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L'embargo allemand sur les ventes d’armes à Riyad agace Paris

Vendredi 29 Mars 2019

Six mois de plus. L'Allemagne a décidé, jeudi 28 mars, de prolonger jusqu'au 30 septembre l'interdiction d'exporter des armes vers l'Arabie saoudite. Berlin avait appliqué cette doctrine après la révélation du meurtre du journaliste Jamal Khashoggi au consulat saoudien en Turquie, le 2 octobre 2018.
 
La coalition gouvernementale a longtemps hésité ces dernières semaines, tiraillée entre la CDU (le parti de centre-droit de la chancelière Angela Merkel), favorable à une reprise des exportations pour le bien-être des entreprises allemandes, et le SPD (les sociaux-démocrates) qui veut maintenir l'embargo en vertu du respect des droits de l'Homme. Surtout, l'Allemagne fait l'objet d'une intense pression de la France et de la Grande-Bretagne, agacées par cette interdiction allemande.
 
Les boîtes de vitesse de la discorde
 
L'ambassadrice de France en Allemagne, Anne-Marie Descôtes, a même affirmé que la position allemande menaçait l'Europe de la défense, mardi 26 mars. "La question des exportations d'armements est souvent traitée en Allemagne avant tout comme un sujet de politique intérieure – mais elle a des conséquences lourdes pour notre coopération de défense bilatérale et pour la construction de la souveraineté européenne", lâche cette diplomate, qui rompt son traditionnel devoir de réserve en publiant une longue tribune sur le site de l'influent Institut fédéral des hautes études de sécurité, qui dépend du ministère allemand de la Défense.
 
Le problème pour Paris, comme Londres, est que l'interdiction de ventes d'armes édictée par Berlin ne concerne pas seulement le matériel militaire 100 % "made in Germany", mais a aussi une influence sur des projets européens communs comme l'hélicoptère Eurofighter ou l'avion de combat Tornado.
 
Il suffit qu'une "faible partie du système (par exemple un joint, des roulements à bille ou des boîtes de vitesse)" provienne d'Allemagne pour que Berlin bloque ou retarde une vente si le destinataire est engagé dans la guerre au Yémen, déplore Anne-Marie Descôtes. L'embargo allemand aurait ainsi déjà couté au moins deux lucratifs contrats à la France, d'après le quotidien La Tribune. L'un concernait la vente de missiles air-air (dont le système de propulsion est allemand), et l'autre une livraison de blindés équipés de boîtiers de vitesse germaniques, à destination de l'Arabie saoudite, entre autres.
 
La France et le Royaume-Uni critiquent déjà depuis un certain temps la position allemande. Sans citer Berlin, le président français Emmanuel Macron avait déploré, dès octobre 2018, la "démagogie" des pays qui, sous le coup de "l'emportement, l'émotion, la confusion de tous les sujets", décidaient d'interdire la vente des armes à Riyad à la suite de l'assassinat de Jamal Khashoggi.
 
Tout en dénonçant le meurtre, la France n'a jamais arrêté de fournir du matériel militaire à l'Arabie saoudite, qui lui en avait acheté pour 1,38 milliard d'euros en 2017. Cette position a valu à Paris de vives critiques de la part d'associations de défenses des droits de l'Homme, qui craignent que des armes françaises soient utilisées contre des civils au Yémen.
 
"German-free"
 
Consciente de la sensibilité du sujet, l'ambassadrice française a d'ailleurs tenu à déplacer le débat sur le terrain plus général du "caractère imprévisible de la politique allemande de contrôle des exportations". La diplomate déplore, plus précisément, le "flou" du contrat de coalition entre la CDU et le SPD sur les ventes d'armes. Les sociaux-démocrates allemands avaient en effet conditionné leur entrée au gouvernement à un arrêt de la livraison d'armes aux pays impliqués dans la guerre au Yémen.
 
En février 2018, Angela Merkel avait accepté, mais les exportations vers des pays comme l'Égypte, qui fait pourtant partie de la coalition dirigée par l'Arabie saoudite contre les rebelles houthis au Yémen, n'avaient pas cessé pour autant. Et il a fallu attendre le meurtre de Jamal Khashoggi pour que Berlin se décide à sévir contre Riyad.
 
Anne-Marie Descôtes cite aussi les lenteurs de l'Allemagne à délivrer les autorisations nécessaires pour du matériel destiné à d'autres pays qui ne sont pas liés au conflit yéménite. Autant de facteurs qui seraient dommageables pour la coopération industrielle européenne. "Cette insécurité juridique conduit de plus en plus [d'entreprises] à développer des stratégies ‘German-free' – permettant de produire des équipements sans composants allemands. Si cette évolution se confirme, elle aura des conséquences graves et durables sur notre capacité à procéder à des rapprochements industriels et à conduire des programmes communs", prévient-elle.
 
Le gouvernement allemand n'a pas attendu les mises en garde d'Anne-Marie Descôtes pour avoir conscience des implications européennes de sa position de principe. Une solution débattue depuis plusieurs mois à Berlin consisterait à autoriser les exportations de systèmes militaires européens ne contenant pas plus de 20 % de composants d'origine allemande. Mais la coalition n'a pas réussi à se mettre d'accord sur les détails d'une telle exception.
 
Paris espère que son partenaire d'outre-Rhin revienne au plus vite à la raison économique. Les deux pays se sont mis d'accord, en janvier 2019, pour lancer des projets industriels communs ambitieux, notamment dans le domaine de l'aviation militaire. Mais pour être compétitif sur la scène internationale, la France estime qu'il ne faut pas se fermer certains marchés. Surtout s'ils sont aussi juteux que celui de l'Arabie saoudite.
 
Mais comme le rappelle le quotidien Die Welt, l'Allemagne, toujours hantée par son passé, "doit d'abord décider quel rôle elle veut jouer sur la scène internationale en matière militaire" avant de pouvoir faire preuve du même niveau de réalisme économique que la France.
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