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Monsieur le Président de la République, les maigres deniers publics vous supplient de lever ce coude !

Vendredi 10 Février 2017

Monsieur le Président de la République, les maigres deniers publics vous supplient de lever ce coude !
Excellence, Monsieur le Président de la République, votre prédécesseur disait de nous que « nous avions de la peine à nous souvenir de notre dîner de la veille et ne croyions qu’à l’argent et aux honneurs ». En langue nationale walaf, ce mépris s’exprime ainsi : « Senegale, boo ko laajee lu mu reere biig du la ko wax, te gëmul lu dul nguur ak xaalis. » Nous ne sommes quand même pas aussi amnésiques que le pense votre prédécesseur, votre clone Me Abdoulaye Wade.

Il nous arrive quand même de nous souvenir de quelques événements et nous nous rappelons en particulier que, présidant une université d’hivernage organisée à Mbodiène par les jeunes de votre parti, vous mettiez tout le monde en garde. Vous veniez alors de réactiver la Cour de Répression de l’Enrichissement illicite (CRÉI) et de mettre en place l’Office national de lutte contre la Fraude et la Corruption (OFNAC).
 
Ces deux décisions avaient soulevé, à l’époque, beaucoup d’espoir de la part de nos compatriotes, dont une bonne partie ne vous connaissait pas encore bien. Vous lanciez ainsi, avec une apparente conviction : « La CREI, c’est pour les autres ; mais l’OFNAC, c’est pour nous. » Poursuivant votre comédie, vous déclariez, avec la même fermeté feinte, ce qui suit : « Je ne protègerai personne. Je dis bien personne. »
 
La CRÉI et l’OFNAC, comme avant eux la Loi portant Code de transparence et plus tard celle soumettant tous les assujettis à la déclaration de patrimoine, s’inscrivaient dans le cadre de cette politique « transparente, sobre et vertueuse » que vous vous engagiez fermement à mettre en œuvre, une fois élu. Vous le fûtes confortablement, avec 65 % des suffrages exprimés, le 25 mars 2012. Dans un peu moins de deux mois, vous serez resté cinq ans à la tête du pays. Vous vous êtes lancé, depuis lors, dans la réalisation de grands travaux, comme ceux que vous avez concentrés dans la seule zone de Diamniadio. Parmi ces grands travaux, l’autoroute « Ila Touba » et le fameux Train Express régional (TER) qui coûtent, à eux seuls, près de mille milliards de francs CFA. Bien plus si on en croit certains observateurs avertis. On n’oubliera pas la restauration – c’est désormais le terme consacré – du Building administratif dont le coût déclaré de dix neuf (19) milliards serait de loin inférieur au coût réel. Bien plus de mille milliards investis dans des infrastructures plus de prestige que de développement !
 
Avec autant de milliards…
Avec autant de milliards, renforcés des soixante (60) qui ont servi à construire le Centre international de conférences Abdou Diouf et des dizaines, voire des centaines d’autres que l’on pourrait sauver des gaspillages impunis de votre gouvernance, la Casamance serait totalement désenclavée (par train ou par une bonne route contournant la Gambie) et les chemins de fer Dakar-Thiès, Thiès-Saint-Louis et Thiès-Kaolack réhabilités. Sans oublier l’embranchement Kaolack-Guinguinéo et – pourquoi pas – Louga-Linguère dont les rails ont été enlevés et vendus.

Donc, des infrastructures, vous en réalisez, Monsieur le président de la République. Mais le tout n’est pas d’en construire. Il faut aussi tenir compte de leur pertinence et de leur coût. De ce double point de vue, vos infrastructures soulèvent beaucoup de questions.
 
Il y a aussi que, Monsieur le Président, une gouvernance ne se réduit pas seulement à des réalisations d’infrastructures. Elle comporte aussi des aspects moraux importants. De ce point de vue, la vôtre est loin d’être un modèle. Elle porte surtout la marque indélébile du non respect de vos engagements que vous avez, pour l’essentiel, jetés par-dessus bord. Point n’est besoin d’insister sur votre promesse d’un gouvernement de vingt-cinq ministres. Vous en êtes aujourd’hui à une quarantaine, sans compter le nombre indéterminé de ministres conseillers ou de ministres conseillers spéciaux, de conseillers et de conseillers spéciaux, d’ambassadeurs dits itinérants et qui ne sortent pas du Sénégal, etc.
 
Excellence, Monsieur le Président de la République, avec vos nominations faciles (et calculées), les plus hautes fonctions ont perdu de leur lustre d’antan. En particulier, celle de secrétaire général de ministère pourrait être plus affectée encore, avec le Projet de décret adopté par le Conseil des Ministres du 8 février 2017, instituant un secrétariat général dans les ministères. Dans ses commentaires, la presse comprend, par l’adoption de ce Projet de décret, la nomination de secrétaires généraux au niveau de tous les ministères. Si c’est vraiment le cas, vous ne vous êtes sûrement pas concerté, avant la prise de cette décision, avec vos alliés Moustapha Niasse et Ousmane Tanor Dieng.
 
Engagement gravement renié
Monsieur le Président, vous avez aussi gravement renié votre engagement solennellement pris, aussi bien au Sénégal qu’ailleurs, à réduire votre mandat de sept à cinq ans, si vous étiez élu. Cet engagement a été pour beaucoup dans le choix de nombreux compatriotes de vous accorder leurs suffrages le 25 mars 2012. Vous avez alors attendu plus de quatre ans après, pour nous assommer par votre terrible wax waxeet, sous le prétexte du respect d’un avis-décision du Conseil constitutionnel, que vous auriez dû demander trois mois au plus après votre installation officielle. On se rappelle alors votre gêne de nous regarder les yeux dans les yeux pour nous annoncer votre reniement. Ce jour-là restera à jamais gravé dans nos mémoires.
 
Votre homologue français s’était engagé à ne pas briguer un second mandat, s’il n’arrivait pas à inverser la courbe du chômage dans son pays. Il n’y est pas arrivé et en a tiré lourdement les conséquences. En renonçant à briguer un second mandat, il était au plus bas des sondages. Les Français ne lui ont pas pardonné d’avoir mené une politique différente de celle qui avait fait l’essentiel de son fameux discours du Bourget. M. Hollande a entraîné dans sa chute son ancien Premier Ministre Manuel Valls.
 
Si nous étions la France avec Fillon
Heureusement pour vous, Monsieur le Président de la République, nous ne sommes pas comme les Français. Nous n’avons ni leur niveau d’instruction, ni leur niveau de conscience citoyenne. Ils ont aussi sur nous l’avantage substantiel, que leur langue de travail coïncide avec leur langue maternelle. S’y ajoutent des médias très professionnels dotés de moyens importants et une justice bien plus indépendante que la nôtre. Le Parquet national financier de Paris empêche aujourd’hui le candidat Fillon de dormir. Monsieur le Président de la République, si nous étions dotés de tous ces atouts, vous seriez confronté à de graves problèmes aujourd’hui. Vous auriez probablement perdu les prochaines élections, législatives comme présidentielle. Peut-être, même, ne tiendriez-vous pas le coup jusqu’en 2019.
 
 
Heureusement pour vous, Monsieur le Président de la République, nous sommes ce que nous sommes. Si nous nous comportions comme de vrais citoyens, vigilants, exigeants et  conscients de leurs responsabilités, nous nous dresserions contre la politique que vous menez depuis bientôt cinq ans et qui n’a rien de transparent, rien de sobre, rien de vertueux. Le gré à gré se porte comme un charme et tend à devenir la règle, avec sont lot de graves surfacturations. Il en est de même des détournements de deniers publics.
 
Les rapports de la Cour des Comptes, de l’Inspection générale d’Etat (IGE) et de l’Agence de Régulation des Marchés publics (ARMP) mettent toujours en évidence de graves fautes de gestion qui restent impunies. La SAPCO, dont les responsables sont épinglés par le dernier rapport de l’ARMP, est un cas flagrant de mal gouvernance. Le quotidien ‘’Enquête’’ du 7 février 2017 a fouillé « en profondeur » dans sa gestion. « Un gouffre à milliards », lit-on à sa ‘’Une’’. Ce qui est remarquable surtout dans cette enquête, se trouve dans l’interview du Directeur général qui s’enfonce en tentant de se justifier (page 5).
 
Le cas du DG de la Sapco
A la question de savoir pourquoi l’augmentation du salaire du Directeur général à 3 millions et celui du Président du Conseil d’administration (PCA) à 2 millions alors que la société est sous perfusion, il répond maladroitement : « Il n’y a pas eu d’augmentation. Mon prédécesseur avait augmenté son salaire, il gagnait 5 millions. Moi, quand je suis arrivé, je l’ai ramené à 3 millions. Le salaire du PCA, je l’ai remis à son niveau, c’est-à-dire 2 millions. » Aussi simple que ça : ce sont les directeurs qui augmentent ou diminuent à leur guise les salaires. On imagine les dérives qui caractérisent la gestion des sociétés nationales !
 
A une autre question portant sur les jetons de présences des administrateurs portés de 25000 à 150000 en 2013, puis à 200000 francs par séance en 2015, notre DG répond : « En 2013, je n’étais pas là ; donc l’augmentation de 25000 à 150000 francs, ce n’est pas moi. En 2015, quand je suis arrivé, j’ai trouvé les jetons ainsi. Et j’ai continué à payer ce que j’ai trouvé. Je n’ai ni augmenté, ni diminué et je sais que dans les autres conseils d’administration (CA), les gens gagnent plus. Nous faisons partie de ceux qui paient le moins leur conseil. »
 
A une dernière question concernant des jetons de présences accordés à quelqu’un qui n’était pas administrateur, notre DG essaie toujours de justifier : « ça, c’est réglé. C’est quelqu’un qui participe activement au conseil, qui joue pleinement son rôle. Je pense qu’il méritait ça en tant qu’acteur. Maintenant, si les textes disent qu’il ne doit pas être payé, alors on applique les textes. Depuis qu’on a soulevé la question en CA, on ne le paie plus. Après tout, on l’a fait une ou deux fois, après tout est rentré dans l’ordre. »
 
C’est terrible tout cela ! Payer jusqu’à 200000 francs des jetons de présences à des gens qui n’ont aucun mérite, aucune compétence et ne se prévalant que de leur seule couleur marron-beige ! Et ils sont parmi les conseils d’administration les moins bien payés, argumente notre DG ! Il a tristement raison : il y a effectivement des conseils d’administration et des conseils de surveillance où les jetons de présences vont jusqu’à 300000 francs/séance. On imagine l’énorme gabegie dans ces structures et dans de nombreuses autres.
 
On imagine avec amertume les dizaines, voire les centaines de milliards ainsi dilapidés, si on y ajoute d’autres formes de soustractions frauduleuses de l’argent public que l’on constate partout ailleurs. Rien que pour les réponses qu’il a données aux questions qui lui ont été posées, ce directeur général devait être immédiatement relevé de ses fonctions. Il n’en sera rien malheureusement, puisque de nombreux autres, épinglés pour des fautes au moins aussi graves, sont encore en poste. C’est notamment le cas du DG du Centre des Œuvres universitaires de Dakar (COUD) et de bien d’autres encore.
 
Vous faites le contraire de ce que vous dites
Indolents, indifférents à tout, nous le sommes sûrement. Comme pour marquer leur accord avec le Président de la République, la justice, la classe politique, la société civile, le citoyen lambda restent sourds face au pillage systématique  de nos maigres ressources. Le Président de la République du Sénégal est vraiment à la fête. Il promet publiquement qu’il ne protège personne et fait tout le contraire, en mettant systématiquement le coude sur les rapports les plus compromettants de nos différentes structures de contrôles et en laissant en poste des responsables de son parti gravement mis en cause. Il rend inoffensif l’OFNAC et lâche la bride à la corruption, à la fraude, au blanchiment d’argent.

Plus de cent dossiers de la CENTIF dormiraient sur la table du Procureur de la République. Après Karim Wade qui a été condamné puis gracié et Me Ousmane Ngom qui s’en est tiré on ne sait comment, les vingt-trois autres de la liste très tôt dressée par la CRÉI vaquent tranquillement à leurs occupations.
 
Excellence Monsieur le Président de la République, votre gouvernance contredit formellement vos engagements. L’impunité est sa marque de fabrique, contrairement à la promesse formelle que vous aviez faite à Mbodiène de ne protéger personne. Aujourd’hui, les membres de votre clan peuvent se permettre toutes les dérives : ils savent que vous ne vous préoccupez que de vos balades politiciennes, de vos bains de foules lors des « mobilisations exceptionnelles » et de la « massification » de votre parti, en vue de votre réélection en 2019 et avant, de votre victoire lors des prochaines élections législatives.

Monsieur  le Président, votre voie est toute tracée et votre stratégie bien en place. Foncez ! Foncez ! Les risques d’embuches sont faibles, pour le moment tout au moins.
 
Enfin, Excellence, Monsieur le Président de la République, on dit que les peuples ont les dirigeants qu’ils méritent. Qu’en est-il du peuple sénégalais ? Le soin est laissé à chacun et à chacune d’entre nous de répondre à cette question.
Dakar, le 9 février 2017, Mody Niang
 
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