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Migration : services, sévices et vices !

Mercredi 30 Août 2017

La chronique de BP

La lancinante question migratoire est véritablement un serpent de mer. Sa récurrence dans le flot de l’actualité nationale et internationale tonne et détonne et affole les masses et les gouvernants, en raison des passions et drames qu’elle charrie. Et notre capacité à nous émouvoir et à nous indigner s’en émousse. Tellement la comptabilité macabre charriée par l’émigration dite clandestine est ahurissante pour ne pas dire scandaleuse.  
 
Ces spectacles morbides commencent à relever, dans nos consciences peu ou prou blasées, de la simple anecdote au vu de la longue liste de tragédies identiques qui sont le lot de ces « desperados ». Quelle perte cruelle que la mort aussi atroce et répugnante de pauvres enfants et de milliers d’autres personnes qui périssent dans les mêmes conditions sans mériter de nous un torrent de larmes et de responsabilités fouettées.
 
La vie de nos concitoyens d’Afrique et des autres pays pauvres aurait-elle moins de valeur qu’ailleurs ? Voudrait-on nous le faire croire qu’on ne s’y prendrait pas autrement ! Au fil des années, des mois et des jours, les chiffres de la comptabilité macabre se succèdent ainsi que les rapatriements et autres sévices face à des réponses et tentatives jusque-là indigentes pour endiguer l’ouragan et les vagues de migrants.
 
Ce lundi 28 août, le président français Emmanuel Macron a convoqué un  mini-sommet entre Africains et Européens à Paris sur la crise migratoire. Il a notamment proposé des « hotspots » ou centres d’examen pour identifier, à partir du Niger et du Tchad, les ressortissants qui ont droit à l’asile, sous la supervision du HCR, le Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU. Il devrait aussi y avoir une action de coopération en matière de sécurité, de justice et aussi parfois de présence militaire sur le terrain pour prévenir d’autres débordements et l’accroissement de flux vers la Libye qui viendraient gonfler des camps de migrants. Plaidant pour « la possibilité d’organiser le retour vers le pays d’origine », Macron a annoncé des actions de coopération pays par pays à cette fin.
 
Idriss Déby Itno et Mahamadou Issoufou ont réagi en insistant sur la nécessité du développement pour lutter contre la crise migratoire et souhaité davantage de financements de leurs partenaires européens. « On est habitué à des annonces de nos partenaires depuis des années. Nous voulons des choses concrètes », a insisté le président tchadien, soulignant la nécessité de solutions à long terme. Quant au libyen Fayez Al Sarraj, il a sollicité des équipements modernes pour les gardes côtes qui font face aux passeurs de migrants en mer.
 
Dans la déclaration finale du mini-sommet, les Européens "reconnaissent qu'il est nécessaire" d'augmenter l'aide au Niger et au Tchad. Ils soulignent aussi l'importance "d'équiper et de former de manière adéquate les garde-côtes libyens".
 
Cette nouvelle réunion de hauts dirigeants et de bonnes intentions, pour ne pas dire de vœux pieux, risque d’allonger la longue liste de rencontres sur la question migratoire sans lendemains réels sur ce phénomène qui exige une prise en charge optimale loin des effets d’annonce et coups d’éclat, comme ce « Pacte pour l’Afrique » ou Plan Merkel, hypothétique et lointain successeur du fameux « Plan Marshall » américain pour l’Europe après la deuxième Guerre mondiale, censé contrer les flux migratoires. Les engagements relatifs à l’Aide publique au développement ont été nombreux mais souvent très peu respectés.
 
L’Europe, chaque jour que Dieu fait, densifie sa forteresse et sa tour d’ivoire en érigeant des barricades légales et réglementaires au mépris des règles de la circulation des biens et des personnes. La judiciarisation excessive de l’émigration, c’est la politique de l’autruche consistant à occulter les vrais problèmes en détournant le regard. Les solutions ne sont pas que techniques, elles sont fondamentalement éthiques et humaines, nécessitant une approche globale et holistique qui dépasse l’aspect répressif.
 
Les pays appelés pays d’accueil devraient savoir raison garder et regarder la réalité en face. Se barricader, via l’ « immigration choisie » pour repousser les vagues de l’immigration n’est pas une panacée. C’est en revanche comme un cautère sur une jambe de bois. Inefficace. Croire le contraire, c’est prendre des vessies pour des lanternes.
 
En effet, quand on durcit les lois pour obtenir un visa d’entrée, on encourage in fine la migration irrégulière. Pour la bonne et simple raison que les candidats se disent que c’est perdre son temps que d’aller dans des consulats qui ressemblent souvent plus à des bunkers qu’à des représentations diplomatiques, en raison de leur architecture ultra sécuritaire, voire inaccessible. L’émigration est un processus historique nécessaire et qui a rendu beaucoup de services à l’Humanité.
 
Aujourd’hui, la répartition particulièrement inégale des richesses dans le monde accroît la pulsion migratoire. Et on assiste à une sorte de « division internationale du travail » transformant les économies du Sud en de vastes supermarchés à ciel ouvert et des sociétés terminales qui ne sont jugées aptes qu’à consommer des produits manufacturés venus d’ailleurs. Nos balances de paiement en parlent éloquemment : elles sont structurellement déficitaires. Ce qui nous rend particulièrement vulnérables aux pressions et autres conditionnalités des bailleurs de fonds. Renversant, ce monde où l’économie est devenue une guerre non conventionnelle où tous les coups sont permis !
 
On ne peut passer par pertes et profits le passif historique, économique et humain qu’ont produit les ajustements et autres programmes à l’efficacité plus que douteuse et de manière lointaine, l’esclavage et le colonialisme sans oublier les effets néfastes, aujourd’hui, de la mondialisation.
 
Après avoir déstabilisé la Libye- qui n’était cependant pas un modèle de gouvernance- en y laissant le chaos, l’Europe aura du mal à endiguer les vagues de l’immigration qui partent de ce pays exsangue. L’Union africaine et les pays qui la composent ne peuvent également continuer à jouer les spectateurs face au désastre dans ce pays désagrégé. Ils doivent s’investir davantage pour rétablir la stabilité dans ce pays où se développe un trafic vicieux de migrants vers l’autre rive de la Méditerranée.
 
Une traite moderne vicieuse à l’épreuve de l’incurie
 
Evidemment, nous n’évacuons pas du tout, loin s’en faut, la responsabilité des élites et des peuples du Sud et notamment d’Afrique dans la situation actuelle. Elle est grandement engagée. D’ailleurs, ils en répondent quotidiennement sur le terrain sociopolitique.
 
C’est le lieu ici de clamer à voix haute et intelligible que la voie du salut de nos nations est principalement entre nos mains. Il nous faut un aggiornamento, un changement de paradigme mental. La solution est essentiellement en nous-mêmes avant d’espérer un appui des autres qui gèrent d’abord leurs intérêts, comme le confessait le Général Charles De Gaulle.
 
Il est nécessaire donc de dire à ces jeunes mus par la réussite sociale et  qui prennent les pirogues et les bateaux à l’assaut d’un eldorado illusoire que l’avenir de l’Afrique et de leurs pays est entre leurs mains et celles de leurs dirigeants pour reconstruire et développer leur continent, nouvel horizon de croissance et de développement à condition d’y croire et d’y travailler vaillamment. Une sorte d’autonomie ouverte, loin de toute servitude ou asservissement volontaire, qu’elle soit monétaire ou militaire. Un partenariat réellement gagnant-gagnant !
 
On peut sortir le berceau de l’humanité de son état infantile de sous-développement entretenu en le faisant mutuellement grandir. Aucun pays ou continent ne peut vivre en autarcie en se repliant sur lui-même car il a besoin de nouer des partenariats, de commercer avec le reste du monde, de s’inspirer des bonnes pratiques en ne « réinventant pas la roue ou l’eau chaude », mais il faut d’abord compter sur ses propres ressources pour prendre un nouvel élan qui nécessite quelques sacrifices au départ.
 
Pour y parvenir, il nous faudra une nouvelle conscience de l’objection. Dire qu’un autre monde nous est accessible, un monde fait de travail, de solidarité des peuples, de justice sociale internationale, bref de bien-être partagé. Il nous faut donc reconstruire les fondements de notre conception des choses et replacer l’être humain à sa vraie place.
 
Ce fléau doit être pris à bras-le-corps pour redonner leur dignité humaine à ces « damnés de la terre, des airs et des mers ». Concrètement, pour arrêter cette saignée voire la métastase de ce cancer que constitue l’émigration clandestine, il est nécessaire d’avoir une nouvelle stratégie et des programmes de rupture pour maintenir au maximum les populations dans leur terroir par la création de nombreux emplois pour occuper la jeunesse et desserrer l’étau de la pression sociétale négative sur elle. Si les moyens de se réaliser dignement existent sur place, à quoi bon prendre le chemin risqué quasiment suicidaire de l’exode ?
 
L’être humain, par nature, est attaché à son milieu. Il ne s’exile que pour améliorer ses conditions de vie et d’existence. Il faut donc des solutions de fond qui passent par une redistribution équitable des richesses qui appartiennent à toute l’Humanité. Tout devient possible. Il faut le savoir, le vouloir et avoir des stratégies pensées et actives pour pouvoir le réaliser. Vaste chantier !
 
Ballé PREIRA
souye76@gmail.com
 
 
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