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REPORTAGE - Ex prison de la Stasi: En souvenir d’une police politique redoutable

Vendredi 4 Mai 2018

La prison de Hohenschönhausen est l’une des reliques tristes léguées à la postérité par l’ex République démocratique allemande. Pendant plusieurs décennies, elle a été le symbole d’une police politique d’Etat surpuissante. Depuis la chute du Mur de Berlin, ce bagne est devenu un lieu de mémoire pour des centaines de victimes qui, dit-on, avaient le tort d’être du mauvais côté de l’histoire.


(REPORTAGE) Un beau petit soleil plane sur Berlin ce vendredi matin. Au numéro 66 de Genslerstrasse, survit un bâtiment plutôt triste dans cette rue coquette de Hohenschönhausen où les pavés ont remplacé le bon vieux goudron noir. Un portail central en fer avec ses grilles. Une porte d’entrée classique où, à côté d’un tableau d’information accroché au mur, un caisson transparent plein de pièces et de billets en euros fait la manche.
 
 Dans l’enceinte de cette prison devenue «Musée de la Stasi», un homme trapu, fort et silencieux dans sa tunique bleue veille en faisant les cent pas, une casquette sur la tête. C’est un ancien fonctionnaire de la police politique d’Etat recyclé dans la surveillance des lieux transformés en Mémorial après la chute du Mur de Berlin en 1989.   
 
Sous nos yeux, trône un édifice de trois étages en briques marron dans lequel sont encastrées des fenêtres avec leurs grilles noires et cinq grandes ouvertures en verre qui laissent voir des rayons de bibliothèque. Entre le rez-de-chaussée et le premier étage, une camera joue au Big-Brother en surplombant l’entrée principale tandis qu’un projecteur soutenu par une barre de fer en rouille sert d’éclairage.
 
Nous sommes dans la plus célèbre des prisons secrètes qui ont jalonné l’histoire de l’ex République démocratique allemande (RDA) jusqu’à la chute du Mur de Berlin. Ici était l’ancienne prison de la Stasi, la fameuse police politique naguère chargée de prévenir les menaces potentielles contre ce petit-frère de l’ex Union Soviétique.
 
Une sous-prison au sous-sol
Pour accéder aux petits secrets des lieux, un chti du Nord de la France qui s’est amouraché d’une Allemande laquelle lui a donné deux enfants. Julien Drouart est un type flamboyant, cheveux blonds en désordre, des lunettes qui cachent de petits yeux malins. Un guide touristique? «Non, un travailleur de la mémoire», précise-t-il avec force avant d’établir des «règles de bienséance» pour la visite.
 
Sur la maquette du quartier chic de Hohenschönhausen, ne figure pas cette prison. «Une zone interdite. Personne ne savait mais tout le monde savait ce que c’était.» On s’enfonce dans une allée pour finir au bas d’une cave après avoir dévalé une dizaine de marche d’escaliers. Une sous-prison dans un sous-sol miteux quoiqu’entretenu, avec deux types de cellule de moins de 9 mètres carrés pour 6 à 7 pensionnaires malchanceux. A droite, celles qui laissent passer la lumière naturelle; à gauche, c’est la nuit permanente, l’obscurité. «L’électricité est contrôlée de l’extérieur par les gardiens», explique Julien.
 
En fait, les affectations vers l’une ou l’autre des cellules dépendent des «bonnes» ou «mauvaises» réponses apportées aux questions lors des interrogatoires. C’est à partir des années 1950, explique Drouart, que survient le basculement des activités de surveillance de la police politique. Ce ne sont plus les seuls opposants politiques qui sont arrêtés et embastillés, «mais tout le monde», c’est-à-dire ceux qui disent niet à la répression et au «système» qui est en train d’être mis en place sous la supervision des Soviétiques.
 
«Processus de désintégration sociale»
Cette politique semblait si «fructueuse» pour les autorités est-allemandes que la construction d’une «nouvelle prison» s’est imposée. Pas moins de 216 cellules. Inauguration en novembre 1960, «à peu près au moment de la construction du Mur de Berlin», glisse le «travailleur de la mémoire». A intervalles non déterminés, on croise d’autres groupes de visiteurs au détour d’une «ruelle» intérieure de ce nouveau bagne à la couleur ocre qui donne l’air d’être moins cruel. Une illusion, avertit notre guide.
 
On franchit une nouvelle étape dans la «gestion» des prisonniers par la police politique. Paradoxe constaté de visu: les cellules d’interrogatoire sont plus agréables que celles dédiées à l’emprisonnement des «adversaires» et «ennemis» supposés du régime est-allemand. Ici, «on achève le processus de désintégration sociale des (vrais) détenus» qui vivent presque côté à côte avec les indicateurs de la Stasi déguisés en bagnards. Et tout y passe. 
 
«Les fouilles corporelles sont totales», informe Drouart, grâce à des «unités d’accueil» mises sur pied pour hommes et femmes. «Cette cellule de déshabillement-ci, elle fait face à une cellule de surveillance ou des surveillants vous regardent enlever intégralement vos habits.» La nudité est de rigueur. «Des agents vont fouiner jusque dans vos parties intimes pour s’assurer que vous ne cachez pas quelque objet ou document, que vous soyez homme ou femme.»
 
Il y a absence de tout dans cet univers carcéral qui, dit-on, a bénéficié de toute «l’expertise» dont le NKVD ancêtre du KGB soviétique était détenteur en matière de répression. Ni son, ni lumière. Ni couleur, ni musique…. Lecture d’un magazine, d’un livre ? «Impensable. Il faut faire de sorte que tout plaisir soit inatteignable» pour toutes ces personnes complètement isolées du monde extérieur.
 
«Au prisonnier, on exige de faire appel au gardien de service pour avoir l’autorisation de faire évacuer ses propres déjections», rappelle Julien Drouart. «L’un des éléments du projet est de les infantiliser en les réduisant à la soumission permanente.» La privation de sommeil et l’inondation volontaire de la cellule sont deux autres méthodes pour déstabiliser les détenus. Pour dormir, il y a une «position réglementaire» à observer sous peine d’être sermonné par un surveillant omniprésent à travers le judas de la porte des cellules. «Il faut se coucher sur le dos, les bras parallèles au corps, un corps qui ne peut pencher ni à gauche ni à droite.» Ailleurs, on appelle cela «conditionnement psychologique».
 
Jamais d’évasion
A un autre détour de la prison, de jeunes élèves forment un arc de cercle au milieu d’une cellule, toute ouïe devant les explications d’une femme qui fait office de guide, entre deux structures essentielles au «bon fonctionnement» du système de répression : le «Département 14» ou règnent les gardiens, et le «Département 7», celui des interrogateurs. «Ceux-ci viennent de la haute police politique, super bien formés pour détruire le prisonnier le plus irréductible, par exemple celui qui peut dire au début : je n’ai rien fait, je n’avouerai rien…mais qui finit par livrer des aveux.»
 
Dans ce haut-lieu tragique de l’histoire de la République démocratique allemande, «il n’y a jamais eu d’évasion», indique Julien Drouart. Mais les anciens prisonniers ont vite fait de revenir pour «préserver les lieux» et les transformer en patrimoine inaliénable. «La mémoire n’appartient pas aux historiens mais à ceux qui acceptent de la transmettre», philosophe une dernière fois le nordiste franco-allemand.
 
Dehors,  Genslerstrasse est toujours aussi discrète et coquette. Quelques vieux couples allemands se paient une promenade entre les jolis espaces verts millimétrés aux entournures comme un signe de la formidable rigueur germanique. Visible depuis l’entrée de la prison, une auberge aménagée pour des migrants venus chercher tranquillité et raisons de vivre dans l’Allemagne d’Angela Merkel…

Heureusement, l'Allemagne de l'Est n'a pas été que ce triste visage de la prison Stasi...
 
 
 
 
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