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Ousmane Sonko raconte « l’Affaire Mame Mbaye Kan Niang » de A à Z

Mercredi 21 Juin 2023

Ce texte est un extrait du Mémorandum intitulé « LUMIÈRE SUR LES VIOLENCES DE L’ÉTAT DU SÉNÉGAL CONTRE LES POPULATIONS CIVILES AVANT, PENDANT ET APRÈS LA DÉCISION JUDICIAIRE DU 1er JUIN 2023 ». Il a été rendu public et présenté le mardi 20 juin 2023 par Ousmane Sonko et le parti Pastef.


Photo Senego
Photo Senego
 
A l’origine de cette affaire, une plainte du ministre du Tourisme et des Loisirs, acteur politique de la mouvance présidentielle,  contre ma personne pour diffamation et injures.
Cette plainte a suscité  un déchainement judiciaire sans précédent qui a débouché sur l’organisation d’un procès éclair.
 
En prélude à cette plainte, le Ministre de l’Intérieur a tout fait pour faire éliminer la liste du PASTEF de la députation au motif d’une banale affaire de dédoublement sur le parrainage.
C’était là une stratégie bien murie pour me priver d’une immunité de député et faciliter ensuite des poursuites sous le moindre prétexte.
 
C’est dans ce contexte qu’il faut placer l’affaire Mame Mbaye Kan NIANG, du nom de ce monsieur qui m’avait attribué divers qualificatifs par le passé (violeur, pervers sexuel, terroriste, etc..) sans que je n’aie jamais jugé nécessaire de le poursuivre en justice dans le souci d’éviter autant que possible une judiciarisation du débat politique.
 
Une banale affaire d’échanges entre acteurs politiques a ainsi été transformée en procédure de diffamation pour éliminer un candidat à la présidentielle de février 2024.
 
Répondant verbalement, en effet, à une déclaration de Monsieur NIANG, faite quelques jours auparavant indiquant qu’il n’a jamais été épinglé par un rapport, nous avons rétorqué que de tels propos n’étaient pas conformes à la réalité. Une déclaration qui, somme toute, entre dans le cadre d’un débat d’intérêt public, comme il en existe entre acteurs dans tout État qui se dit moderne et démocratique.
 
Il convient de souligner que Monsieur Macky SALL a fait modifier en 2021 le Code électoral par une réforme malicieuse introduisant les nouveaux articles L29, L30 et L57 qui prévoient l’élimination des candidats à la présidentielle, même pour des délits mineurs. C’est ainsi que pour une simple peine d’amende ferme supérieure à 200.000 FCFA, la personne condamnée est privée de ses droits civiques (art L30 du Code électoral).
 
Ce filtre judiciaire enrobé dans ces trois articles du code électoral lui a permis, avec le parrainage, d’éliminer tous ses potentiels successeurs.
 
L’affaire Mame Mbaye Kan NIANG est l’exemple type d’une violence judiciaire exercée sur un candidat à l’élection présidentielle.
 
Le 14 décembre 2022, j’ai répondu aux enquêteurs qui s’occupaient de cette affaire et ai fait ma déposition à la Division des Investigations Criminelles.
 
Dans le régime du Président Macky SALL, la Division des Investigations Criminelles, un organe hautement stratégique de l’organisation du système judiciaire sénégalais, est ravalée à un rang mineur et en est réduite à traiter des affaires de diffamation et d’injures pour freiner des opposants. En répondant aux enquêteurs, j’étais persuadé qu’ils allaient accélérer la cadence judiciaire pour tenir un procès en instance, en appel et en cassation dans de très brefs délais aux fins d’exécuter la commande politique du Président Macky SALL.
 
L’histoire m’aura donné raison, puisque très vite, le 02 février 2023, la première audience a été programmée par la 1ère chambre correctionnelle du tribunal de Dakar.
 
A l’occasion de l’examen des actes de poursuites, mes avocats ont constaté que la partie plaignante avait visé les infractions d’injures publiques et de diffamation dans sa plainte du 23 novembre 2022 (voir annexe 1). Or, suite à la transmission du dossier au parquet, le procureur de la République y a ajouté le délit de faux et d’usage de faux dans le cadre d’une citation directe qu’il a lui-même faite le 12 janvier 2023 à la suite de la plainte (voir Annexe 2).
 
Il convient de noter que dans le système judiciaire sénégalais, le Procureur de la République est directement lié au ministère de la Justice, qui peut, par l’intermédiaire du Procureur Général, instruire le dossier dans un sens ou dans un autre. A côté du Président de la République Macky SALL, le ministre de la Justice siège au Conseil Supérieur de la Magistrature et gère la carrière des magistrats de siège et du parquet.
 
A l’audience du 02 février 2023, bien que l’affaire venait d’être évoquée pour la première fois, le juge a d’emblée refusé le renvoi de l’audience demandé par mes avocats qui avaient attiré son attention sur le fait que je n’avais pas été convoqué d’une manière régulière. Il consentit finalement à un renvoi au 16 février pour ma comparution, bien que je n’avais toujours pas été convoqué par écrit. Malgré tout j’ai accepté, à la date de renvoi, de me présenter au tribunal.
 
A la date du  16 février, l’affaire est renvoyée au  16 mars après d’âpres batailles de mes avocats qui venaient à peine de se constituer, face à un juge qui voulait impérativement retenir le dossier en violation de mes droits.
 
Au retour du tribunal ce jour-là, ma voiture a été immobilisée par les forces de défense et de sécurité (FDS) sur la corniche Ouest de Dakar. Des membres des forces de défense et de sécurité ont brisé la vitre pour m’en extirper de force et me conduire chez moi dans l’un de leurs fourgons blindés sans aucun mandat (voir Annexe 3).
J’en suis sorti avec des blessures causées par les tessons de la vitre fracassée.
 
Le 16 mars, mon convoi en direction du tribunal a été violemment intercepté par ces mêmes forces de sécurité qui, après nous avoir inondé de gaz lacrymogène, ont brisé les vitres de trois de nos véhicules et défoncé les portières pour nous en extraire de force (Annexe 4). Les FDS qui m’entouraient m’ont aspergé d’un liquide douteux, après m’avoir brutalisé et violenté. Les analyses qui ont été effectuées par un laboratoire français sur les échantillons prélevés ont révélé le caractère toxique de cette substance que j’ai été contraint d’inhaler.
 
J’avais ressenti pendant plusieurs jours de vives douleurs et désagréments sur ma santé. Les effets sanitaires à moyen et long terme sont toujours à redouter (Annexe 5). Mon avocat, Me Ciré Clédor LY, a subi le même traitement violent et disproportionné malgré son âge et son état de santé fragile.
 
C’est dans ces conditions que j’ai été présenté au tribunal. Pourtant, aucun mandat n’a été donné de me conduire de force au tribunal. Je n’étais même pas obligé d’être présent à l’audience car la loi ne m’oblige pas de comparaitre pour les faits qui m’étaient reprochés. Le juge, bien que constatant mon état a voulu systématiquement juger l’affaire. Mais la commande politique de Macky Sall devait être exécutée coûte que coûte.
 
Le même jour, Maitre Juan BRANCO, avocat au barreau de Paris qui s’est constitué pour ma défense, est interpellé à l’aéroport international Blaise Diagne de Dakar tard dans la nuit, en provenance de Paris, par des agents de la police nationale lourdement armés.
 
Venu à Dakar pour les besoins du procès en tant qu’avocat de la défense, il a été réembarqué manu-militari dans un avion et expulsé du Sénégal sur instruction des autorités gouvernementales. Dans un communiqué publié à la suite de ce forfait, les autorités ont cherché à se dédouaner et se justifier en alléguant que Me Branco avait tenu des propos malveillants, en parlant de «  dérives liberticides », à l’endroit du Président Macky SALL. C’était là une énième atteinte à mon droit à une défense !
 
A l’audience, mon étonnement était à son comble lorsque la demande de renvoi formulée par la trentaine d’avocats qui s’étaient constitués en ma faveur pour leur permettre de connaitre du dossier fut rejetée par le juge. Ce dernier a tenu, contre toute attente, à juger l’affaire sans donner la chance à mes nouveaux avocats de préparer ma défense conformément à la loi.
Or, dans tout système judiciaire moderne, la défense est un droit absolu.
 
Il a fallu ce jour-là, l’intervention du représentant de l’Ordre des Avocats pour rappeler au juge, d’une part, la nécessité de permettre à mes avocats de disposer du temps nécessaire pour bien préparer ma défense, et, d’autre part, compte tenu de l’état dans lequel je me suis présenté (du moins dans lequel on m’a présenté) au juge. Le magistrat décide finalement, face à ce spectacle chaotique, de renvoyer l’affaire au 30 mars 2023.
 
Le soir même du 16 mars 2023, j’ai été admis à la clinique « SUMA Assistance ». Un certificat médical de repos m’a été prescrit, mes habits envoyés à l’étranger pour examen quant à la nature des produits qui m’ont été aspergés par les FDS.
 
Je précise que tous les médecins qui m’ont consulté ont été traqués, certains gardés-à-vue, d’autres envoyés en instruction judiciaire par le doyen des juges ou par le juge d’instruction du 2e cabinet du tribunal de grande instance de Dakar simplement pour m’avoir consulté et fait leur travail.
 
Sous le même rapport, le propriétaire de la clinique SUMA Assistance qui n’était même pas présent sur les lieux à mon arrivée, a été cueilli de force  et envoyé devant le doyen des juges pour être inculpé. Il a refusé le port du bracelet électronique et a fini par être placé sous contrôle judiciaire suite à la forte pression du corps médical et de l’opinion publique.
C’est cela la justice sous l’ère du président Macky SALL.
 
A l’audience du 30 mars, mes avocats ont donc présenté le certificat médical qui atteste que j’ai été hospitalisé et que je ne pouvais me présenter ce jour. Ils ont demandé ou un report, ou, à tout le moins, qu’on leur permette, conformément à la loi lorsque le prévenu est empêché pour raison médicale, de plaider le dossier en l’absence de leur client. Le juge qui a été changé entre temps a non seulement refusé, mais n’a même pas daigné prendre le certificat médical qu’il a écarté d’un revers de la main.
 
A la même audience, le procureur qui agissait sur commande a demandé une peine d’emprisonnement de 2 ans fermes et un mandat d’arrêt contre moi. Le nouveau juge a tranché le litige le même jour en me condamnant à une peine de 2 mois avec sursis pour diffamation et à deux cent millions (200.000.000 FCFA), somme exorbitante injustement allouée à la partie civile Mame Mbaye NIANG.
Ce jugement ne satisfaisant pas, mes avocats ont interjeté appel.
 
Étant donné que cette peine, au sens des articles L29 et L30 et L57 du code électoral sénégalais ne me rendait pas inéligible, la partie civile, malgré l’importance des sommes qui lui sont allouées et le procureur de la République, malgré la condamnation à 2 mois avec sursis, a décidé de faire appel.
La commande n’avait manifestement pu être honorée.
 
A l’occasion d’une conférence de presse tenue le soir du 30 mars 2023, la partie civile a déclaré   « OUSMANE SONKO N’A PAS ENCORE ÉCHAPPÉ Á L’INELIGIBILITE », preuve s’il en fut de leur volonté non pas de vouloir chercher à dire le droit, mais à rendre inéligible un candidat en utilisant la justice (voir Annexe 6).
 
La première peine de 2 mois ne faisant pas l’affaire, le juge ayant voulu «  couper la poire en deux  », il fallait chercher très vite en appel, une condamnation pour me rendre inéligible. Pour préparer le terrain, le Président de la République a organisé une consultation à domicile au sein de la magistrature pour dénicher et choisir des juges assez dociles pour satisfaire sa volonté. C’est ainsi qu’un magistrat nommé Ousmane Gueye, jusqu’alors détaché comme secrétaire général du Ministère de la l’Économie Sociale et Solidaire, dirigé par madame Victorine NDEYE, une des plus proches collaboratrices politiques du Président Macky SALL et une de mes plus farouches adversaires politiques dans la région de Ziguinchor, a été affecté à la Cour d’appel, à quelques heures du procès, pour compléter la composition des trois juges.
 
A la surprise générale, alors que j’étais encore dans le délai pour faire appel du jugement (30 jours), le procureur général a programmé l’audience au 17 avril 2023, soit juste 17 jours après mon premier jugement.
 
Au mépris même de mon droit de faire appel il fallait encore aller vite pour exécuter la commande politique.
 
C’est pour cette raison que j’ai saisi la Cour suprême d’une plainte contre Monsieur Ibrahima Bakhoum, procureur général près-la Cour d’appel et Abdou Karim DIOP procureur de la République.
 
Ces deux magistrats ont choisi délibérément de violer mes droits en cherchant à faire juger une affaire en appel alors que mes délais de recours n’étaient pas épuisés.
 
Pire, c’est la première chambre de la Cour d’appel qui a été saisie pour juger l’appel.
Cette première chambre est celle du premier président de la Cour d’appel Monsieur Hamady DIOUF. C’est lui qui a déclenché les poursuites contre moi dans la même affaire, alors qu’il était procureur de la République. Entre la première instance et l’appel, il a été nommé premier président de la Cour d’appel.
 
En tant qu’autorité de poursuite (ex procureur de la République), il était donc chargé de me juger en appel comme président de la Cour cette fois-ci. C’est cela l’état de la justice Sénégalaise sous le Président Macky SALL.
 
Ainsi, à l’audience du 17 avril de la première chambre de la Cour d’appel, Monsieur Hamady DIOUF a renvoyé l’affaire au 8 mai 2023 pour couvrir toutes ces erreurs dues à la précipitation et à l’acharnement. Ce faisant, il a désigné un autre juge pour trancher l’affaire tout en gardant le dossier dans sa chambre. Ensuite, pour le parquet, il a tenté de régulariser la violation de mes droits en renvoyant le dossier au 8 mai 2023 puisque jusqu’au 17 avril 2023, j’étais toujours dans le délai d’appel.
 
Comme il fallait s’y attendre, à l’audience du 8 mai 2023, le juge a aggravé la peine qui est passée de 2 mois à 6 mois, peine pouvant entrer dans le champ des articles L29 et L30 du code électoral.
 
En appel, je n’ai jamais été convoqué et par une forfaiture qui ne restera pas sans suite, le juge d’appel a mentionné la présence de mes avocats à l’audience alors qu’aucun d’entre eux n’était dans la salle.
 
Maitre Juan BRANCO, Avocat au barreau de Paris, m’aurait assisté à l’audience, selon l’arrêt rendu, alors qu’il est de notoriété publique qu’il avait été expulsé du Sénégal et empêché de participer au procès (voir Annexe 7).
 
Un pourvoi est présentement formé contre l’arrêt de la Cour d’appel, pour bloquer le processus d’inéligibilité qui requiert une décision définitive.
 
Mais comme vous le constaterez, tous les délais seront compressés pour atteindre l’objectif souhaité, et très vite, la Cour suprême du Sénégal devrait programmer l’audience de cassation avant l’ouverture de la période électorale, alors que des dizaines de dossier croupissent dans les bureaux de ladite Cour depuis plusieurs mois, voire des années.
 
Cette mission accomplie, il fallait, pour le Président Macky SALL et cette partie de la justice, ouvrir un deuxième front judiciaire sur fond de recherche de nouvelle inéligibilité pour être sûr de mon élimination. (IMPACT.SN)
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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1.Posté par Me François JURAIN le 21/06/2023 19:48
Sans commentaires, car le récit est fidèle à ce qui s'est réellement passé et que nous avons tous pu constater. La honte de la justice sénégalaise est là, un parquet entièrement soumis et dévoué au roi Macky1er.

Pour être complet, s'en suivront les contorsions intellectuelles et les mensonges, en direct sur les plateaux tv, d'un ministre de la Justice qui, à lui seul, résume la décrépitude de la justice pénale sénégalaise. Une honte nationale, une honte d'Etat, et lorsque l'on rajoute l'improvisation et l'inexpérience d'un petit ministre de l’Intérieur, à la fourberie éhontée de ce garde des sots (qui a oublié de se garder lui-même), on ne peut que trembler quant à l'avenir du Sénégal: CES HOMMES REPRESENTENT UN REEL DANGER POUR LE PAYS TOUT ENTIER.
Me François JURAIN

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