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Le maraboutage raconté par le chauffeur du président Senghor

Lundi 23 Avril 2018

Le  maraboutage raconté  par le chauffeur du président Senghor
Par Madi Waké Touré (ENTSS)

Dans l’Afrique traditionnelle, la religion, la politique et le sacré sont  des instances qui organisent la relation de l’individu au monde. La  force de ces entités n’a pas faibli dans notre  rencontre  avec les religions révélées : Islam et christianisme. Au contraire, ces croyances ancestrales solidement ancrées dans notre tréfonds culturel se sont  renforcées,  créant  un certain syncrétisme religieux. Et cet  Islam noir  se singularise par un certain nombre de pratiques parmi lesquelles on peut citer le maraboutage.
 
Et que recouvre cette réalité ? La réponse nous est fournie par le chercheur Ibrahima SOW (IS), Directeur du laboratoire de l’imaginaire. Il écrit : «  On pourrait le définir  comme l’intervention «  magique » ou « mystique » qu’opère un « marabout » aux moyens d’incantations , de prières, de nœuds et autres procédés plus ou moins ésotériques et mystiques pour lui-même ou pour un individu, afin de satisfaire des demandes qui peuvent être multiples et variées :réussir à un examen, s’aliéner l’amour d’une femme ou d’un homme, jeter un sort à un concurrent ou à un collègue… » in Le Maraboutage au Sénégal.
 
Ces mots d’IS s’inscrivent dans la même veine que ceux de Monteil qu’il cite dans son ouvrage. Pour ce dernier, tous les soudanais, qu’ils soient croyants ou incroyants sont des fidèles clients du « diseur des choses cachées ». Il estime que pour eux, être devin ou marabout, c’est la même chose.
 
Ces précisions faites, on peut se demander : qu’est-ce qui pousse les gens à solliciter les services d’un  marabout et  à quelles fins ? Certains y vont, animés des meilleures intentions pour eux-mêmes et pour les autres ; d’autres par contre, aveuglés par une jalousie envieuse et égoïste qui  obscurcit totalement l’esprit en leur  faisant perdre  toute capacité de jugement  rationnel, finissent par n’avoir qu’un seul leitmotiv : Détruire…Détruire, seulement !  Ce qui fait dire à Massamba Mbaye, observateur avisé du champ social et culturel sénégalais, ces mots terribles : « Oui dans notre pays, être célèbre ou réussir est dangereux ». Il n’a pas tort et ces propos signés de Moussa Diombokho, (MD)- j’ai changé le nom- ancien chauffeur du Président Senghor, corrobore son jugement. 
 
« On roulait sur la Transsgambienne avec un ministre à bord ... Aux environs de midi, j’allume la radio et une nouvelle pas du tout gaie pour ce dernier : l’annonce du décès d’un monsieur qui lui était « proche ». Hors de lui et ayant perdu tout  contrôle, il a commencé à soliloquer à haute voix. Dépassé par les événements, je me retournais vers lui pour lui demander les raisons de son tourment. Et là, il n’a pu se retenir : « ce garçon dont on vient d’annoncer le décès est quelqu’un de brillant que j’avais pris sous mon aile. Je lui ai trouvé une bourse pour des études en Europe. De  retour au pays, il a cherché à m’évincer à la tête de la coordination du parti… Cela m’a fait très mal et je suis parti voir un marabout pour lui demander d’« éteindre » l’étoile de ce garçon qui commençait à me faire de l’ombre dangereusement. Dieu m’est témoin : je ne souhaitais pas sa mort. Je voulais seulement le confiner dans « la pénombre » afin qu’il ne me détrône pas. Et voilà… ».
 
Ce témoignage de première main d’un homme qui me vouait une sincère amitié en dit long sur nos mœurs politiques et sociales. Poursuivons encore dans les témoignages avec  cet  ami, cadre dans un organisme international. « Un de mes oncles qui travaillait à la BCEAO avait acheté une voiture neuve. On l’avait averti : ne jamais  prêter sa voiture mais il va passer outre.Il se retrouvera ensuite  avec un mal de jambe terrible. Hasard ou simple coïncidence : je ne saurais le dire ! »
 
Tout compte fait, la réalité est là, d’où la nécessité  de faire preuve de prudence en toutes circonstances, me dit cet ami cité plus haut.Au demeurant, le maraboutage n’est pas en soi une mauvaise chose pourvu que ceux ou celles qui l’exercent, se placent dans une posture humaniste en aidant les hommes et les femmes qui les consultent  à grandir au plan moral, social et culturel. Ils feraient alors là œuvre utile.
 
 Cette exhortation  ne détonne pas avec cette affirmation d’Abbé Jacques Seck : « Si on avait pas les guérisseurs, on aurait « trop de fous »naturels ou provoqués et trop de morts. »
 
Tout compte fait, sachons raison garder et ne soyons pas des consommateurs immodérés de maraboutage-crime : c’est ce à quoi nous convie, notre consultant maison, Pape Baïdaly Sow, Docteur ès Sciences de l’Education : «  Pourquoi, bon Dieu, ne pas avoir confiance aux démarches et procédures rationnelles pour traiter les situations gênantes ou éprouvantes qui nous opposent à nos semblables? N'est-ce pas moins coûteux et plus valorisant ? Le recours habituel à ces pratiques maléfiques est une attitude régressive, une dépendance qu'il est temps de rompre au nom de la rationalité humaine. »
 
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