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Le lobbying de Facebook en Europe dévoilé par des mémos internes

Lundi 4 Mars 2019

Le géant américain voyait dans le RGPD, le règlement général sur la protection des données, une "menace critique". Une enquête de médias britanniques révèle les coulisses du lobbying de Facebook pour influencer les dirigeants européens sur ce sujet.


Le siège européen de Facebook à Dublin
Le siège européen de Facebook à Dublin
Le Premier ministre irlandais, Enda Kenny, la Commissaire européenne à la Justice, Viviane Reding, le ministre du Trésor britannique, George Osborne… Facebook sait soigner ses relations quand il veut influencer la politique européenne. Le géant américain, inquiet face à la volonté de l'Union européenne (UE) de légiférer sur les données personnelles, a multiplié les tentatives de lobbying, révèle samedi 2 mars une enquête conjointe de Computer Weekly et du Guardian.
 
Ces révélations s'appuient sur des documents internes à la firme américaine liés à un procès qui oppose Facebook au développeur d'application Six4Three en Californie. Le document principal, un mémorandum rédigé à l'intention du patron de la communication de Facebook de l'époque, Elliot Schrage, révèle une campagne globale d'influence en plusieurs volets. Le but affiché : influencer sur la forme du futur règlement général sur la protection des données (RGPD) adopté en 2016, vu alors comme une "menace critique" aux activités de Facebook par Sheryl Sandberg, numéro 2 du groupe.
 
• Une "très bonne relation" avec l'Irlande
 
L'année 2013 est particulière pour le pays du trèfle. L'Irlande doit prendre la présidence tournante de l'Union européenne pour six mois. À l'occasion d'une rencontre, Facebook a laissé entendre à Enda Kenny, le Premier ministre irlandais de l'époque, que le RGDP pourrait constituer une menace pour l'emploi, l'innovation et la croissance en Europe. Les relations entre l'Irlande et Facebook sont historiques. La firme de Menlo a son siège social européen à Dublin et y a multiplié les investissements et les créations d'emplois.
 
"Nous avons profité de ce rendez-vous pour leur demander de faire du règlement de l'UE une priorité pour leur présidence. Le Premier ministre a déclaré qu'il pouvait exercer une influence considérable comme président de l'UE, même si l'Irlande était censée rester neutre", affirme un mémorandum interne.
 
Sheryl Sandberg, numéro 2 de Facebook, a rencontré à deux reprises Enda Kenny : au forum économique de Davos de 2014, puis au siège social de Facebook, en Californie. La dirigeante du géant américain a écrit le message suivant au leader européen peu après la rencontre de Davos.
 
"Je voulais saluer votre leadership durant la présidence de l'UE. Vous avez permis d'énormes progrès. En matière de protection des données personnelles au niveau européen, vous et votre équipe avez réellement internalisé nos préoccupations et permis de les présenter de manière raisonnable, ce qui a eu un impact positif", écrit-elle dans un mémo non destiné à être public. Elle sous-entend également que Facebook pourrait être tenté d'investir en Europe au vu de ces changements.
 
Dans un autre des mémos consultés, Enda Kenny, qui a démissionné de son poste en 2017, est décrit comme un "ami de Facebook" avec qui l'entreprise possède une "super relation".
 
• George Osborne, chancelier de l'Échiquier, voulait "voir comment il pouvait s'impliquer"
 
Le dirigeant irlandais n'est pas le seul que Sheryl Sandberg a su courtiser. George Osborne, chancelier de l'Échiquier [équivalent du ministère des Finances et du Trésor en Grande-Bretagne] a été l'objet des attentions de Facebook. Le numéro 2 du géant américain a rencontré le Britannique à l'occasion du forum de Davos de 2013. Le ministre britannique en profite pour offrir quelques conseils à Facebook – sur la meilleure manière d'obtenir un visa pour le Royaume-Uni pour ses employés et proposer au groupe d'investir dans Tech-City, la Silicon Valey de l'est de Londres.
 
La proposition a été poliment refusée par Sheryl Sandberg, mais elle encourage "Osborne à être plus actif et à s'exprimer davantage sur le futur RGDP et la forme que prendra cette proposition", explique un mémorandum. Le chancelier de l'Échiquier aurait alors demandé à être briefé sur le sujet, et déclaré vouloir "voir comment il pouvait s'impliquer".
 
Contacté par le Guardian, George Osborne s'explique : "Il n'y a rien de surprenant à ce que le chancelier de l'Échiquier britannique rencontre un des dirigeants d'une des plus grandes entreprises au monde… Facebook et d'autres entreprises de la Tech ont exprimé leur inquiétude en privé et en public sur le RGPD. Je n'ai pas donné suite à [cette demande de Facebook] et je n'ai pas fait de lobby à l'UE, car je n'étais pas d'accord avec eux."
 
Sheryl Sandberg est par ailleurs l'auteure de "En avant toutes : les femmes, le travail et le pouvoir", essai féministe de réflexion sur la place des femmes dans le monde du travail. Un féminisme qui est vu comme un véritable outil de lobbying au service de Facebook pour les équipes de l'entreprise américaine. George Osborn, impressionné, en fera la promotion lors d'une réception au 10, Downing Street.
 
• "Relation difficile" avec Viviane Reding, commissaire européenne à la Justice
 
Le livre de Sheryl Sandberg est une porte d'entrée pour des prises de contact avec les dirigeantes et législatrices européennes. Les documents révèlent cependant que l'approche n'a pas fonctionné avec Viviane Reding, commissaire européenne à la Justice, aux droits fondamentaux et à la citoyenneté et architecte du RGDP.
 
Sheryl Sandberg a tenté de l'approcher à l'occasion d'une conférence "En avant toutes", mais ses tentatives d'approche pour discuter du RGDP ont buté sur l'obstination de la commissaire.
 
"On a fait quelques progrès, mais nous avons une relation difficile avec elle. Ce n'est pas une situation unique à Facebook. Elle n'est pas fan des entreprises américaines", explique le document. "C'était frappant, Reding n'arrêtait pas de nous répéter que ce règlement serait adopté, qu'on l'aime ou pas […]. Et même quand nous lui faisions part de notre soutien, elle n'avait pas l'air d'entendre."
 
• Des documents sortis de leur contexte selon Facebook
 
Un porte-parole de Facebook a réagi auprès du Guardian au sujet de cette fuite. Il a rappelé que ces documents sont toujours sous scellés, dans une cour de justice californienne : "Comme tous les documents qui ont été choisis et diffusés en violation du secret de la justice, ils ne racontent qu'un seul côté de l'histoire et omettent le contexte."
 
Si Facebook s'est conformé au RGPD lors de son entrée en vigueur fin mai 2018, le géant américain s'est contenté d'un service minimum. Comme le notait un article de France 24, tout a été pensé pour que l'utilisateur consente à garder le partage de ses données personnelles au plus haut niveau possible pour le nouveau règlement. (france24)
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