La Cour suprême a rejeté mercredi une requête de l’administration Trump qui souhaitait faire invalider le jugement d’un tribunal inférieur sur le financement de l’aide internationale. Washington devra donc verser près de 2 milliards de dollars US à des ONG pour des travaux déjà réalisés.
Le juge en chef John Roberts et la juge Amy Coney Barrett se sont joints aux trois juges libéraux dans une décision à cinq voix contre quatre, le premier jugement de la Cour suprême dans les nombreuses poursuites contre les récents décrets du président Donald Trump.
Comme il s’agit d’une ordonnance d’urgence, la Cour n’a pas à expliquer son raisonnement. Elle a ordonné au tribunal inférieur de clarifier quand le gouvernement devra payer les ONG de santé mondiales.
Peu après la décision, le juge fédéral Amir H. Ali a ordonné au gouvernement d’élaborer un calendrier pour la reprise des paiements.
Des ONG d’aide humanitaire avaient plaidé que l’administration Trump ignorait l’ordre du juge Ali de payer ses factures. Elles ont salué mercredi la décision de la Cour suprême, y voyant un signe que le président ne peut ignorer la loi.
Vive dissidence
Dans une opinion dissidente, quatre juges conservateurs ont remis en question le pouvoir d’un tribunal inférieur d’obliger le gouvernement fédéral à effectuer de tels paiements.
« Un seul juge d’un tribunal de district – qui n’a probablement pas compétence – a-t-il le pouvoir illimité d’obliger le gouvernement des États-Unis à verser (et probablement perdre à jamais) 2 milliards de dollars en fonds publics ? La réponse à cette question devrait être un non catégorique, mais une majorité de cette Cour semble penser le contraire. Je suis stupéfait », a écrit le juge Samuel Alito, rejoint par les juges Clarence Thomas, Neil Gorsuch et Brett Kavanaugh.
Selon le juge Alito, les cinq juges majoritaires auraient dû suspendre l’ordonnance d’exécution du tribunal inférieur afin que le gouvernement puisse demander à la Cour suprême d’examiner l’affaire plus en détail.
Cette dissidence laisse présager un long débat sur le pouvoir du gouvernement d’annuler des paiements.
La majorité conservatrice de la Cour suprême, dont fait partie Alito, a pris des mesures ces dernières années pour étendre le pouvoir présidentiel, notamment dans son arrêt de 2019 visant à protéger Trump de toute poursuite pénale pour ses actions officielles. Le mois dernier, lorsque la Cour a refusé d’autoriser immédiatement Trump à licencier le directeur d’une agence indépendante de surveillance du gouvernement, les juges Alito et Gorsuch ont exprimé leur désaccord, affirmant que la Cour aurait dû intervenir pour examiner la question.
L’enjeu : l’extension du pouvoir présidentiel
L’administration fait face à plus de 100 poursuites devant des tribunaux inférieurs contestant divers décrets, dont plusieurs risquent d’aboutir en Cour suprême. L’ordonnance dans l’affaire USAID a été rendue le lendemain du discours de M. Trump devant le Congrès, durant lequel il a fait l’éloge de ses efforts pour remodeler la fonction publique.
Selon Jenny Breen, professeure de droit de l’Université de Syracuse, on ne peut tirer de conclusions générales d’une seule affaire, mais « si nous devons en tirer une seule, c’est peut-être que la Cour suprême va prêter attention si le gouvernement ne se conforme pas aux décisions » des tribunaux inférieurs.
Cependant, ajoute-t-elle, l’opinion dissidente de quatre juges révèle « une tolérance pour une notion très large du pouvoir exécutif » au sein de la Cour : « La décision 5-4 annonce clairement des turbulences et des divisions. »
La poursuite avait été intentée par l’AIDS Vaccine Advocacy Coalition et le Global Health Council. Ces ONG ont plaidé que la suspension pour 90 jours de l’aide étrangère par l’administration Trump avait poussé ces ONG au bord de l’insolvabilité, forcé des licenciements et retardé la livraison de médicaments vitaux contre le VIH et d’aide alimentaire dans des régions instables du monde entier.
Le juge Ali avait ordonné que les paiements reprennent le 26 février, après que l’administration Trump eut semblé défier une injonction interlocutoire contre sa décision de suspendre les paiements.
Le gouvernement a alors fait appel de la date du 26 février fixée par le juge Ali, arguant que l’USAID et le département d’État avaient besoin de semaines de plus pour recommencer à payer (pour du travail fait avant le 13 février).
Selon les ONG, le gouvernement avait créé une « urgence de son propre fait » en ne se conformant pas à l’ordonnance restrictive immédiatement après son émission.
En se prononçant contre le gouvernement, la Cour suprême a rejeté les arguments de la solliciteure générale par intérim Sarah Harris, selon qui la date cible du 26 février fixée par le juge Ali était « impossible », car il ne laissait à l’État qu’environ 36 heures pour s’y conformer. Mme Harris avait aussi plaidé que le juge Ali avait outrepassé son autorité, un argument que l’administration Trump a avancé à plusieurs reprises alors que le président cherche à étendre considérablement le pouvoir exécutif.
« Ordonner aux États-Unis de payer toutes les demandes en attente dans le cadre d’instruments d’aide étrangère selon un calendrier choisi par le tribunal de district […] empiète sur les larges pouvoirs du président en matière d’affaires étrangères et bouleverse les systèmes que le pouvoir exécutif a mis en place pour financer l’aide », a écrit Mme Harris dans un mémoire déposé lundi.
La partie n’est pas encore jouée
Dans une déclaration publiée après la décision, les ONG ont déclaré que cela « confirme que l’administration ne peut ignorer la loi. Pour mettre fin aux souffrances et aux décès inutiles, le gouvernement doit désormais se conformer à l’ordonnance rendue il y a trois semaines pour lever la cessation illégale de l’aide fédérale ».
L’International Rescue Committee, une agence d’aide internationale, a déclaré dans un communiqué que « l’accès à ce financement est essentiel pour permettre à des organisations comme l’IRC de poursuivre leur travail vital de sauvetage ».
L’arrêt brutal de l’aide a aussi provoqué des remous au sein de l’USAID. Un haut fonctionnaire de l’agence a été suspendu dimanche après avoir fait circuler des notes de service montrant que le gel des dépenses entraînerait « des décès évitables, une déstabilisation et des menaces pour la sécurité nationale à grande échelle ».
Dans un mémoire déposé en cour lundi, les ONG ont écrit que ces notes « confirment en outre que les défendeurs (le gouvernement) n’ont pris aucune mesure pour se conformer à l’ordonnance de restriction temporaire du 13 février de cette Cour et, au contraire, ont pris des mesures pour ne pas se conformer ».
Selon ces notes, ajoutent les ONG, la suspension de l’aide internationale américaine pourrait ajouter chaque année jusqu’à 166 000 décès causés par la malaria, 200 000 cas de polio et de 2 à 3 millions de décès en raison de l’arrêt des programmes de vaccination.
La date limite du 26 février imposée par le juge Ali exigeait que le gouvernement commence à payer pour l’aide humanitaire délivrée avant le 13 février. La Cour suprême n’examinait que la question du report de la date limite du 26 février, et non le bien-fondé de l’injonction restrictive temporaire plus large du juge Ali, qui reste en vigueur jusqu’au 10 mars. Cette injonction interdit au gouvernement de geler un plus large éventail de paiements et de prendre d’autres mesures pour démanteler l’USAID.
Mais les ONG font valoir que le gouvernement ignore l’ordonnance plus large. Ils ont intenté une action en justice après que M. Trump, dès son premier jour au pouvoir, a suspendu l’aide étrangère pendant 90 jours. Il a déclaré qu’il souhaitait que son administration réévalue l’aide pour déterminer si elle était conforme à son programme de politique étrangère.
L’administration Trump a déclaré devant le juge Ali qu’elle pouvait continuer à geler les fonds et à réduire l’USAID malgré son injonction interlocutoire, en vertu de lois et de règlements qui existent indépendamment du décret présidentiel sur l’aide étrangère signé par M. Trump le premier jour de son mandat. Un porte-parole de l’administration a déclaré qu’un examen de l’aide étrangère avait permis d’identifier 5800 subventions de l’USAID d’une valeur d’environ 54 milliards de dollars et 4100 subventions du département d’État qui seront supprimées.
Au terme d’une audience tendue sur la question le 25 février, le juge Ali a ordonné aux fonctionnaires de reprendre les financements le lendemain.
La bataille judiciaire sur le gel de l’aide étrangère va maintenant se poursuivre devant les tribunaux inférieurs, où les ONG ont demandé un jugement plus permanent que la décision temporaire obtenue jusqu’à maintenant.
Le juge Ali tiendra une audience sur la question jeudi et discutera avec les parties du calendrier de reprise des paiements. [Washington Post]






FRANCE


