Le président français Emmanuel Macron a été hué samedi à l’ouverture du Salon de l’agriculture, grand rendez-vous politique et professionnel perturbé cette année par la colère du monde agricole qui ne retombe pas depuis plusieurs semaines.
C’est protégé par des dizaines de CRS équipés de boucliers, mais pas à l’abri des sifflets et des insultes de centaines d’agriculteurs ulcérés que le chef de l’État a déambulé parmi les stands du salon, dont l’inauguration a été retardée par des heurts entre agriculteurs et forces de l’ordre et une pagaille inédite le matin.
« Macron démission », « fumier », ont entendu notamment des journalistes de l’AFP au moment où le président a officiellement coupé le ruban, avec quatre heures et demie de retard, en début d’après-midi. Le plus grand salon agricole de France se tient jusqu’au 3 mars, avec 600 000 visiteurs attendus.
Goûtant ici du miel, là du fromage, serrant des mains et répondant aux interpellations, M. Macron a cheminé dans les allées, l’air quasi imperturbable, mais sa voix était régulièrement couverte par le vacarme causé par des agriculteurs contestant sa présence et demandeurs d’actes concrets pour améliorer leurs conditions.
À plusieurs reprises, les CRS ont repoussé les manifestants à une cinquantaine de mètres de lui, tandis que résonnaient les cris de « menteur » ou « Barre-toi ! ».
Trois personnes ont été interpellées pour violences sur personne dépositaire de l’autorité publique, selon le parquet de Paris. Relâchées, elles seront convoquées ultérieurement.
« Il tutoie »
Le président, arrivé à 8 h, avait commencé la journée par une rencontre avec des dirigeants syndicaux. Dans une salle sécurisée, il avait recueilli les doléances d’agriculteurs de trois organisations syndicales, la FNSEA, les Jeunes agriculteurs et la Coordination rurale.
« Je préfère toujours le dialogue à la confrontation », a asséné le chef de l’État, qui avait initialement imaginé « un grand débat » avec tous les acteurs de l’économie agricole, industriels, distributeurs, ONG, finalement intenable en raison de la fureur des syndicats agricoles suscitée par l’invitation d’un collectif écologiste radical.
« La ferme France reste forte, c’est faux de dire qu’elle est en train de se casser la gueule », a affirmé M. Macron.
« On est en train de faire toute la simplification », a-t-il aussi promis, alors que les exploitants se plaignent d’un excès de contraintes administratives et environnementales.
« Tant que ce n’est pas concrétisé dans les cours de ferme, on sera sur votre dos », lui a répondu un agriculteur.
« Vous l’avez écouté ? Il ne laisse pas parler les agriculteurs, il coupe la parole, il tutoie… On n’est pas des copains, ça ne se fait pas. On souhaite qu’il parte », commentait auprès de l’AFP un agriculteur de l’Oise, Eric Labarre, adhérent FNSEA.
Les heurts se sont produits au moment de son arrivée au pavillon où vaches, brebis et chèvres sont exposés. Des centaines de personnes avaient forcé des grilles vers 8 h locales et sont entrées, s’opposant au service d’ordre et aux policiers.
Les portes de ce hall, le plus couru, ont alternativement été ouvertes et fermées au public, illustrant la confusion générale, et donnant lieu à des scènes étonnantes d’enfants goûtant du fromage à quelques mètres de CRS casqués. Et pas mal de déception :
« Il y avait des CRS partout. Ambiance de forteresse assiégée », regrette Sophie Sucurovski, 28 ans, venue des Ardennes avec son fils de deux ans.
Le calme est ensuite revenu, mais le stand de Lactalis, numéro un mondial des produits des laitiers accusé de mal payer le lait, a été souillé par du lisier.
Prix plancher
M. Macron a fait plusieurs annonces aux syndicats qui restent à préciser, dont la création d’un « prix plancher » pour mieux rémunérer les agriculteurs et un recensement des exploitations nécessitant des aides de trésorerie d’urgence.
« Poser le mot sur le concept de prix plancher est déjà une petite révolution », a salué auprès de l’AFP la porte-parole de la Confédération paysanne, syndicat opposé à l’agriculture intensive, Laurence Marandola.
Les présidents français passent généralement des heures, voire la journée entière, au Salon, et les incidents ne sont pas inhabituels.
Nicolas Sarkozy avait lancé « Casse-toi, alors, pauvre con ! » en 2008 à un homme qui refusait de lui serrer la main. François Hollande s’était fait huer et insulter par des éleveurs en 2016.
La crise, qui couvait depuis l’automne, a explosé à partir du 18 janvier, menant à deux semaines de blocages d’autoroutes, finalement levés le 1er février. [AFP]