’est ainsi qu’en 2012, le Nigérien Habib Paul Ibra Kabo, devient, ainsi que 5 Russes, copropriétaire de Semmous Lion Mining Ltd, comme le dit le document du cabinet d’avocat Trident Trust Company.

 


Contacté par nos soins, Habib Paul Ibra Kabo dira « que la société n’a pas été créée. Rien ne s’est passé »« Elle n’a pas reçu de permis miniers. J’ai voulu me lancer dans des affaires avec les Russes qui étaient là, mais ça n’a pas marché », a-t-il poursuivi. A la question de savoir s’il a des liens avec Pierre Atepa, Habib Paul Ibra Kabo dira que « c’était pour le business ». Et d’ajouter : « Je n’ai pas de liens avec lui ».

Nos sources rapportent pourtant que Habib Paul Ibra Kabo est un agent de la BCEAO (Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest) à Dakar. Il serait aussi le gendre de Pierre Atepa Goudiaby et contrairement à ses déclarations, la société a été bel et bien créée.

En 2015 selon toujours les documents consultés, l’homme d’affaires Pierre Atepa Goudiaby, né le 30 juin 1947 comme il est marqué sur son passeport diplomatique, devint copropriétaire de Semmous Lion Mining Ltd à qui il a transféré 5 permis par le truchement de sa société Atepa Group Russia.

Voilà pour l’histoire de la société Semmous Lion Mining Ltd qui, selon une lettre de la société, a capté 7 000 kilomètres carrés au Niger, qui n’existent plus selon la capture de la page web, ci-dessous. Le site web dit qu’un Nigérien, un certain Mohamed Yacoubou, en était directeur adjoint.


Ces fondateurs que sont Dmitry Bakaev et Sergey Matveev se tourneront vers d’autres horizons. Le premier prend la tête de la société International Petroleum Ltd et grâce à ses solides relations au sein du pouvoir d’Issoufou, refera plusieurs permis (Toulouk 2 et 4) qui seront renouvelés en 2014. Quant au second, Sergey Matveev, l’on le retrouve également à la tête de Pan African Minerals Ltd et comme conseiller de Frank Timis (homme d’affaires roumano-australien). À en croire une décision de justice , il fait office de « consultant au Niger ».

Sergey Matveev

Avec leur société PAN AFRICAN NIGER LTD, filiale de PAN AFRICAN, Sergey Matveev et Frank Timis obtiendront en juillet 2013 du président Issoufou, 4 (quatre) permis de recherche d’uranium et substances connexes sur un périmètre de 1657,9 km2. C’est le ministre des Mines et du Développement industriel de l’époque, Omar Hamidou Tchiana, et le PDG de Pan African, Frank Timis qui ont signé la convention. Depuis lors, c’est le statu quo.

La société n’a pas respecté ses engagements relatifs aux investissements qu’elle était censée réaliser. Pire, depuis le 7 octobre 2017, les permis octroyés sont arrivés à la fin de leur première période de validité sans que l’Etat du Niger ne les renouvelle.

Selon nos confrères du journal « Le Monde », Frank Timis est un homme au passé obscur qui gravite autour des chefs d’Etat africains. Ses sociétés minières, dont plusieurs ont fait faillite, ont été accusées de « corruption et de non-respect des droits humains ». La BBC (British Broadcasting Corporation) pour sa part rapporte que Frank Timis a été condamné à deux reprises pour avoir fourni de l’héroïne dans les années 90 et impliqué dans une série de projets miniers infructueux en Afrique de l’Ouest.

« Parmi les deux sociétés minières qu’il a cotées à la Bourse de Londres, l’une a été accusée de violation des droits de l’homme et l’autre a été frappée de la plus grande amende jamais infligée par la bourse, pour avoir induit en erreur les investisseurs », rapporte BBC.

Nous avons cherché à avoir la réaction du ministre Omar Hamidou Tchiana, cosignataire de la convention avec Frank Timis afin qu’il nous dise dans quelles circonstances ce magnat au passé sombre a atterri au Niger.  Malheureusement il ne décrochait pas nos appels téléphoniques. Nous avons également cherché à joindre Abdoulkader Adou Adam dit « Kader Zouk », un proche de certaines personnalités au pouvoir, pour qu’il réagisse relativement à certaines allégations qui l’indexent d’avoir des connexions avec les propriétaires de Semmous Lion Mining Ltd, mais il était injoignable.


Au vu de ce qui précède, l’on constate que c’est un système très raffiné impliquant « investisseurs » et autorités nigériennes qui a été mis en place en violation de la loi dans l’octroi des permis miniers au Niger avec des projets sous différentes formes, qui n’ont jamais été réalisés.  Cette percée russe au Niger n’est-elle pas en lien avec le scandale révélé par plusieurs confrères sur « un système de blanchiment qui a permis à des oligarques, banquiers et autres de blanchir plus de 20 milliards de dollars provenant de Russie » ? Mystère et boule de gomme, comme qui dirait.

Une enquête réalisée par Moussa AKSAR dans le cadre des Pandora Papers sous la coordination de l’ICIJ et de la CENOZO.

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