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Mohamed L. Bouhlel, un terroriste pas si atypique

Mercredi 20 Juillet 2016

L’auteur du massacre de la promenade des Anglais présente un profil jugé déconcertant, inédit, par beaucoup d’observateurs. Pourtant à y regarder de plus près, on retrouve déjà ce qui est supposé fonder l’originalité du tueur de Nice chez plusieurs auteurs d’attentats.

Musulman non pratiquant, islamiste présumé inconnu des services de renseignement, bisexuel consommant avec régularité hommes et femmes, adepte de la culture physique et amoureux de son corps… Le profil de Mohamed Lahouaiej Bouhlel étonne.

Le portrait de ce Tunisien de 31 ans qui, jeudi 14 juillet, a tué à Nice 84 personnes dont 10 enfants au volant d’un camion de 19 tonnes est-il si atypique ? Oui, car chaque parcours de terroriste se réclamant de l’État islamique est unique, répond à un enchevêtrement de problèmes divers et variés. Non, car on retrouve les divers traits de caractère supposés fonder son originalité chez les précédents auteurs d’attentats
 
Depuis le carnage de la promenade des Anglais, la famille du tueur a souligné les troubles mentaux dont il souffrait. Il aurait consulté un psychiatre en Tunisie en 2004, qui avait diagnostiqué un début de psychose. Selon son ordonnance, diffusée par le site de Radio M'saken, ville dont est originaire sa famille, le médecin lui avait prescrit un antidépresseur et un antipsychotique. Son père, cité par Libération, raconte un fils qui « a toujours été un peu brutal. Même enfant, il frappait parfois les autres gamins. À la maison, il a cassé des portes, la télévision. Il m’a même endommagé mon camion deux fois. Tout le monde prenait des précautions avec lui ».

Même si son casier judiciaire ne comporte qu’une seule mention (une peine datant du 24 mars dernier, à 6 mois d’emprisonnement avec sursis pour des faits de violences volontaires lors d’un différend entre automobilistes), plusieurs proches dépeignent un homme violent. Selon des témoignages, il frappait sa femme, depuis en instance de divorce, leurs trois enfants et, à une occasion, sa belle-mère.
 
Violence et pathologie
Un comportement pathologique et violent qui n'est pas une première dans la mouvance djihadiste. À propos de l’aspect bagarreur d’Amedy Coulibaly, le tueur de l’HyperCacher, un ami d’enfance dira : « Les gens [...] avaient peur de lui. Il s’était battu très souvent et en avait tapé beaucoup. [...] Il montait vite et il descendait vite dans ses humeurs, comme s’il était bipolaire. Il pouvait s’énerver contre les gens pour une vieille histoire. » Et, dans le cadre de l’instruction judiciaire d’un braquage commis alors qu’il était mineur, une analyse psychologique concluait à « un profil psychopathique » de Coulibaly et s’inquiétait, avec une rare clairvoyance au regard des attentats commis douze ans plus tard, des futurs crimes du jeune homme âgé alors de 21 ans : « Si Amedy est éventuellement envahi par des représentations mentales anxieuses, il semble les dénier aussitôt. Et rien ne permet de dire, pour le moment, qu’il ne les terrassera pas à l’avenir via des actes puissants ou téméraires dans lesquels il chercherait une nouvelle fois la preuve de son invulnérabilité »

Un rapport d’Europol, en date du 18 janvier 2016, insistait sur la « portion significative de combattants étrangers [à avoir rejoint les rangs de l’État islamique] auxquels ont été diagnostiqués des troubles mentaux », ils représenteraient 20 % du contingent selon une source citée par Europol sans plus de détail. Lors de son audition le 17 février 2016 devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, Patrick Calvar, le patron de la DGSI, avait brossé le portrait d’« individus déshumanisés, revenus à l’état d’animaux » et estimait qu’« il y a là un problème psychiatrique, et un enjeu de protection pour la société »
 
Alcool et bon vivant
Amateur de femmes et d'hommes, séparé de son épouse et mère de ses enfants, Mohamed Lahouaiej Bouhlel est dépeint comme « un individu très éloigné des considérations religieuses » ayant « une vie sexuelle débridée » par le procureur de la République François Molins lors de sa conférence de presse, lundi 18 juillet. Dans un article titré « Le sidérant profil du terroriste », Le Parisien recense « de nombreuses conquêtes féminines, mais aussi masculines », identifiées dans le téléphone portable du tueur de masse.

Bien sûr, la simple homosexualité est proscrite pour les adeptes de l’islam radical. Pour autant, selon l’État islamique, la conversion (ou la reconversion pour des musulmans modérés) aux préceptes de l’islam tels que pratiqués par l’organisation terroriste offre l’opportunité de se laver de ses péchés de sa vie d’avant. Et, dans le registre, on a vu qu’Omar Mateen, l’auteur de la fusillade dans une boîte de nuit de la communauté LGBT d'Orlando (États-Unis), le 12  juin dernier, avait ciblé une communauté gay et un établissement de nuit qu’il fréquentait afin d’absoudre par le martyre sa sexualité contrariée.

Enfin, ceux qui ont connu Mohamed Lahouaiej Bouhlel doutent de sa radicalisation. Comme l’a rapporté Mediapart, à l'Association culturelle de Nice Nord (ACNN) qui gère la salle de prière El-Imen, qui accueille les musulmans pratiquants du quartier Rouret Bateco où il vivait avec sa famille, personne ne se souvient avoir vu Mohamed Lahouaiej Bouhlel faire le ramadan ou s'interdire de boire de l'alcool.
 
Profil pas compatible
Ce qui ne correspondrait pas au profil d’un « soldat du califat » tel qu’évoqué dans le communiqué de l'État islamique (EI) diffusé par la voie de son agence Amaq. L'organisation terroriste a en effet affirmé que « l’auteur de l’attaque de Nice en France [était] un des soldats de l’État islamique et [qu’il avait] agi en réponse aux appels lancés de l’EI à prendre pour cible les ressortissants des pays de la coalition qui le combat »

D’après le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, l'homme semble « s'être radicalisé rapidement, [selon] les premiers renseignements qui apparaissent à travers les témoignages de son entourage ». Lundi lors de sa conférence de presse, le procureur Molins a précisé que depuis une semaine, le futur assassin « se laissait pousser la barbe ».

Dans le récent rapport de la commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015, le député socialiste Sébastien Pietrasanta énumère les divers cas d’« individus radicalisés ne s’étant jamais rendus en Syrie et susceptibles de répondre aux appels récurrents de Daech à passer à l’acte sur le territoire national » comme l’attaque à l’arme blanche du commissariat de police de la Goutte d’Or à Paris, le 7 janvier 2016, ou l’agression toujours à l’arme blanche, quatre jours plus tard, à Marseille, d’un piéton présentant les signes de son appartenance à la religion juive.

« On peut également recenser des individus qui, sans être pleinement gagnés par l’idéologie de l’islam radical, pourraient, en raison de fragilités psychologiques, passer à l’acte violent selon des modes opératoires inspirés des méthodes djihadistes », écrit le rapporteur citant en exemple le cas d’un homme qui avait pour projet d’assassiner une députée parisienne avant de se dénoncer lui-même le 30 octobre 2015.
 
Aucun signe d’allégeance à Daech
Dans le cas de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, Farhad Khosrokhavar, directeur de recherches à l’École des hautes études en sciences sociales, se refuse à parler de radicalisation. « Peut-être que les faits me donneront tort mais je constate qu’au bout de quatre jours d’enquête, on n’a toujours pas trouvé de signe d’allégeance de sa part à l’État islamique, pas le moindre lien avec un membre de cette organisation terroriste. Contrairement, par exemple, aux auteurs des massacres du 13-Novembre, il n’a pas d’adhésion idéologique, de volonté politique de créer un monde musulman sous l’égide du califat de l’EI.

Je vois plutôt dans son geste l’action de désespoir d’un individu qui essaye d’entraîner les autres dans sa mort comme le pilote allemand de la Germanwing
[150 passagers et membres d’équipage tués lors du crash dans les Alpes provoqué par un copilote suicidaire]. Il essaye de donner un vernis islamique à son acte mais c’est tout. »

Le parquet de Paris reconnaît qu’« à ce stade, rien ne démontre l’allégeance de Mohamed Lahouaiej Bouhlel à l’État islamique ». En revanche, le procureur Molins a exposé divers éléments qui laissent à penser que sa radicalisation et la conception de son acte seraient plus anciennes et profondes que cela n’avait été évoqué dans un premier temps. Il y a d’abord ce témoin qui raconte que Lahouaiej Bouhlel lui a montré en début d’année une vidéo de décapitation d’un otage de l’EI tout en affirmant avoir l’habitude de regarder ce genre de films…

Les photos d’Oussama Ben Laden et Mokhtar Belmokhtar ainsi que les recherches internet sur les fusillades d’Orlando, l’attaque de Magnanville retrouvées dans son ordinateur. Et cet article de Nice-Matin datant du 1er janvier 2016 et titré : « Il fonce volontairement sur la terrasse d'un restaurant »…

« Son profil ne se différencie pas de précédents que l’on a connus, estime une source judiciaire. Son cas est assez similaire à celui des agresseurs du commissariat du XVIIIe ou de Marseille. » En référence à ces précédents et à propos du tueur de masse de Nice, le procureur Molins a inventé pour qualifier ces « individus qui obéissent aux appels aux meurtres » une expression : « le terrorisme de proximité ». (Mediapart)
 
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