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Le Bénin teste les limites de la démocratie (ISS)

Vendredi 10 Mai 2019

L'absence de partis d'opposition aux récentes élections législatives risque de saper profondément la légitimité du gouvernement.


Au moins deux morts, plusieurs blessés - c'est le bilan humain officiel de la violence qui a suivi les élections législatives contestées du 28 avril au Bénin, lorsque la police a tiré à balles réelles sur les manifestants. Les dommages matériels subis pendant les émeutes et les incendies criminels n'ont pas encore été comptabilisés.
 
L'impasse politique continue. Au cœur de la crise se trouve une récente réforme institutionnelle qui a empêché tous les partis d'opposition de participer aux élections. Leur absence a fait en sorte que le résultat de l'élection était acquis d'avance. Alors que les partis d'opposition exigent de nouvelles élections ouvertes à tous, le gouvernement maintient que " le processus électoral s'est déroulé conformément à la loi, (et) suivra son cours jusqu'à la fin ".
 
Le défi à court terme est de maintenir la paix et la stabilité au Bénin. Au-delà de cela, l'obstacle majeur est de consolider les acquis démocratiques dans le pays. Le 2 mai, la Cour constitutionnelle a annoncé un taux de participation électorale de 27,12% - le plus bas jamais enregistré. Deux facteurs expliquent cette situation.
 
 "Le Bénin a enregistré son taux de participation électorale
le plus bas jamais enregistré lors de ses élections législatives du 28 avril. »
 
Premièrement, aucun parti d'opposition n'a participé aux élections. Leur absence résulte de nouvelles dispositions électorales controversées adoptées l'année dernière. Au départ, dix partis politiques voulaient participer aux élections. Trois n'ont pas déposé leur candidature parce qu'ils n'ont pas obtenu leur certificat de conformité du ministère de l'Intérieur. Sur les sept candidatures finalement soumises à la Commission électorale nationale indépendante (CENA), seules celles de deux coalitions - l'Union progressiste et le Bloc républicain, qui soutiennent le président Patrice Talon - ont été autorisées par la CENA à y participer.
 
Le principe du respect des dispositions est consacré à l'article 56 de la nouvelle Charte des partis politiques. Toutefois, ni le nouveau Code électoral ni la charte ne mentionnent explicitement la nécessité d'un certificat de conformité. C'est la Cour constitutionnelle du 1er février 2019 qui a ajouté cette exigence pour permettre aux partis de participer aux élections législatives, et même d'exister au-delà du 16 mars 2019.
 
La décision du tribunal, rendue moins de 21 jours avant la soumission de la candidature à la CENA, a renforcé la suspicion entre les parties. Il convient toutefois de noter que le rejet par le ministère de l'Intérieur des dossiers de conformité de plusieurs partis était dû à des irrégularités sans rapport avec les nouvelles réformes de la charte et du code électoral. Il s'agit notamment de défauts sur certains des 12 documents obligatoires nécessaires à l'obtention d'un certificat de conformité.
 
« La mise en place d'un parlement d'approbation
pourrait considérablement miner la gouvernance au Bénin. »
 
Les tentatives de résolution de la crise par consensus entre le président et certaines figures de l'opposition, d'une part, et la majorité et la minorité parlementaires, d'autre part, ont échoué. Quelques jours avant le scrutin, les partis d'opposition ont donc demandé à leurs partisans de boycotter les élections.
 
La deuxième raison de la faible participation électorale était les affrontements violents qui ont eu lieu la veille et le jour du scrutin dans plusieurs villes. A Tchaourou, bastion de Yayi, un bureau de vote et des urnes ont été incendiés. Ces incidents ont empêché le vote dans 39 des 546 districts du pays.
 
Le calme est revenu depuis le 4 mai, mais des manifestations violentes pourraient à nouveau éclater d'ici le 15 mai, date à laquelle la nouvelle législature sera installée. Au-delà du risque de violence, la mise en place d'une assemblée nationale d'approbation pour un mandat de quatre ans pourrait considérablement saper la démocratie et remettre constamment en cause la légitimité du Parlement.
 
Une éventuelle révision de la Constitution, qui est le projet phare de Talon, manquerait également de légitimité. La Cour constitutionnelle a récemment été critiquée pour ses décisions apparemment partielles depuis que Joseph Djogbénou, ancien ministre de la justice sous Talon et ami proche du président, est devenu président de la Cour en juin 2018.
 
Un parlement qui manque de légitimité sapera la séparation des pouvoirs et, avec elle, la gouvernance dans le pays. Une telle situation sans précédent discréditerait les actions du gouvernement et affaiblirait la démocratie et l'État de droit. Dans ce climat d'incertitude et de risques graves, l'accent doit être mis jusqu'au 15 mai sur l'apaisement des tensions et la recherche d'un accord sur la tenue d'élections inclusives et pacifiques.
 
« La dernière chose dont le Bénin a besoin, c'est d'une division sociopolitique
qui pourrait renforcer ses vulnérabilités régionales. »
 
Deux options pourraient être explorées. La première est prévue par l'article 55 de la loi organique de la Cour constitutionnelle. Elle stipule que tout électeur ou candidat inscrit peut déposer une plainte auprès de la Cour constitutionnelle pour contester le résultat des élections dans les 10 jours suivant l'annonce des résultats. Toutefois, il est peu probable que le tribunal annule le résultat, étant donné que toutes ses décisions ont favorisé la continuité du processus électoral.

La deuxième façon de sortir de l'impasse est le dialogue. Un appel au dialogue lancé par M. Talon pourrait apaiser les tensions et donner lieu à de vastes consultations sur des stratégies viables pour résoudre la crise. Les partis d'opposition et les partis au pouvoir devraient placer l'intérêt national au-dessus de leurs intérêts partisans pour assurer le succès du dialogue.
 
Le Bénin doit également renforcer sa démocratie pour relever les défis du développement dans un environnement sécuritaire régional de plus en plus incertain. L'enlèvement, le 1er mai dans le parc de la Pendjari, de deux ressortissants français et de leur guide béninois, retrouvé mort le 4 mai près de la frontière avec le Burkina Faso, illustre les menaces régionales. La dernière chose dont le Bénin a besoin maintenant est la création d'une division sociopolitique qui pourrait ajouter à ces vulnérabilités.
 
Jeannine Ella Abatan
Chercheur, Bureau régional de l'ISS pour l'Afrique de l'Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad
 
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